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Notes de programme

Pergolesi, Stabat Mater

lun. 24 nov. | mar. 25 nov. 2025

Programme détaillé

Francesco Durante (1684-1755)
Concerto pour cordes à quatre n° 5, en la majeur

I. Presto
II. Largo
III. Allegro

[7 min]

Domenico Scarlatti (1685-1757)
Salve Regina pour alto et cordes, en sol majeur

I. Salve Regina
II. Ad te clamamus : Andante
III. Exsules filii Evae : Grave
IV. Ad te suspiramus : Adagio
V. Eja ergo : Andante
VI. Nobis post hoc exsilium ostende
VII. O clemens : Adagio
VIII. Amen : Allegro

[13 min]

Leonardo Leo (1694-1744)
Salve Regina pour soprano et cordes en fa majeur

I. Largo
II. Allegro
III. Largo
IV. Allegretto

[19 min]

 

--- Entracte ---

Pietro Antonio Locatelli (1695-1764)
Sinfonia funebre composta per l’esequie della sua donna, che si celebrano in Roma, en fa mineur, op. 2

[Symphonie funèbre composée pour les obsèques de sa femme, célébrées à Rome]

I. Lamento : Largo
II. Alla breve ma moderato
III. Grave
IV. Non presto
V. La Consolazione : Andante

[10 min]

Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)
Stabat Mater

I. Duetto : Stabat Mater dolorosa
II. Aria : Cujus animam gementem
III. Duetto : O quam tristis et afflicta
IV. Aria : Quæ mœrebat et dolebat
V. Duetto : Quis est homo
VI. Aria : Vidit suum dulcem natum
VII. Aria : Eja Mater fons amoris
VIII. Duetto : Fac, ut ardeat cor meum
IX. Duetto : Sancta Mater, istud agas
X. Aria : Fac ut portem Christi mortem
XI. Duetto : Inflammatus et accensus
XII. Duetto : Quando corpus morietur

Distribution

Le Concert d’Astrée
Emmanuelle Haïm 
direction
Emőke Baráth soprano
Carlo Vistoli contre-ténor

Introduction

Une semaine avant le Vendredi saint, dans la Naples baroque, toute la population défilait en processions bigarrées pour célébrer la Vierge des Sept Douleurs. On chantait alors le Stabat Mater, récit des souffrances de Marie au pied de la croix où avait été crucifié son fils, Jésus. En 1736, quelques mois avant sa mort à l’âge de 26 ans, Pergolèse reçut la commande d’un nouveau Stabat Mater en remplacement de la version précédente, œuvre d’Alessandro Scarlatti. Meurtri par la maladie, il sublima ce texte bouleversant en une musique d’une grande douceur, où deux voix solistes s’enlacent dans une danse étroite, aussi sensuelle que douloureuse. Plusieurs pages contemporaines précèdent ce chef-d’œuvre du répertoire baroque : un concerto grosso de Francesco Durante, professeur de Pergolèse à Naples ; le Salve Regina que Domenico Scarlatti composa à Rome avant de faire carrière dans la péninsule Ibérique, où il composa ses quelque 550 sonates pour clavecin ; celui de Leonardo Leo, tout à la gloire de la voix ; et enfin la Sinfonia funebre de Pietro Antonio Locatelli, composée pour les obsèques d’une Romaine dont le nom est inconnu, pièce singulière dans la production de ce virtuose du violon qui chemine de la «Lamentation» à la «Consolation».

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Durante, Concerto pour cordes à quatre n° 5

Pédagogue célèbre, Francesco Durante (1684-1755) forma Pergolèse au Conservatoire des pauvres de Notre Seigneur Jésus Christ de Naples dans les années 1720. Son œuvre comprend, outre une importante production destinée à l’église, des pièces pour clavier, ainsi que quatorze concertos. Né du développement du stile concertato du premier baroque, le concerto grosso apparaît dans le dernier quart du XVIIe siècle. Il oppose un petit groupe de solistes virtuoses au reste de l’orchestre, jouant ainsi de contrastes de textures (oppositions de registres, d’effectifs, de nuances), tout en s’adaptant aux principes formels de la sonate ou de la suite de danses, comme c’est le cas dans le Concerto pour cordes à quatre n° 5. En deux parties répétées (la seconde transposant la première au ton de la dominante), le Presto initial fait alterner vigoureux tuttis en homorythmie et solos de violons en tierces parallèles. Après un Largo central dans le mode mineur, l’Allegro final, dans un rythme ternaire, retrouve le caractère enlevé du premier mouvement.

– Coline Miallier

Scarlatti, Salve Regina

Composition : probablement à Rome, lorsque Scarlatti était maître de chapelle à la basilique Saint-Pierre de Rome (1713-1719).

Napolitain d’origine, Domenico Scarlatti (1685-1757) s’exila au Portugal puis en Espagne pour s’émanciper de la tutelle de son père Alessandro, grand compositeur d’opéra qui exerçait une forte pression sur la vie artistique de son fils. S’il est surtout connu pour ses très nombreuses sonates pour clavier, Domenico Scarlatti écrivit pourtant quinze opéras et de nombreuses œuvres sacrées, aujourd’hui méconnues (à l’exception du célèbre Stabat Mater), toutes composées avant son départ pour l’Espagne, alors qu’il était maître de chapelle à la Cappella Giulia de la basilique Saint-Pierre de Rome (1713-1719). En sept parties suivies d’un «Amen», le Salve Regina frappe par ses couleurs harmoniques audacieuses (constants changements entre modes majeur et mineur, chromatismes, modulations lointaines) et la plénitude sonore de sa ligne vocale. Ample, très conjointe, cette dernière évoque fréquemment l’opéra dans de petites cadences virtuoses, à l’instar de celle qui clôt la première partie de l’œuvre, ou par la brillance de certains passages («Ad te clamamus»).

– C. M.

Leo, Salve Regina

Compositeur d’opéra et d’oratorios, Leonardo Leo (1694-1744) resta attaché durant toute sa carrière à la cour du vice-roi de Naples, dont il devint finalement maître de chapelle en 1744, après la mort d’Alessandro Scarlatti et le départ de Johann Adolf Hasse pour Dresde. 

Caractéristique du style élégant et très expressif de Leo, le Salve Regina pour soprano et cordes en fa majeur est structuré en quatre arias bipartites, dans lesquelles se déploient de longues lignes mélodiques legato. Soutenue par des harmonies claires et une ligne de basse déliée, l’œuvre s’inscrit dans un style proche du style galant d’où émergera le classicisme. 

– C. M.

Locatelli, Sinfonia funebre

De nationalité italienne, Pietro Antonio Locatelli (1695-1764) passa une grande partie de sa vie à Amsterdam. L’œuvre de ce violoniste virtuose comprend essentiellement de la musique instrumentale – concertos grossos et concertos de soliste, sonates, caprices d’une redoutable difficulté technique. D’abord proche stylistiquement de celui d’Arcangelo Corelli, son travail se rapproche ensuite de celui d’Antonio Vivaldi par sa flamboyance et sa richesse harmonique. 

En cinq mouvements, la Sinfonia funebre s’ouvre sur un «Lamento» tragique, évoquant irrésistiblement le début du Stabat Mater de Pergolèse par ses vibrantes dissonances (retards, pédales, accords diminués) et l’avancée inéluctable de sa basse. Un bel «Alla breve ma moderato» lui succède, entièrement construit en contrepoint imitatif. Contrastant avec le mode mineur du mouvement précédent, un «Grave» déploie un ostinato de rythmes lombards (brève / longue), avant un mouvement «Non presto » léger et dansant par son jeu d’alternance entre trio de cordes et basse continue. Des cinq mouvements, c’est le plus proche du concerto grosso. Enfin, «La Consolazione» clôt l’œuvre dans un style étonnamment moderne évoquant celui de Joseph Haydn. 

– C. M.

Pergolesi, Stabat Mater

Commande : Confraternità dei Cavalieri della Vergine dei Dolori [Confraternité des chevaliers de la Vierge des douleurs] de Naples. Composition : hiver 1735 (Naples) - 1736 (Pozzuoli, monastère des Pauvres Capucins).
Création : Naples, église San Luigi di Palazzo, février 1736.

À l’instar de Mozart, Jean-Baptiste Pergolèse (de son nom italien Giovanni Battista Pergolesi) est devenu une figure légendaire peu de temps après sa mort prématurée, qui survint le 17 mars 1736, des suites d’une tuberculose foudroyante. Ainsi, dès 1739, dans une de ses Lettres d’Italie, le président du Parlement de Bourgogne, Charles de Brosses, n’hésite-t-il pas à le présenter à ses lecteurs français comme l’un des plus grands compositeurs du siècle : 

«Parmi tous ces musiciens, mon auteur d’affection est le Pergolèse. Ah ! Le joli génie, simple et naturel. On ne peut pas écrire avec plus de facilité, de grâces et de goût.» 

La destinée inédite de deux pièces, aux proportions pourtant modestes, est la cause principale de cette surprenante gloire post mortem. Celle, tout d’abord, de La serva padrona [La Servante maîtresse] : un intermezzo créé sans éclat à Naples en 1733 et repris «avec un succès de fureur» (selon Castil-Blaze) à Paris en 1752, déclenchant alors la fameuse «querelle des Bouffons». Celle, ensuite, du Stabat Mater, qui connut une faveur extraordinaire dans l’Europe des Lumières, en particulier après son exécution triomphale à la société du Concert spirituel à Paris, en 1753. 

Pergolèse n’avait pourtant achevé ce chef-d’œuvre que quelques jours avant sa mort. Certains littérateurs ont avancé qu’il l’aurait écrit à l’agonie, invitant à un nouveau rapprochement avec Mozart et les circonstances tragiques de l’écriture de son Requiem

Dans ces deux cas, l’invention romanesque a supplanté la vérité historique. En effet, l’examen attentif du manuscrit autographe de Pergolèse (que le compositeur mourant avait légué à son maître, Leonardo Leo) révèle que cette ultime partition fut conçue en plusieurs étapes. Elle avait été commandée par la Confraternité des chevaliers de la Vierge des douleurs de Naples, plus précisément par l’intermédiaire de Domenico Marzio IV Carafa, duc de Maddaloni, au service duquel se trouvait le musicien. L’œuvre devait être interprétée chaque vendredi de Carême, à l’église franciscaine San Luigi di Palazzo, en remplacement du Stabat Mater d’Alessandro Scarlatti que l’on jugeait déjà démodé (il n’avait pourtant été composé qu’une vingtaine d’années auparavant). 

«Une écriture éprise de sensualité»

Pergolèse adopte pour son œuvre une structure quelque peu archaïsante : un motet en douze sections, sans récitatif, où alternent solos et duos vocaux sur un accompagnement de quatre parties de cordes et de la basse continue. Le compositeur a renoncé au contrepoint savant, traditionnellement associé au style religieux, au profit d’une écriture plus moderne, éminemment expressive, emplie de dissonances savoureuses et d’effets pathétiques. Le chant respecte scrupuleusement la prosodie du texte, attribué au franciscain Jacopone da Todi (mort en 1306), organisé en vingt tercets rimés de mètre octosyllabique. 

Le Stabat Mater de Pergolèse connaît une rapide diffusion à travers toute l’Europe. Johann Sebastian Bach le parodie dans son motet Tilge, Höchster, meine Sünden (BWV 1083), bâti sur le Psaume 51. Après son triomphe au Concert spirituel, l’œuvre est reprise dans toute l’Europe avec un succès jamais démenti, non sans toutefois subir d’improbables métamorphoses. Ainsi une version traduite en anglais par Alexander Pope paraît-elle en 1754 chez l’éditeur de Haendel, John Walsh. Par la suite, les Italiens Giovanni Paisiello et Antonio Salieri, l’Allemand Johann Adam Hiller et le Russe Alexeï Fiodorovitch Lvov réécriront l’œuvre pour de plus larges effectifs, à la fois vocaux, choraux et orchestraux, aux antipodes de la simplicité dépouillée de l’original pergolésien. 

Si la musique du Stabat Mater a tant séduit les hommes du siècle des Lumières et ceux de notre temps, c’est sans doute en raison de l’intensité de son expression. Tout au long de l’œuvre, Pergolèse instille une théâtralité, un pathétisme et un goût mélodique plus proche de l’opéra que de la tradition ecclésiastique. On assiste dans le Stabat Mater à la fusion d’une écriture éprise de sensualité et d’un langage destiné au cœur plutôt qu’à l’esprit. On comprend alors que Jean-Jacques Rousseau, ardent promoteur de l’«esthétique du sentiment», se soit enflammé pour ce Stabat Mater

«Le premier verset du Stabat Mater est le plus parfait et le plus touchant qui soit sorti de la plume d’aucun musicien.»

Denis Morrier

Stabat Mater, texte latin

I. Duetto : Stabat Mater dolorosa
Stabat Mater dolorosa, 
Juxta crucem lacrimosa, 
Dum pendebat filius.

II. Aria : Cujus animam gementem
Cujus animam gementem, 
Contristatam ac dolentem, 
Per transivit gladius.

III. Duetto : O quam tristis et afflicta
O quam tristis et afflicta, 
Fuit illa benedicta 
Mater unigeniti !

IV. Aria : Quæ mœrebat et dolebat
Quæ mœrebat et dolebat, 
Et tremebat dum videbat 
Nati pœnas in clyti.

V. Duetto : Quis est homo
Quis est homo qui non fleret, 
Christi Matrem si videret, 
In tanto supplicio ?

Quis non posset contristari 
Piam Matrem contemplari 
Dolentem cum Filio ? 

Pro peccatis suæ gentis, 
Vidit Jesum in tormentis 
Et flagellis subditum.

VI. Aria : Vidit suum dulcem natum
Vidit suum dulcem natum 
Morientem desolatum 
Dum emisit spiritum.

VII. Aria : Eja Mater, fons amoris
Eja Mater, fons amoris, 
Me sentire vim doloris
Fac ut tecum lugeam.

VIII. Duetto : Fac, ut ardeat cor meum
Fac ut ardeat cor meum, 
In amando Christum Deum
Ut sibi complaceam.

IX. Duetto : Sancta Mater, istud agas
Sancta Mater, istud agas, 
Crucifixi fige plagas, 
Cordi meo valide.

Tui nati vulnerari,
Tam dignati pro me pati,
Pœnas mecum divide.

Fac me vere tecum flere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.

Juxta crucem tecum stare,
Te libenter sociare
In planctu desidero.

Virgo virginum præclara,
Mihi iam non sis amara :
Fac me tecum plangere.    

X. Aria : Fac ut portem Christi mortem
Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari,
Cruce hac inebriari
Ob amorem Filii. 

XI. Duetto : Inflammatus et accensus
Inflammatus et accensus
Per te, Virgo, sim defensus 
In die judicii.

Fac me cruce custodiri 
Morte Christi prœmuniri
Confoveri gratia.

XII. Duetto : Quando corpus morietur
Quando corpus morietur 
Fac ut animæ donetur 
Paradisi gloria.

Stabat mater, texte français

I. Duo : Stabat Mater dolorosa
La Mère se tenait debout, douloureuse,
En larmes, au pied de la croix
Où pendait son Fils.

II. Air : Cujus animam gementem
Son âme gémissante,
Brisée et endolorie
Était transpercée par le glaive.

III. Duo : O quam tristis et afflicta
Qu’elle était triste et affligée
La Mère bénie,
La Mère du Fils unique.

IV. Air : Quæ mœrebat et dolebat
Qu’elle avait mal, qu’elle souffrait, 
Qu’elle tremblait en voyant
Son Fils tourmenté ! 

V. Duo : Quis est homo
Quel homme n’aurait pleuré
En voyant la Mère du Christ
Subissant un tel supplice ? 

Qui aurait pu dans l’indifférence
Contempler la pieuse Mère
Souffrant avec son Fils ?

Elle vit Jésus être tourmenté
Pour les péchés de son peuple
Et subir la flagellation.

VI. Air : Vidit suum dulcem natum
Elle vit son doux enfant 
Mourir dans la désolation 
À l’heure où il rendit l’esprit.

VII. Air : Eja Mater, fons amoris
Mère source d’amour,
Fais que je partage ta douleur
Pour que je pleure avec toi. 

VIII. Duo : Fac, ut ardeat cor meum
Fais que mon cœur s’enflamme
Dans l’amour du Christ mon Dieu
Et que je puisse lui plaire.

IX. Duo : Sancta Mater, istud agas
Mère sainte, daigne imprimer 
Dans mon cœur 
Les plaies du Crucifié. 
 
Que ton enfant meurtri
Qui daigna souffrir pour moi
Partage avec moi ses tourments.

Permets qu’avec toi je pleure
Pour souffrir avec le Crucifié
Et cela tant que je vivrai.
 
Je désire auprès de la Croix
Me tenir, debout à tes côtés,
Dans ta plainte.

Vierge choisie entre les vierges,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.

X. Air : Fac ut portem Christi mortem
Du Christ fais-moi porter la mort,
Qu’associé à sa passion 
Je revive ses souffrances.

Fais que blessé de ses blessures 
Je sois enivré de la Croix 
Et du sang versé par ton Fils.

XI. Duo : Inflammatus et accensus
Pour que je ne brûle point des flammes éternelles
Ô vierge, que je sois protégé par toi, 
Au jour du jugement.

Fais que la Croix soit ma protection,
La mort du Christ ma garantie,
Sa grâce mon soutien.

XII. Duo : Quando corpus morietur
Quand mon corps va mourir,
Fais que soit donnée à mon âme
La gloire du Paradis.

Les musiciens du Concert d’Astrée

Violon solo
David Plantier

Violons I
Giorgia Simbula, Rozarta Luka, Clémence Schaming

Violons II
Stéphanie Pfister, Agnieszka Rychlik, Yan Ma, Yuki Koike

Altos
Michel Renard, Diane Chmela, Delphine Millour

Violoncelles
Mathurin Matharel, Annabelle Luis

Contrebasse
Ludovic Coutineau 

Luth*
Shizuko Noiri

Orgue* et direction
Emmanuelle Haïm *

*Continuo