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Programme détaillé
Symphonie n° 4, en si bémol majeur, op. 60
I. Adagio – Allegro vivace
II. Adagio
III. Allegro molto e vivace – Un poco meno allegro – Tempo primo
IV. Allegro ma non troppo
[40 min]
--- Entracte ---
I. Poco sostenuto – Vivace
II. Allegretto
III. Presto – [Trio] Assai meno presto – Presto – Assai meno presto – Presto – Coda : Assai meno presto – Presto
IV. Allegro con brio
[40 min]
Distribution
Orchestre des Champs-Élysées
Philippe Herreweghe direction
Introduction
Composée en 1806, la Quatrième Symphonie forme une parenthèse brillante et enjouée entre les monumentales Troisième et Cinquième. C’est ce qui aurait fait dire à Robert Schumann que c’était une «svelte demoiselle grecque entre deux géants nordiques». Sans référence historique ou autobiographique, sans programme littéraire, sans sous-titre ni surnom, elle est souvent négligée face à ses sœurs plus célèbres. Après son introduction dramatique, elle délivre un séduisant mélange de grâce, de lumière et de poésie. La Septième Symphonie jouit au contraire d’une grande popularité dès ses premières exécutions en décembre 1813, en pleine fièvre patriotique : la Prusse et l’Autriche étaient alors dressées contre Napoléon, dont l’étoile faiblissait après sa défaite à Vitoria contre l’armée anglaise du duc de Wellington, deux ans avant Waterloo. Aux mêmes concerts, Beethoven fit d’ailleurs créer une composition intitulée La Victoire de Wellington, ou La Bataille de Vitoria qui souleva l’enthousiasme. La force rythmique de la symphonie suggéra à Richard Wagner le surnom d’«Apothéose de la danse».
Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon
Beethoven, Symphonie n° 4
Composition : 1806.
Création privée : Vienne, chez le prince Lobkowitz, mars 1807, sous la direction de l’auteur.
Création publique : Vienne, Burgtheater, 15 novembre 1807, sous la direction de l’auteur.
«La musique instrumentale de Beethoven nous ouvre le royaume de l’immense et de l’incommensurable» : lorsque l’écrivain et musicien E. T. A. Hoffmann écrit ces mots, qui lui sont inspirés par la découverte de la Cinquième Symphonie, en 1809, il pose parmi les premiers jalons d’une vision qui jouira d’une postérité particulièrement durable. Ce Beethoven de l’immense et de l’incommensurable, c’est le Beethoven «héroïque», le compositeur des Troisième et Cinquième Symphonies, le grand sourd combattant l’adversité, celui qui veut «saisir le destin à la gueule», comme il le confie en 1801 à l’ami Wegeler. Dans cette vision, le compositeur de la Quatrième Symphonie, lui, déroute quelque peu. Alors qu’ils furent prompts à filer la métaphore des pics ou des chaînes de montagne s’élançant vers les cieux, déchirant les nuages, à propos d’un certain nombre de symphonies de Beethoven, les musicologues dès le milieu du XIXe siècle recourent plutôt, à propos de cette symphonie, à l’image de la vallée verdoyante. Quant à Schumann, qui expliquait en 1839 : «Lorsqu’un Allemand parle de symphonie, il parle de Beethoven : ce sont pour lui des termes inséparables et synonymes», et qui exhortait ses lecteurs à ne pas s’intéresser qu’à la Neuvième, il surnomme (par le biais de Florestan, l’un de ses doubles de papier) la Quatrième la «svelte demoiselle grecque» (la seconde partie de la citation qui lui est attribuée, «entre deux géants nordiques» – comprendre les Troisième et Cinquième Symphonies –, semble en revanche apocryphe). La tendance générale est donc à opposer cette symphonie aux autres, à la considérer comme un pas de côté, voire un arrêt momentané, dans une trajectoire quasi téléologique ; peut-être est-ce pour cette raison qu’elle est relativement peu interprétée par rapport aux Symphonies nos 3, 5, 6, 7 et 9.
«L’art prodigieux de la mise en œuvre disparaît complètement»
Avant de basculer dans le traditionnel tempo allegro, la Quatrième Symphonie commence pourtant dans le plus pur style dramatique beethovénien ; tempo adagio, mode résolument mineur, tonalités ambiguës, zigzags de tierces, rythmes «soupirants», tessiture plutôt grave. Le goût beethovénien de la surprise prend ici une nouvelle dimension : c’est, comme le fait remarquer non sans humour Leonard Bernstein, la symphonie entière qui apparaît, après cet Adagio liminaire, comme une surprise – même si elle n’est pas exempte de traits dramatiques apparaissant ici ou là. Le premier mouvement fait preuve d’une gestion consommée du suspense (introduction mais aussi zones d’attente autour du développement) et de l’énergie (thèmes rapides avec notes répétées et broderies, «groupes fusées»), tandis que l’Adagio suivant est un véritable moment de poésie. «C’est tellement pur de formes, l’expression de la mélodie est si angélique et d’une si irrésistible tendresse, que l’art prodigieux de la mise en œuvre disparaît complètement. On est saisi, dès les premières mesures, d’une émotion qui, à la fin, devient accablante par son intensité ; et ce n’est que chez l’un des géants de la poésie, que nous pouvons trouver un point de comparaison à cette page sublime du géant de la musique», écrivait à son propos Berlioz vers 1833 dans ce qu’il appellera ensuite Étude critique des symphonies de Beethoven. Venant répondre par deux fois au solide scherzo, le trio mêle humour et puissance, notamment rythmique, tandis que le finale renoue avec la détermination de l’Allegro initial, qu’il mâtine de figures tournoyantes.
Composée lors de la fertile et heureuse année 1806, qui verra naître aussi le Quatrième Concerto pour piano et les trois Quatuors «Razoumovski», cette Quatrième Symphonie parfois trop vite oubliée (certains ouvrages sur Beethoven ou la symphonie n’en parlent qu’à peine), dans laquelle Beethoven semble tenir compte de certaines critiques qu’avait soulevées la précédente, notamment en termes de durée, revient à l’essence de la musique elle-même, sans se parer d’aucun titre, programme ni même anecdote (point de «grand homme» ici…) : comme l’expliqua Donald Francis Tovey dans les années 1930, «l’une de ses caractéristiques majeures est sa façon de confronter, questionner et réinterpréter de manière créative la tradition de Haydn et Mozart» (Mark Christopher Ferraguto). C’est peut-être entre autres pour cette raison – car son caractère brillant et techniquement exigeant faisait également de la Quatrième une œuvre dans laquelle faire montre de ses qualités de direction d’orchestre – que Mendelssohn, le «classique des romantiques», la choisit pour couronner son premier concert à la tête de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, en octobre 1835.
– Angèle Leroy
Beethoven, Symphonie n° 7
Composition : hiver 1811-mai 1812.
Création : Vienne, 8 décembre 1813, sous la direction du compositeur.
Composée près de quatre ans après la Sixième Symphonie, «Pastorale», la Septième Symphonie fut créée dans un climat de fièvre patriotique, marqué par le soulèvement de la Prusse et de l’Autriche contre un Napoléon affaibli par la campagne de Russie et la défaite contre Wellington. Le mécanicien de la cour, Johann Nepomuk Maelzel (inventeur du métronome), avait organisé deux concerts (8 et 12 décembre 1813), au profit des blessés de la bataille de Hanau (30 octobre 1813). On devait y entendre la Septième Symphonie ainsi qu’une œuvre écrite par Beethoven pour un instrument de sa fabrication, le panharmonica, et transcrite à cette occasion pour l’orchestre. Les accents guerriers de cette composition, intitulée La Victoire de Wellington, ou La Bataille de Vitoria, scandée par des coups de canon, suscitèrent l’enthousiasme du public au point d’éclipser quelque peu la Septième Symphonie. Mais lors de la seconde exécution, le 12 décembre, cette dernière fut très vivement appréciée et l’Allegretto bissé.
La Septième Symphonie fut perçue dans ce contexte comme un hymne à la rébellion et à la liberté, et fut même affublée de programmes aussi détaillés que grotesques, qui agacèrent le compositeur. En effet, à part quelques échos de musique militaire dans le finale, elle s’impose, contrairement aux Cinquième et Sixième Symphonies, comme une œuvre dénuée de références autobiographiques précises et comme une recherche d’abstraction. Le retour à l’effectif orchestral des dernières symphonies de Haydn et Mozart semble témoigner d’une volonté de servir les idéaux du style classique, dans une construction dont les proportions sont portées à des dimensions monumentales. Le matériau thématique y apparaît plus simple, comparé à celui des œuvres précédentes, et affiche même une certaine impersonnalité qui donne à l’œuvre un caractère énigmatique. Cette simplification drastique met en lumière une logique des tonalités qui se révèle un puissant moteur, tandis que l’animation rythmique est porteuse d’une vitalité irrésistible, qui suggéra à Richard Wagner le sous-titre (au demeurant bien contesté) d’«Apothéose de la danse».
Le premier mouvement s’ouvre par une longue introduction, grandiose portail de l’œuvre entière. Les trois tonalités principales de la symphonie y sont entendues : le ton de la majeur, «encadré» par les deux tons de fa majeur et de do majeur (situés respectivement une tierce au-dessous et au-dessus de la). Le Vivace qui suit est dominé par un rythme de saltarello qui unifie les thèmes et leur communique une ivresse bondissante.
L’Allegretto oppose à l’exubérance du premier mouvement la mélancolie de son thème poignant, lui aussi construit sur un rythme obsédant, énoncé par les cordes graves et introduit par un accord expressif des vents. Trois variations suivent : la première fait entendre un contrechant des violoncelles, qui s’impose comme le véritable thème du mouvement. Le compositeur organise une progression qui conduit au volet central (en la majeur), d’un lyrisme chaleureux, soutenu par le rythme de la première partie. Le retour de cette dernière est marqué par la poursuite du principe de la variation, qui donne naissance à un épisode fugué.
Le Presto est un scherzo virtuose qui déploie un thème d’une verve tout italienne, traité d’une façon bien germanique dans un luxe de développement thématique et de modulations. Le trio contraste par sa facture très rustique, rehaussée cependant par une orchestration raffinée.
Le finale est une puissante forme sonate, riche en contrastes violents, qui fait entendre une contredanse endiablée, elle-même fondée sur un rythme présenté dans l’introduction sous la forme d’un impact (aux cordes) et de sa double répercussion (aux bois) : geste très moderne qui confère à cette formule la valeur d’une charge explosive dont la portée se fait sentir jusqu’aux dernières mesures.
– Anne Rousselin