Saison 2023/24

Rendons la musique indispensable aux Lyonnais

Grégory Doucet, Aline Sam-Giao et Nikolaj Szeps-Znaider

Vue extérieure de l'Auditorium de Lyon

Le maire de Lyon, la directrice générale et le directeur musical de l’Orchestre national de Lyon s’accordent sur les trésors «émotionnels et humanistes» de la musique : «Elle possède le pouvoir d’émanciper chacun et de faire communier ensemble, elle est un vecteur de lien entre les âmes, de connexion à la société et dans la société». C’est cette musique que l’ONL veut, plus que jamais, offrir aux Lyonnais – qu’ils soient érudits, passionnés, fragiles, enfants ou novices. «Être dans la cité, pour rendre la musique indispensable aux Lyonnais : voilà notre fonction.»

La politique culturelle de la Ville poursuit quatre desseins : stimuler la création, l’émancipation, la transition écologique et la coopération. Quelle place la musique en général, celle de l’Orchestre national de Lyon en particulier, occupe-t-elle dans ce projet ?

Grégory Doucet : Le travail, remarquable, qu’accomplissent l’Auditorium et l’Orchestre national de Lyon honore particulièrement bien ces quatre axes autour desquels en effet se déploie notre politique culturelle. Pour ne retenir que l’ambition de l’émancipation, quel meilleur exemple que le programme Démos, destiné à apprendre aux enfants à jouer des instruments classiques – et qui rappelle le formidable dispositif El Sistema, imaginé au Venezuela pour éveiller à la musique les enfants des quartiers populaires voire indigents et les aider à se construire, à révéler en eux les trésors de la pratique artistique. Voilà l’illustration d’une autre spécificité de l’orchestre : toucher la sensibilité d’un public très varié, via une offre créatrice elle-même plurielle.
D’autre part, l’Auditorium et l’Orchestre ont engagé une profonde réflexion sur leur empreinte carbone. Signe d’une conscience sincère de leur responsabilité environnementale, partagée avec les musiciens et les usagers de l’établissement. Quant à la coopération, elle mixe les disciplines ou savoir-faire de différentes institutions de la ville. Exemple : à l’occasion du Festival Lumière du cinéma, l’orchestre joue la partition d’un grand film muet ; la représentation est extraordinaire.

La musique est un outil précieux pour tendre la main aux plus fragiles. Sous quelles formes l’ONL s’empare-t-il de cette exigence ?

Aline Sam-Giao : Nous créons cette année les concerts Relax. L’objectif est de porter la musique aux sens, à la sensibilité des publics en situation de handicap psychique. Ce qui implique, là aussi, de penser la création sans barrières, et témoigne que la musique a pour vocation d’être amenée vers les personnes fragiles. En réalité, ces concerts sont aussi pour tous ceux qui ne se retrouvent pas complètement dans les codes formels du concert classique.
Les quatre axes de la politique culturelle de la Ville s’enchâssent les uns dans les autres en permanence. Ainsi, la coopération avec d’autres orchestres comme celui de Birmingham va donner naissance, cette prochaine saison, à la création d’une grande œuvre contemporaine [celle du compositeur, altiste et chef d’orchestre australien Brett Dean] – nous sommes très attentifs à mettre en lumière des compositeurs et compositrices vivants.

Quelle est la vocation d’un orchestre ? Sa fonction dans la ville et vis-à-vis des citoyens ? Cette double question, centrale, sollicite des raisonnements et des engagements qui évoluent selon les époques. La fonction de l’ONL «à» Lyon en 2023 n’est pas comparable à celle de l’Orchestre philharmonique «à» Berlin lorsqu’il fut créé en 1882…

Nikolaj Szeps-Znaider : En permanence la capacité d’un orchestre à faire vivre et rayonner sa vocation doit être interrogée. Et en effet, l’examen oscille selon les époques – celle que nous traversons avec l’épreuve pandémique est d’ailleurs très singulière. En d’autres termes : comment un orchestre doit-il penser sa fonction au sein de la société d’une part, de la communauté locale d’autre part ? Il y a un siècle, lorsqu’aucune des innombrables sollicitations actuelles n’existait et que les arts classiques étaient vénérés, cette fonction était comprise de tous – ou plus exactement de ceux qui avaient accès à la musique. Elle recherchait l’excellence, elle mettait en lumière l’idéal d’un travail immense et sans compromissions. Bien sûr, cette exigence ne s’est pas érodée, elle demeure immuable. Mais elle s’inscrit dans un contexte de civilisation bouleversé. L’institution et les musiciens sont conscients – et en cela formidablement stimulés par l’équipe municipale – que le périmètre de ce rôle s’est considérablement étendu. Nous avons la responsabilité, et même le devoir d’être des ambassadeurs pour amener la musique dans la société, pour la rendre accessible à l’intérieur, au cœur de la communauté humaine. Personne, pour des raisons financières, de méconnaissance, de déficit social ou éducationnel, de handicap, d’autocensure, ne devrait se sentir exclu de l’offre musicale. C’est à honorer ce vœu, cardinal, que tendent notre programmation et l’élargissement de nos formats.

Les salles de spectacle ont souffert dans les mois de délivrance post-Covid-19. Aujourd’hui, l’Auditorium est de nouveau plein, le public est de retour. Est-il le même ? Ses aspirations, son humeur ont-elles changé ? La programmation tient-elle compte des évolutions, notamment comportementales, auxquelles l’épreuve de la pandémie a exposé la population ?

N. S.-Z. : Autrefois, l’éveil des enfants aux arts, à la philosophie, à la littérature, à la culture, était assuré par l’aristocratie. Puis l’État s’est substitué à elle et a pris le relais, longtemps avec bonheur – en démocratisant cet accès – mais avec de plus en plus de difficulté, parce que cet éveil n’apparaît plus comme une priorité et que les moyens affectés se sont raréfiés. Si les institutions artistiques – et orchestrales comme l’ONL – auxquelles il incombe de pallier ce déficit, ne relèvent pas le challenge, elles promettent aux arts et à la musique classique notamment, un avenir très sombre.
À la faveur de la crise du Covid-19, le changement générationnel au sein de notre public s’est accentué. Nombre de jeunes et même d’enfants viennent nous écouter, on ressent que quelque chose est en train de se passer. C’est merveilleux. Et lorsque nous, musiciens, saisissons que les spectateurs éprouvent ce que nous voulons leur communiquer : une expérience émotionnelle unique, et l’envie, peut-être inédite, de revenir pour vivre une nouvelle aventure, notre bonheur devient immense. Faire qu’au fond d’eux la musique se révèle indispensable, bloque leur respiration, leur arrache une palpitation ou même une larme, mettre en vie les chefs-d’œuvre de compositeurs qui ne sont plus en vie, s’apparente à une bénédiction. Mais aussi à une malédiction, car la tâche est aussi inaccessible qu’ériger le Taj Mahal ou le Vatican… Mais c’est ce qui nous met en mouvement et en joie, chaque matin lorsque nous nous entraînons et le soir lorsque nous interprétons.

Qu’est-ce qui fait «fil conducteur» entre un musicien, une directrice générale, un maire ? Peut-être la volonté que la musique fasse lien entre tous, qu’elle devienne une brique du ciment communautaire ?

A. S.-G. : Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? Voilà peut-être le questionnement qui nous réunit. Tous les trois nous rassemblons sur une conviction : la musique nous émeut, cette émotion participe individuellement à nous construire dans notre vie d’être humain et collectivement à embellir l’humanité. Retirez-nous cette émotion, aussitôt nous percevons un manque fondamental à notre bonheur. Et c’est «ça», c’est cette vision émancipatrice et humaniste de la musique, c’est l’accès à cette beauté incommensurable, que Nikolaj dans sa fonction de directeur musical, Grégory Doucet dans sa responsabilité de maire, et moi dans mon rôle de directrice générale, voulons essaimer auprès du plus grand nombre.

Chaque discipline artistique a ses particularismes qui lui confèrent d’être un révélateur d’émotions intimes, que l’on partage plus ou moins – c’est le cas, par exemple, de ce que peut projeter en nous une sculpture, un tableau, une lecture. La musique possède-t-elle une propriété de «lien» singulière ?

G. D. : Je saisis au vol le fil du «sensible» qu’Aline a commencé de dérouler. Comme tout autre art, la musique nous touche, nous ébranle, nous exalte au fond de nous. Mais plus que tout autre art, elle est un vecteur de lien entre les âmes, de connexion à la société et dans la société. Elle représente le mieux l’aspiration à faire société. Elle émerveille notre sensibilité personnelle et soude les sensibilités de ceux qu’elle fait vibrer au même endroit au même moment. Et cela quelle que soit la forme qu’elle prend – cérébrale, populaire, légère, pointue, etc. Le pouvoir d’émanciper chacun et de faire communier ensemble : voilà ce qui rend la musique si fantastique et si utile. Elle est donc une contributrice précieuse à l’objectif principal de ma fonction : offrir le bien-être aux habitant(e)s de Lyon.
A. S.-G. : Un orchestre c’est bien sûr un collectif, mais aussi la somme d’individus extrêmement talentueux qui, par petits groupes, sont mobiles et peuvent proposer des spectacles hors les murs. Ainsi en septembre, dans l’environnement des Journées du patrimoine, nous investirons différents lieux de la ville, avec par exemple un concert de cuivres autour de la nouvelle installation des Subsistances qui sera un bassin d’eau [Bleu d’Alix Boillot]. Nous porterons aussi la musique dans des endroits insolites, là où les Lyonnais vivent mais ne s’attendent pas à accueillir de la musique classique. Je voudrais reproduire ces moments de grâce lorsque dans la rue ou une bouche de métro notre oreille et nos yeux se fixent sur une prestation impromptue qui va ensoleiller notre journée.

Pendant la saison, travaux dans l’Auditorium oblige, une partie de la programmation sera délocalisée dans des lieux symboliques de la ville. Plus que jamais l’orchestre sera dans la cité. Qu’allez-vous entreprendre pour que cette contrainte profite aux Lyonnais, notamment à ceux qui méconnaissent encore la formation ou même la musique classique ?

G. D. : Le concert du 24 juin 2023 au parc de la Tête d’Or – imaginé indépendamment des obligations liées aux futurs travaux – remplit toutes ces conditions. Quelle magnifique occasion de réunir les Lyonnais et leur orchestre dans ce lieu magique, poétique, si emblématique de la ville. Ces rares et précieuses opportunités entretiennent, consolident la fierté des Lyonnais pour une formation musicale qu’ils s’approprient un peu mieux encore à cette occasion. Ce partage – équilibré, car les musiciens eux-mêmes pénètrent le lieu d’une manière inédite – constitue une gratification supplémentaire pour l’édile.
N. S.-Z. : Deux concerts seront organisés dans la ville, à la rentrée de septembre. Il est essentiel que nous nous rendions physiquement en ville, que nous allions à la rencontre des Lyonnais, eux qui habituellement viennent à nous. Et j’espère bien profiter de cette expérience pour la reproduire de manière continue le reste de l’année, un jour dans une église, un autre dans le centre commercial de la Part-Dieu, etc. Être visibles dans la ville : voilà ce que nous devons développer, et ainsi nouer une relation indéfectible entre les Lyonnais et leur orchestre national. Des villes comme Cleveland y sont parvenues ; nous avons toutes les cartes en main pour, nous aussi, réussir.
A. S.-G. : La musique, ce n’est pas que les prestigieuses formations symphoniques interprétant Beethoven. C’est aussi une pratique amateur, des chansons traditionnelles, des berceuses d’enfants, qui composent notre patrimoine commun. À mettre ces trésors en valeur, nous travaillons avec foi. Ainsi, il y a un an, est né l’Orchestre de la Part-Dieu, un ensemble auquel participent des habitants du quartier, coachés par nos musiciens, et qui se produit en fin de saison. Nous avons également créé un chœur, composé des parents des «enfants Démos» : il honore l’immense et varié patrimoine culturel qu’ils incarnent, riches de leurs origines et de leurs goûts.

Comment rêvez-vous, même de manière idéalisée ou utopique, le rôle de la musique dans la société ?

A. S.-G. : Je rêve que l’expérience Démos, cette éducation exigeante à la musique dispensée aux enfants, essaime partout en France, au profit de tous, et prospère tout au long de leur vie. Car au-delà de l’épanouissement intérieur de chaque bénéficiaire, une telle généralisation hisserait haut la culture du respect, celle de la considération d’autrui, celle aussi de l’ambition et de l’excellence – pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire affranchies de l’esprit de compétition.
G. D. : Je souscris pleinement à cette utopie. Comme l’ont démontré les enseignements de l’expérience El Sistema, elle mettrait en lumière un pouvoir complémentaire de ceux que nous venons de recenser : pacificateur. Le dispositif a révélé que la musique apaisait et liait. Et cela, c’est valable universellement. Quant à l’excellence elle est en effet un principe vertueux, auquel l’apprentissage dès le plus jeune âge de grands instruments offre une merveilleuse scène d’accomplissement.
N. S.-Z. : Il est difficile de mettre des mots sur la musique. «La musique commence là où s’arrête le pouvoir des mots», a d’ailleurs déclaré Richard Wagner. La musique embrasse tout. Elle est partout où l’on enseigne l’ambition et l’idéalisme, où l’on permet de se réaliser et de s’accomplir, où l’on prépare les futures générations à devenir de meilleurs êtres humains. Mon rêve est que l’ONL devienne le catalyseur de cette immense perspective d’humanité.

Entretien réalisé par Denis Lafay le 22 février 2023

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