Notes de programme

Grigori Sokolov

Dim. 5 déc. 2021

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Générique détaillé

Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana (Fantasien), op. 16 

I. Äußerst bewegt [Extrêmement mouvementé] 
II. Sehr innig und nicht zu rasch [Très intime et pas trop rapide] 
III. Sehr aufgeregt [Très agité] 
IV. Sehr langsam [Très lent]
V. Sehr lebhaft [Très rapide] 
VI. Sehr langsam [Très lent] 
VII. Sehr rasch [Très vite] 
VIII. Schnell und spielend [Rapide et enjoué] 

[38 min]

-- Entracte --

Sergueï Rachmaninov (1873-1943)
Dix Préludes pour piano op. 23

N° 1. Largo
N° 2. Maestoso
N° 3. Tempo di minuetto
N° 4. Andante cantabile
N° 5. Alla marcia
N° 6. Andante
N° 7. Allegro
N° 8. Allegro vivace
N° 9. Presto
N° 10. Largo

[36 min]

Grigori Sokolov piano

En partenariat avec Les Grands Interprètes.

Schumann, Kreisleriana

Composition : avril 1838. 
Dédicace : «À mon ami F. Chopin». 

Lorsqu’il était adolescent, Schumann, fils d’un libraire, éditeur et traducteur de Byron, a longtemps hésité sur sa vocation : musicien ou poète. Ayant dû renoncer à la carrière de pianiste de virtuose, il a pu réaliser par la composition musicale cette double disposition de musicien-poète, imprégné de littérature romantique.

Ce sont les écrits de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) qui ont inspiré le cycle Kreisleriana : c’est en effet sous ce titre que Hoffmann a publié dans les années 1810 une série de nouvelles et fragments censés être écrits par son alter ego imaginaire, le maître de chapelle Johannès Kreisler, musicien extravagant et fantasque doué d’une sensibilité exacerbée. Ce personnage réapparaît ensuite dans Le Chat Murr (1822), roman inachevé entremêlé de fragments biographiques de Kreisler.

Si le dédicataire officiel de l’œuvre musicale est Frédéric Chopin, que Schumann admirait (mais qui, dit-on, ne prit pas la peine de jouer l’œuvre envoyée par son ami), l’inspiratrice secrète en est Clara Wieck, la jeune pianiste virtuose dont Schumann était éperdument amoureux. Son père, Friedrich Wieck (le professeur de piano de Schumann), était opposé à cette idylle et avait séparé les amoureux, qui ne communiquaient plus que par lettres. La correspondance de Schumann nous apprend le secret de son cœur et de sa musique : 

«Quelle musique j’ai en moi maintenant, Clara, et quelles belles mélodies toujours ! Pense que depuis ma dernière lettre, j’ai achevé tout un cahier de nouvelles pièces. Je les appellerai Kreisleriana. Mais c’est toi et une de tes pensées qui y jouent le premier rôle et je te les dédierai – oui, à toi et à personne d’autre – et tu souriras si joliment quand tu t’y retrouveras. Ma musique semble maintenant plus simple et merveilleusement complexe dans cette simplicité, si éloquente et venue du cœur.»
(13 avril 1838)

«Joue quelquefois mes Kreisleriana ! Dans certaines parties, il y a un amour vraiment sauvage, et ta vie et la mienne et beaucoup de tes regards.»
(3 août 1838)

En quelques jours ont jailli de l’imagination de Schumann ces pages musicales hallucinées, vertigineuses et magistrales, où l’inspiration fantastique est le prétexte à explorer les limites de l’expression, les humeurs les plus extravagantes, les élans fiévreux, les rêveries immobiles, les éclats d’ironie ou de rage et les ténèbres inquiétantes. Mais cependant, Schumann a coulé sa fantaisie dans une riche polyphonie, des formes régulières, un agencement précis des mouvements vifs et lents alternés et un enchaînement de tonalités soigneusement construit pour donner à sa pensée l’objectivité nécessaire à une œuvre d’art qui atteint l’universel.

– Isabelle Rouard
 

Rachmaninov, Dix Préludes op. 23

Composition : 1901-1903.
Création : partielle le 10 février 1903, à Moscou, par le compositeur au piano.
Publication : 1904, Moscou, A. Gutheil.

Le déclencheur de la composition des Préludes op. 23 se trouve sûrement dans l’opus précédent, les Variations sur un thème de Chopin op. 22. Celles-ci se fondaient en effet sur un prélude du Polonais (le n° 20 des Préludes op. 28), un musicien que Rachmaninov appréciait particulièrement et qu’il interprétait régulièrement, comme en témoignent d’ailleurs plusieurs enregistrements datant des années 1920. Le travail des variations peut ainsi avoir donné envie à Rachmaninov de composer dans le genre du prélude – d’autant plus que cela lui permettait de prolonger et d’équilibrer le célébrissime prélude en ut dièse mineur publié dans les Morceaux de fantaisie op. 3, un morceau qui lui valut la célébrité mais qu’il finit par détester à force de se le voir réclamer (il l’appelait d’ailleurs dédaigneusement «it», «ça»). Quoi qu’il en soit, le compositeur élabore avec ce cahier de Dix Préludes, complété sept ans plus tard par les Treize Préludes op. 32 (ce qui en porte le nombre total à 24, toutes les tonalités mineures et majeures s’y trouvant représentées, sans ordre systématique cependant), un ensemble qui prend dignement sa place dans l’histoire du genre, et où culmine le pianisme romantique d’un Chopin ou d’un Liszt.

«Un paysage authentiquement russe»

De même que les Morceaux de fantaisie op. 3 furent tissés après coup autour du Prélude en ut dièse mineur qui en forme le deuxième numéro, les Préludes op. 23 naissent vraisemblablement à la suite du cinquième, en sol mineur, qui est le plus connu du lot (et qui se trouve en outre partager certains traits avec son illustre prédécesseur). Il fut d’ailleurs créé avec les deux premiers en même temps que les Variations op. 22, en février 1903, la série n’étant complétée qu’après. Elle présente cependant une unité certaine, en premier lieu dans le style inimitablement russe de l’écriture pianistique de Rachmaninov : «[Les préludes représentent] le sol originel russe… d’un paysage authentiquement russe, non pas imaginé par un esprit enclin ou pittoresque, mais perçu par l’âme sensible du musicien», écrivit ainsi à leur sujet (sous le pseudonyme d’Igor Glebov) Boris Asafiev, qui eut l’occasion de les jouer à plusieurs reprises après leur publication.

Révélant la richesse de la palette expressive de Rachmaninov, les préludes qui composent ce premier recueil sont volontiers virtuoses et d’une grande technicité (en quoi ils rappellent plutôt les Études de Chopin). Ils présentent une grande variété de formes (forme simple monothématique du n° 1 et du n° 10, forme ABA du n° 2 et du n° 5, forme rondo du n° 8…), tout en évoquant qui une romance sans paroles (n° 6), qui un nocturne (n° 10) ou une étude (n° 9). Ici et là, des notes ou accords communs tissent cependant un réseau de liens ténus, tandis que le jeu des tonalités (fa dièse mineur et sol bémol majeur*) place en miroir le premier et le dixième, tous deux notés Largo. «Après tout, dire ce qu’on a à dire, et le dire brièvement, clairement et sans circonlocutions reste le problème le plus difficile pour un créateur» : cette préoccupation que le compositeur exprimera quelque temps plus tard à propos des deux cahiers d’Études-Tableaux est déjà parfaitement rencontrée par ce recueil de Préludes.

– Angèle Leroy

* Fa dièse et sol bémol sont en effet ce que l'on appelle des tonalités enharmoniques : leur nom est différent, mais les deux notes sur lesquelles elles reposent sont identiques sur un clavier.
 

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