◁ Retour au concert du lun. 28 avril 2025
Programme détaillé
Quatuor à cordes en sol mineur, op. 32/5, G 205
I. Allegro comodo
II. Andantino
III. Minuetto – Trio – Minuetto da capo
IV. Allegro giusto
[20 min]
Quatuor à cordes n° 3, en mi bémol majeur
I. Allegro
II. Pastorale : Andantino
III. Minuetto : Allegro – Trio : Plus lent – Minuetto da capo
IV. Presto agitato
[27 min]
--- Entracte ---
La Oración del Torero, op. 34
[La Prière du torero]
I. Introduction brève
II. Pasodoble
III. Andante
IV. Lento
V. Pasodoble (reprise)
[10 min]
Quintette pour guitare et cordes n° 4, en ré majeur, G 448, «Fandango»
I. Pastorale
II. Allegro maestoso
III. Grave assai
IV. Fandango
[27 min]
Distribution
Ana Vidović guitare
Cuarteto Casals : Abel Tomàs et Vera Martínez Mehner, violon – Cristina Cordero, alto – Arnau Tomàs, violoncelle
Introduction
Luigi Boccherini partage avec Joseph Haydn la paternité du genre du quatuor à cordes, Mais c’est plus généralement la musique de chambre qui a dominé la carrière de ce natif de Lucques, qui a mené la majeure partie de sa carrière à la cour d’Espagne : 42 trios à cordes, 91 quatuors à cordes (parmi lesquels les six Quatuors à cordes op. 32 de 1780), 110 quintettes avec deux violoncelles et toutes sortes d’autres formations comme ce quintette avec guitare (l’un des huit nés en 1798-1799) où il rend hommage à sa terre d’adoption en terminant par un fandango. Comme Boccherini, le Basque Arriaga est mort de la tuberculose, mais lui n’avait pas encore fêté ses 20 ans. Né cinquante ans jour pour jour après Mozart, il s’essaie dans la «Pastorale» de son Troisième Quatuor à la musique à programme : bergers et oiseaux dialoguent tandis que l’orage s’annonce. Ses trois quatuors à cordes, composés à l’âge de 16 ans, furent ses seules pièces publiées de son vivant. Avec Turina, enfin, le torero prie dans une chapelle tandis qu’un pasodoble l’appelle déjà dans l’arène. La oración del torero est à l’origine un quatuor de luths (1925) que le compositeur sévillan adapta ensuite pour orchestre à cordes.
(Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon)
Les œuvres
Ce programme intégralement ibérique commence par le troisième et dernier quatuor de Juan Crisóstomo Arriaga. Ce compositeur originaire de Bilbao est un météore dont la précocité l’a fait surnommer «le Mozart espagnol» (il était né, jour pour jour, cinquante ans après Mozart). Virtuose du violon, formé par son père organiste puis envoyé au Conservatoire de Paris, il a été l’élève des meilleurs maîtres : Pierre Baillot pour le violon, et François-Joseph Fétis pour la composition (celui-ci en fit même son assistant dans l’enseignement de l’écriture musicale, en 1823 !). Ses compositions (parmi lesquelles une symphonie, trois quatuors à cordes, des œuvres lyriques et de la musique religieuse) font preuve d’une étonnante maîtrise du style classique, tout en s’ouvrant aux influences de son temps. Malheureusement, ce jeune aigle fut emporté par la tuberculose quelques jours avant son vingtième anniversaire.
Son Troisième Quatuor s’inscrit dans une forme en quatre mouvements parfaitement classique, mais fait preuve d’un lyrisme original et d’un sens de la couleur harmonique qui peuvent faire penser à Schubert. On remarquera, dans le second mouvement, une scène pastorale où des chants d’oiseaux et des mélodies agrestes sont interrompues par l’arrivée soudaine d’un orage, comme dans la Symphonie pastorale de Beethoven. Arriaga a noté des indications précises sur la partition : pájaros (oiseaux), pastores (bergers), principio de tronada (début de l’orage), serenidad (sérénité)… Le «Menuetto», proche d’un scherzo, a un caractère dramatique et mystérieux, mais laisse place à un lumineux trio central, où le premier violon se livre à une danse gracieuse. Le finale est une page d’une écriture dense et très travaillée qui laisse s’épancher, au détour d’un second thème, une plainte poignante (con duolo, avec douleur) jouée initialement au second violon : le romantisme pointe son expressivité nouvelle dans cet univers de perfection classique.
Avec Luigi Boccherini, nous retournons quelques décennies en arrière. Ce compositeur et violoncelliste virtuose n’est pas espagnol, étant né à Lucques, en Toscane, en 1743, d’une famille de musiciens. Il s’installe à Vienne en 1757, et est engagé à l’âge de 14 ans dans l’orchestre de la cour impériale. Il va passer sept ans dans la capitale autrichienne, se produisant également en soliste, s’imprégnant du nouveau style que l’on appellera «classique» et composant ses premiers trios et quatuors à cordes (il est l’un des créateurs de ce genre, en même temps que Joseph Haydn). Boccherini se rend à Paris en 1767, où il est reçu dans les salons aristocratiques et fait éditer ses œuvres instrumentales. L’ayant applaudi au Concert spirituel, l’ambassadeur d’Espagne le persuade de venir à Madrid. Boccherini, âgé de 26 ans, s’installe alors en Espagne et ne quittera plus ce pays d’adoption.
Éloigné des principaux centres musicaux d’Europe, Boccherini peut approfondir son style personnel, notamment dans le domaine de la musique de chambre pour cordes qui forme la majeure partie de ses quelque 561 œuvres recensées, diffusées par l’édition musicale dans le reste de l’Europe. Comparé à Haydn, son aîné de onze ans qu’il admirait sans l’avoir jamais rencontré, Boccherini est un coloriste plutôt qu’un architecte. L’Espagne a marqué son inspiration par des ambiances sonores sensuelles et parfois quelques touches pittoresques, des rythmes de danses, des évocations nocturnes... Sa musique à la fois aristocratique et intimiste peut faire penser à la peinture de genre ou aux cartons de tapisseries de son contemporain et ami le peintre Goya, scènes de la vie quotidienne d’un grand pouvoir d’évocation.
Dans le Quatuor à cordes op. 32/5, publié à Vienne en 1781, on ne trouve pas de tournures spécifiquement espagnoles, mais le compositeur recherche souvent des couleurs originales, notamment dans le trio du «Menuetto», aux sonorités et modes de jeu inattendus : «soave e smorfioso» (doux et chaleureux), «al ponte» (près du chevalet)… Le finale, où le second thème a une saveur toute populaire, comporte une vaste cadence en arpèges pour le premier violon (indiquée «capriccio ad libitum» mais dûment notée !), avant le dernier retour du thème initial.
Dans le catalogue de Boccherini, on trouve neuf quintettes pour guitare, deux violons, alto et violoncelle, datant pour la plupart de 1798, qui sont tous des transcriptions d’œuvres antérieures. Le Quintette avec guitare n° 4 est formé en associant des mouvements issus de deux quintettes avec deux violoncelles (op. 10/6 et op. 40/2). La guitare apporte incontestablement une couleur espagnole, et le violoncelle s’émancipe en fréquents soli dans le registre aigu, gardant ainsi la trace de la formation instrumentale d’origine (Boccherini lui-même tenait volontiers la partie de premier violoncelle dans ses quintettes, dont il s’était fait une spécialité).
Mais c’est surtout dans le finale que se révèle l’inspiration espagnole, avec le célèbre «Fandango» qui tourbillonne de manière hypnotique sur deux accords alternés, et donne l’impression d’une improvisation enjouée où chaque instrumentiste joue tout à tour son solo. Les rythmes martelés évoquent le son des castagnettes et les pas vigoureux des danseurs.
Joaquín Turina est l’un des quatre grands compositeurs qui ont œuvré pour une véritable renaissance de la musique espagnole au début du XXe siècle (avec Albéniz, Granados et Falla). Originaire de Séville, il a évoqué en musique les rythmes et les couleurs de l’Andalousie. La Oración del Torero (La Prière du torero) a été composé à l’origine, en 1926, pour un quatuors de luths, formation qui a eu un succès éphémère alors en Espagne. Elle a été transcrite ensuite pour orchestre à cordes, et pour quatuor à cordes. D’après Turina lui-même, elle a été inspirée par la vision d’un torero en prière dans la chapelle jouxtant l’arène, alors que la foule excitée déjà s’impatiente. Turina en donne une évocation sonore impressionniste aux réminiscences debussystes, traversée par un thème de paso-doble, qui se termine par un Lento, sommet lyrique et expressif de la pièce.
– Isabelle Rouard