Programme
Études nos 1, 2, 3, 6, 9, 11, 14, 15 et 16
Préludes nos 1, 2, 5, 16 et 17 du Premier Livre du Clavier bien tempéré
Préludes nos 12 et 20 du Second Livre du Clavier bien tempéré
Durée : 1h15 sans entracte.
Déroulement détaillé
· Philip Glass : Étude n° 1
· Philip Glass : Étude n° 2
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 1 (Livre 1)
· Philip Glass : Étude n° 11
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 5 (Livre 1)
· Philip Glass : Étude n° 15
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 16 (Livre 1)
· Philip Glass : Étude n° 16
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 17 (Livre 1)
· Philip Glass : Étude n° 14
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 20 (Livre 2)
· Philip Glass : Étude n° 6
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 12 (Livre 2)
· Philip Glass : Étude n° 3
· Johann Sebastian Bach : Prélude n° 2 (Livre 1)
· Philip Glass : Étude n° 9
Distribution
Vanessa Wagner piano
Introduction
Vanessa Wagner a été l’une des premières pianistes, en France, à jouer la musique de Philip Glass. Cette curiosité a pu lui être reprochée, les pièces du compositeur minimaliste américain ayant la réputation de présenter peu de difficultés techniques. Or, s’insurgeait la pianiste auprès de l’hebdomadaire Télérama : «Ce n’est pas parce que certaines pages sont faciles à jouer qu’on doit laisser toute son œuvre aux amateurs. Chez Glass, c’est comme chez Bach : la moindre fausse note s’entend.» Preuve est faite de la portée de ces études hypnotiques dans un programme où elles répondent – à presque trois siècles d’intervalle – à un ensemble fondateur de la musique occidentale, Le Clavier bien tempéré de Bach. Un éloge du rythme, de l’harmonie et du contrepoint dans ce qu’ils ont de plus pur, de plus transcendant. Si ces deux ensembles partagent une relative simplicité de langage, une portée pédagogique, ils ont également en commun une élaboration étalée sur plusieurs décennies. Le Premier Livre du Clavier bien tempéré date de 1722 et le Second naquit vingt-deux ans plus tard ; la composition des Études, commencée en 1991, a occupé Glass jusqu’en 2012. Mais le lien est plus intime encore : lors de ses études de musique, le jeune Glass avait fait son pain quotidien du Clavier bien tempéré et de ses deux Livres, constitués chacun de vingt-quatre préludes et fugues parcourant, dans l'ordre chromatique, les douze tonalités majeures et douze tonalités mineures de la musique classique occidentale.
Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon
Les œuvres
Faire de la musique de Bach le support essentiel de son apprentissage instrumental n’est pas, à proprement parler, d’une grande originalité ; en leur époque déjà, Mozart et Beethoven appréciaient le Clavier bien tempéré dont des copies manuscrites circulaient afin de servir à l’instruction des jeunes musiciens. Dans ses Paroles sans musique, Philip Glass raconte comment, à l’âge de 10 ans, il jouait au sein d’un petit orchestre qui reprenait les messes et les cantates de Bach à l’église. Il raconte aussi comment, des années plus tard, Bach a accompagné ses études auprès de Nadia Boulanger. Chaque semaine, les chorals lui servaient d’exercice de lecture ou de chant, et une année de cours a été consacrée à l’analyse du premier livre du Clavier bien tempéré. Mais c’est un camarade de l’Université de Chicago, ancien élève de la Juilliard School, qui a fait des partitions de Bach le socle de sa technique pianistique :
«Mon intérêt pour le piano s’est manifesté si tôt que je ne pourrais le dater précisément. Enfant, quand je ne jouais pas de la flûte, j’étais souvent assis au quart-de-queue familial. Après l’école, je me précipitais au piano. Mais c’est avec Marcus [Raskin] que j’ai réellement travaillé la technique pianistique. C’est lui qui m’a appris les gammes, fait faire des exercices et poussé à jouer Bach. Plus tard, quand j’ai étudié à Paris avec Nadia Boulanger, la musique de Bach est devenue mon programme quotidien, mais dès 1952 et 1953, Marcus m’avait donné une longueur d’avance.»
Si les Études de Philip Glass se marient aussi bien avec les préludes du Clavier bien tempéré (1722 pour le Premier Livre, 1744 pour le Second), n’est-ce pas du fait que les deux ouvrages ont une profonde nature didactique tout en dépassant le cadre restreint de l’exercice ? Ainsi en est-il pour le Prélude en do mineur du Premier Livre, dont une version moins développée apparaît déjà dans le Petit Livre de clavier du fils aîné de Bach, Wilhelm Friedemann. Mais le véritable point de convergence entre le Clavier bien tempéré et les Études se cache probablement ailleurs dans leur propre histoire. La composition de chacun des cycles s’est étalée sur plus de deux décennies, faisant de leurs deux livres respectifs les témoins de magnifiques trajectoires créatrices. Entamée en 1991, la composition des Études s’est ainsi achevée en 2012. En 1994, Philip Glass a présenté une première série de six études à l’occasion du cinquantième anniversaire du pianiste et chef d’orchestre Dennis Russell Davies (numéros 2, 3, 4, 5, 9 et 10). D’autres pièces ont suivi, profitant parfois de commandes spécifiques, en 1994 pour le programme musical d’une radio publique new-yorkaise, deux ans plus tard pour le Festival de Sydney. Après quelques années d’interruption, Philip Glass s’est remis à l’ouvrage et, en 2007, il a interprété une première intégrale provisoire. Le Livre 2 s’est refermé en 2012 avec trois dernières études destinées au Festival de Perth, à l’occasion du 75e anniversaire du compositeur :
«Le Livre 1 avait un double objectif : explorer une variété de tempi, de textures et de techniques pianistiques. Il se voulait également un outil pédagogique pour améliorer mon jeu pianistique. À ces deux égards, le Livre 1 a été un franc succès. J’ai beaucoup appris sur le piano et, au fil de mon apprentissage musical, je me suis amélioré. […] Bien que j’aie réglé les questions de technique pianistique dans le Livre 1, la musique du Livre 2 a rapidement suggéré une série de nouvelles aventures en matière d’harmonie et de structure. Ainsi, les Livres 1 et 2, pris ensemble, suggèrent une véritable trajectoire, incluant un large éventail de musiques et d'idées techniques.»
Chaque livre du Clavier bien tempéré comprend vingt-quatre paires composées d’un prélude et d’une fugue, dans l’ordre de la gamme chromatique, en faisant alterner tonalités majeures et mineures. Avant Bach, Johann Kuhnau et Johann Caspar Ferdinand Fischer avaient déjà associé de telles pièces, opposant la liberté du prélude aux règles formelles plus strictes de la fugue. Au fil des préludes du Premier Livre, on reconnaît ainsi le style brisé des clavecinistes français et les improvisations harmoniques du stylus fantasticus, la virtuosité de la toccata et le contrepoint imitatif de la sonate en trio. À trois voix, le Seizième Prélude est impressionnant dans sa façon d’organiser la polyphonie, faisant passer les trilles d’une partie à l’autre et superposant des idées de natures contradictoires. Autant d’exemples livrés, selon Bach, à «la jeunesse musicienne avide d’apprendre, et aussi pour le passe-temps de ceux qui sont déjà habiles en cette étude».
Les Études de Philip Glass procèdent un peu de même puisque chacune doit pouvoir être abordée par le jeune musicien comme par l’interprète confirmé. Si l’on y reconnaît les structures répétitives et les couleurs harmonies du minimalisme américain, les arpèges de la deuxième étude rappellent, pour quelques mesures du moins, le célèbre Prélude en ut majeur qui ouvre le Premier Livre de Bach. Les techniques se succèdent : accords, pivot de la main autour du pouce, croisement des mains, dessin de la mélodie au cœur des textures… Jamais de virtuosité pure. Quelques pages plus lentes se rapprochent plus du nocturne. Dans le Livre 2, les formes paraissent plus développées. La matière pianistique s’affine, rendant les formules thématiques encore plus envoûtantes. Au détour d’une Dix-septième Étude kaléidoscopique, des images du Truman Show ressurgissent, et à travers le film de Peter Weir renvoient à des partitions encore plus anciennes. Et Philip Glass lui-même de rappeler que chacun peut s’approprier ses Études : «Si l’on doit se souvenir de moi, ce sera grâce à ces Études, parce que tout le monde peut les jouer.»
– François-Gildas Tual