Notes de programme

ELISABETH LEONSKAJA

Dim. 30 jan. 2022

Retour au concert du dim. 30 janv. 2022

Programme détaillé

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour piano n° 10, en ut majeur, KV 330/300h

I. Allegro moderato
II. Andante cantabile
III. Allegretto

[20 min]

Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour piano n°3, en fa mineur, op. 5

I. Allegro maestoso
II. Andante : Andante espressivo – Andante molto
III : Scherzo : Allegro energico – Trio – Scherzo da capo
IV. Intermezzo (Rückblick [Regard en arrière]) : Andante molto
V. Finale : Allegro moderato ma rubato

[35 min]

--- Entracte---

Franz Schubert (1797-1828) 
Sonate pour piano n° 21, en si bémol majeur, D 960

I. Molto moderato 
II. Andante sostenuto 
III. Scherzo : Allegro vivace con delicatezza 
IV. Finale : Allegro ma non troppo

[40 min]

Distribution

Elisabeth Leonskaja piano

En partenariat avec Les Grands Interprètes.

Mozart, Sonate pour piano n° 10

Composition : 1778 ou 1783. 

On n’a pas de certitude sur la date de composition de la Sonate en ut majeur KV 330 : certains pensent que cette œuvre d’esprit galant, rayonnante de joie, a été composée à Paris pendant l’été 1778, durant un voyage où Mozart a été en butte à un certain nombre de désillusions et a perdu sa mère qui l’accompagnait. Les soucis et chagrins de la vie n’auraient donc pas affecté l’expression de la sonate : pour Mozart, la composition aurait peut-être constitué un refuge, un antidote au malheur. D’autres musicologues pensent que l’œuvre a été composée quelques années plus tard, en 1783. Elle fait partie d’un groupe de trois sonates (KV 330-331-332) qui furent éditées à Vienne peu après, en 1784. 

Le premier mouvement, un allegro de forme sonate d’un parfait équilibre, scintille de mille feux, dans sa virtuosité déliée. Son développement central part à l’aventure au lieu d’exploiter les thèmes de l’exposition, et laisse passer un bref moment de rêverie mélancolique. 

Le mouvement lent reflète parfaitement les indications de caractère cantabile (chantant) et dolce (doux) ; l’inspiration mélodique de Mozart y apparaît dans toute sa limpidité. L’épisode central en mineur reprend avec une ferveur nouvelle les notes répétées initiales de la mélodie principale. 

Le finale apporte un regain de légèreté et de bonne humeur. Son thème initial ressemble à celui du rondo final d’un concerto, commençant par un solo repris par l’«orchestre» qui étoffe l’accompagnement dans la nuance forte. Il n’en demeure pas moins que ce finale est une véritable forme sonate et non un simple rondo, où les idées mélodiques s’enchaînent avec une profusion qui est caractéristique de Mozart. 

– Isabelle Rouard

Brahms, Sonate pour piano n° 3

Composition : 1853.

Johannes Brahms mit plus de vingt ans à achever sa première symphonie et tout autant à accoucher de ses premiers quatuors à cordes. C’est qu’il se sentait, en ces deux domaines, écrasé par l’ombre de son glorieux prédécesseur à Vienne, Beethoven. Dans le domaine du piano, en revanche, aucune barrière ne le retenait. L’instrument accompagna ses premiers balbutiements de compositeur, et Brahms lui resta fidèle jusqu’aux tardifs Klavierstücke op. 119, de 1896. Ce fut un pianiste de premier ordre, assez précoce pour participer, dès l’âge de 15 ans, à des récitals dans sa ville natale de Hambourg. Deux ans plus tard, fin 1850, sous le choc d’un concert de Clara et Robert Schumann, il déposa un ensemble de courtes pièces pour piano à l’hôtel du compositeur. Mais Schumann, surchargé de travail, retourna le paquet à son propriétaire sans même l’avoir ouvert. 

Le 30 septembre 1853, la rencontre a enfin lieu. Brahms a mûri. Il ne compose plus de brefs feuillets, mais des sonates qui le montrent affranchi de ses premiers modèles pianistiques. C’est un Schumann sidéré qui découvre des pages de musique de chambre, quelques feuillets pour piano et un recueil de lieder, mais surtout deux sonates pour piano (celles en ut majeur et en fa dièse mineur) et les ébauches d’une troisième, en fa mineur. Il note laconiquement dans son journal : «Visite de Brahms : un génie.» Le 28 octobre, Schumann publie dans la revue qu’il a fondée, la Neue Zeitschrift für Musik, un article dithyrambique intitulé «Neue Bahnen» [Voies nouvelles], où il raconte combien la musique de ce jeune homme timide l’a abasourdi.

Schumann introduit aussi Brahms auprès de son éditeur, Breitkopf & Härtel, à Leipzig. Rapidement, sept œuvres sont publiées, parmi lesquelles les trois sonates pour piano, respectivement sous les numéros d’opus 2 (fa dièse mineur), 1 (ut majeur) et 5 (fa mineur). 

«Un fleuve tumultueux déployant un pacifique arc-en-ciel au-dessus de ses flots écumants»
Robert Schumann

La profusion thématique y est exceptionnelle, mais déjà Brahms tente d’endiguer la générosité naturelle de son tempérament en échafaudant une structure forte, jusqu’à tisser un véritable réseau de motifs dans l’Opus 5. Schumann s’extasie : «Il semblait alors qu’il eût, tel un fleuve tumultueux, tout réuni en une même cataracte, déployant un pacifique arc-en-ciel au-dessus de ses flots écumants, tandis que des papillons folâtraient sur ses berges et que l’accompagnait le chant des rossignols.» Dès cette période, en effet, Brahms n’eut de cesse que de bâtir des édifices aussi grandioses qu’inébranlables, non par ambition démiurgique mais pour lutter contre sa propre fragilité, canaliser un naturel porté au doute, aux demi-teintes et, sans que cela entre en contradiction, au foisonnement et à l’impulsivité. Brahms fut bien un enfant de son siècle, abreuvé à la source d’E.T.A. Hoffmann, lecteur de Kleist, de Jean Paul et d’Hölderlin. À l’époque des sonates pour piano, il recopiait les passages de ses ouvrages favoris sur un cahier surnommé la «petite boîte à trésors du jeune Kreisler», et les Sonates op. 1 et 5 sont signées «Joh. Kreisler jun.», hommage éloquent au héros du Chat Murr d’Hoffmann, auquel Schumann avait dédié en 1838 ses propres Kreisleriana.

De nombreux traits brahmsiens sont déjà présents, en particulier une impressionnante densité sonore, résultant de nombreuses successions d’accords, de phrases en octaves redoublées, en tierces et en sixtes parallèles, d’une pédale abondante. C’est ce qui les fit traiter, par Schumann, de «symphonies déguisées». Une anecdote raconte que Clara Schumann, pénétrant dans une pièce où Brahms jouait ses œuvres au piano, aurait demandé : «Mais qui joue donc à quatre mains ?» L’autre trait caractéristique est la richesse d’un rythme reconnaissable entre tous à ses nombreux décalages, ses syncopes, ses hémioles et ses triolets.

Achevée en novembre 1853, soit un an après les deux premières, la troisième et dernière sonate montre un Brahms étonnamment aguerri. Avec son alternance de mouvements vifs et lents, la construction en cinq mouvements (que Brahms ne reprendra jamais) répond à un souci constant d’équilibre ; les ruptures, les contrastes sont fréquents, mais canalisés par de nombreuses réminiscences de rythmes et de motifs. 

Le premier mouvement est tout d’une fougue domptée, mais irrésistible. Après son premier thème résonnent dans le grave de la main gauche des batteries de quatre notes staccato, quatre do : il s’agit de l’un des avatars du thème implacable de la Cinquième Symphonie de Beethoven (celui entendu dans son Scherzo).

Vient ensuite un Andante amoureux, qui cite en exergue trois vers du poète C. O. Sternau (alias Otto Inkermann) : «Der Abend dämmert, das Mondlicht scheint, Da sind zwei Herzen in Liebe vereint Und halten sich selig umfangen» [Le soir tombe, la lune brille, Deux cœurs se tiennent là, unis par l’amour, Enlacés et emplis de félicité].

L’axe autour duquel s’organise cette vaste structure en arche est un scherzo volcanique qui effraya Clara Schumann. Son thème est emprunté au finale du Trio avec piano n° 2, op. 66 de Mendelssohn. Dans le trio central, le thème de la Cinquième Symphonie de Beethoven menace sourdement, cette fois sur un mi bémol, sous la sérénité d’accords étals.

Sous-titré «Rückblick» [Regard en arrière], le second mouvement lent est l’avatar funeste du premier. Désigné comme un «Intermezzo», il préfigure cette forme à laquelle Brahms reviendra à dix-huit reprises dans ses ultimes recueils. Il est parcouru lui aussi par le sinistre motif beethovénien entendu dans le premier mouvement et le trio du scherzo.

Commençant dans le doute et le tourment, le finale s’achemine vers un fa majeur triomphant : un «happy end» auquel le Brahms de maturité ne s’abandonnera plus aussi facilement.

– Claire Delamarche

Schubert, Sonate pour piano n° 21

Composition : septembre 1828. 
Dédicace souhaitée par Schubert : à Johann Nepomuk Hummel ; dédicace indiquée par l’éditeur Diabelli (1839) : à Robert Schumann 

Cette sonate, l’une des toutes dernières œuvres composées par Franz Schubert, quelques semaines avant son décès le 19 novembre 1828, clôt un groupe de trois sonates pour piano qui restèrent inédites, jusqu’à ce qu’à l’occasion de la découverte par Schumann de l’abondant trésor de manuscrits posthumes conservés par le frère de Schubert, Ferdinand et la création de la «Grande» Symphonie en ut, dirigée par Mendelssohn, les éditeurs s’y intéressent enfin. De son vivant, Schubert était connu et apprécié essentiellement par un cercle amical. Seule une part modeste de ses œuvres était éditée : essentiellement des lieder, de la musique chorale, des pièces pour piano divertissantes (valses, danses, marches à quatre mains...). L’essentiel de sa création restait à découvrir : musique de chambre, symphonies, grandes messes… et la plupart de ses sonates pour piano (sur la vingtaine composée, seules trois étaient éditées). De 1835 à 1840, Schumann publia régulièrement des articles de fond pour faire connaître la musique de Schubert, dans la revue dont il était le fondateur (Neue Zeitschrift für Musik), révélant son enthousiasme pour la musique du compositeur viennois disparu.

Pourtant, l’année 1828 avait commencé de bon augure pour Schubert. Il s’était enfin décidé à organiser avec l’aide de ses amis un concert public de ses œuvres ‒ le seul que le public viennois a pu entendre ‒ qui avait recueilli un franc succès. Ce concert eut lieu le jour anniversaire de la mort de Beethoven, ce qui est peut-être plus qu’une coïncidence : après la disparition du compositeur qu’il vénérait de loin, comme un géant inaccessible, Schubert avait, sans doute inconsciemment, le champ libre pour s’affirmer. Cette année-là, multipliant les démarches auprès d’éditeurs réticents, il composa sans relâche, à un rythme hallucinant, les chefs-d’œuvre que sont la «Grande» Symphonie en ut, la Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur, le Quintette à cordes, les derniers lieder (publiés plus tard sous le titre de Chant du cygne), les trois dernières sonates pour piano… Malheureusement, sa santé affaiblie par une affection vénérienne ne lui permit pas de résister à la fièvre typhoïde qui l’emporta. Avait-il eu le pressentiment de sa mort prochaine dans les mois précédents, ou plutôt, la mort était-elle toujours en arrière-plan de son inspiration, comme on peut le percevoir par exemple dans Le Voyage d’hiver, composé l’année précédente ? 

Dans les trois sonates, et principalement la dernière, Schubert va à l’essentiel, rejetant toute virtuosité extérieure au profit d’une limpidité qui le rapproche de Mozart. Sa démarche de composition ne porte pas sur le renouvellement de la forme : il coule son inspiration dans les formes classiques (ici, un premier mouvement en forme sonate, un second dans une simple forme lied ABA, un scherzo avec trio et reprise da capo symétrique, un rondo à la conception plus détendue, se contentant du rappel du thème-refrain pour ponctuer une imagination mélodique débordante). Mais Schubert distend le temps musical (notamment dans le premier mouvement, qui n’est pas un allegro) et se permet des digressions, des modulations «magiques» aux éclairages inattendus, des parenthèses enchantées… À ce propos, Schumann admirait les «divines longueurs» de la Symphonie en ut

«[Cette musique], comme si elle ne pouvait absolument pas finir sans jamais s’embarrasser de ce qui va suivre, toujours mélodieuse et chantante, continue de page en page, entrecoupée çà et là de quelques mouvements plus violents, mais que bien vite l’on voit se calmer.»
(Schumann, «Les dernières compositions de Franz Schubert», 1838, à propos des trois dernières sonates)

Ainsi Schubert renonce-t-il aux affrontements dramatiques où Beethoven avait entraîné le genre de la sonate pour piano, pour se livrer au lyrisme intégral, l’esprit du lied étendu à la grande forme, dans un éventail expressif allant de la confidence intimiste (premier mouvement), la désolation profonde (Andante sostenuto), la légèreté volubile et délicate (scherzo), ou encore l’insouciance débridée (finale). 

Si le mouvement lent, sorte de «berceuse de la douleur», est indéniablement marqué par un pressentiment funèbre, on portera aussi attention au thème initial du premier mouvement, ponctué par un sombre frémissement (trille dans le grave) qui figure comme une prémonition, ou encore à la note tenue qui résonne au début du thème-refrain du finale, et qui semble nous avertir : «Écoute !»…

– I. R.

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