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Notes de programme

Ennio Morricone

ven. 23 mai | sam. 24 mai 2025

Retour aux concerts des ven. 23 mai et sam. 24 mai 2025

Programme détaillé

Ennio Morricone
Suite des Huit Salopards

(The Hateful Eight, Quentin Tarantino, 2015)

I. La Dernière Diligence de Red Rock
II. Neige
III. Bestialité, extrait de The Thing (John Carpenter, 1982)

[20 min]

Feuillets épars

I. H2S, extrait de H2S (Roberto Faenza, 1969)
II. Le Clan des Siciliens, extrait du Clan des Siciliens (Henri Verneuil, 1969)
III. Rage et Tarentelle, extraits d’Allonsanfàn (Paolo et Vittorio Taviani, 1974) et Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009)

[10 min]

Suite de Sergio Leone, pour violoncelle et orchestre

I. Thème de Deborah, extrait d’Il était une fois en Amérique (Once Upon a Time in America, Sergio Leone, 1984)
II. Chanson de Cockeye, extrait d’Il était une fois en Amérique
III. Il était une fois en Amérique, extrait d’Il était une fois en Amérique
IV. Thème de Jill, extrait d’Il était une fois dans l’Ouest (Once Upon a Time in the West, Sergio Leone, 1968)
V. L’Extase de l’or, extrait de Le Bon, la Brute et le Truand (The Good, the Bad and the Ugly, Sergio Leone, 1966)

[15 min]

 

--- Entracte ---

Trois Morceaux de Cinema Paradiso

(Nuovo Cinema Paradiso, Giuseppe Tornatore, 1988)

I. Nuovo Cinema Paradiso
II. Totò et Alfredo
III. Première Jeunesse

[8 min]

Deux Pièces pour orgue et orchestre

I. Le roi est mort, extrait de Hamlet (Franco Zeffirelli, 1990)
II. Rencontres à six, extrait de L’Humanoïde (L’umanoide, Aldo Lado, 1979)

[8 min]

Voyage symphonique dans Mission

(The Mission, Roland Joffé, 1986)

I. Remords
II. Pénitence
III. Asunción
IV. L’Épée
V. Le Hautbois de Gabriel

[12 min]

Camera obscura – cinéma italien méconnu 

I. À perdre haleine, extrait d’Une pure formalité (Una pura formalità, Giuseppe Tornatore, 1994) – deux violons solos
II. Le Déguisement, extrait du Retour de Ringo (Il ritorno di Ringo, Duccio Tessari, 1966)
III. La Ruine du voyage, extrait de Mission ultra-secrète (Il federale, Luciano Salce, 1961)
IV. Adieu, montagnes, extrait des Fiancés (I promessi sposi, Salvatore Nocita, 1989)
V. Contre, extrait de Karol, l’homme qui devint pape (Karol, un uomo diventato papa, Giacomo Battiato, 2005)
VI. Finale d’Un concerto romantique interrompu, extrait de Canone inverso – Making Love (Ricky Tognazzi, 2000)

[18 min]

Une production de l’Europäische FilmPhilharmonie (EFPI) en partenariat avec Musica e Oltre Srl –  The Official Ennio Morricone Legacy Company et la Ennio Morricone Estate

Curation et supervision artistique : Fernando Carmena (directeur créatif, EFPI)
Directeur général de l’Europäische FilmPhilharmonie : Ekkehard Jung
Vice-directrice : Beate Warkentien

FilmPhilharmonic Edition : Alexander Duca De Tey (EFPI), Martha Agostini, Corina Ciuplea et Fernando Carmena, ainsi que Thomas Bryła et Nikiforos Crysoloras. 

Tous les matériels d’orchestre sont tirés des manuscrits originaux composés et orchestrés par Ennio Morricone. «Le roi est mort», extrait de Hamlet (Franco Zeffirelli, 1990), et «Rencontres à six» , extrait de L’Humanoïde (L’umanoide, Aldo Lado, 1979), sont présentés en première mondiale lors de ce concert.

Remerciements particuliers à Maria et Giovanni Morricone.

En partenariat avec France Inter.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Frank Strobel 
direction
Alma Bettencourt orgue
Jacques-Yves Rousseau violon
Thomas Gautier violon
Édouard Sapey-Triomphe violoncelle

Oscars, 2016

Le 28 février 2016, à l’occasion de la 88e cérémonie des Oscars, Ennio Morricone lève enfin le trophée de la meilleure musique de film pour Les Huit Salopards. Jamais encore il n’avait obtenu la précieuse récompense sinon pour l’ensemble de carrière, autrement dit pour l’honneur. Et c’est grâce à ce retour au western, le premier depuis 1981 et On m’appelle Malabar avec Burt Spencer, que le compositeur triomphe à Los Angeles. La collaboration avec Quentin Tarantino n’était pourtant pas gagnée d’avance. Grand admirateur de Morricone, le réalisateur a régulièrement puisé dans le catalogue du musicien mais n’a pas réussi à convaincre celui-ci d’écrire pour lui, du fait de délais trop courts et de conceptions musicales différentes. Du moins jusqu’à ces Huit Salopards qui prouvent, si besoin est, qu’Ennio Morricone a su se renouveler depuis ses débuts avec Sergio Leone. Au début des Huit Salopards, ni guimbarde, ni mandoline ou harmonica ; de simples nappes harmoniques et de sombres motifs tournant sur eux-mêmes incarnent les vastes étendues glacées du Grand Ouest. Ne restent plus que la souffrance d’un Christ de pierre gelé, une désolation enneigée à peine troublée par le passage d’une diligence. Mais Morricone ne s’arrête pas au décor ; la tension est déjà à son comble. Pour Tarantino, ce film a des points communs avec l’effroyable Chose de John Carpenter. Dans les deux films, tout est blanc, hostile et froid, et Kurt Russell est de la partie. Mais l’essentiel, c’est qu’ils traitent tous deux d’un seul et même sujet : la paranoïa. D’où un nouvel emprunt à de précédents thèmes d’Ennio Morricone, certains initialement destinés à John Carpenter. Au son de l’horreur extra-terrestre succède celui d’un ignoble massacre dans une pauvre auberge du Far West.

Feuillets singuliers

Il a fallu Ennio Morricone, Le Bon, la Brute et le Truand ainsi que Pour quelques dollars de plus, pour que la guimbarde devienne une des signatures sonores du western. Ainsi ancré dans l’imaginaire américain, l’instrument n’a pas limité ses interventions à ce seul contexte. Accompagné d’un sifflet envoûtant et de cordes pincées, il est tout aussi à son aise quand, dans Le Clan des Siciliens, il introduit la rencontre de trois monstres sacrés du cinéma : Gabin, Ventura et Delon. Et de fait, la question n’est pas tant de trouver un son authentique qu’un son singulier propre à saisir les particularités d’un récit, le caractère d’un personnage, l’ambiance d’un lieu. L’étrangeté a toujours inspiré Ennio Morricone. Jusque dans ce méconnu H2S de Roberto Faenza qui dénonce les structures sociales et les abus de pouvoir en cette fin des années soixante. Aujourd’hui, les chœurs accompagnant les scènes violentes de domination ou de révolte paraissent sans doute plus réussis que certains délires synthétiques, mais les claviers de l’époque n’en partagent pas moins un charme désuet avec les décors déshumanisés et décolorés, les poupées de latex et les machines futuristes de ce monde absurde. Formé à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, Ennio Morricone s’est imaginé compositeur au sens classique du terme avant de se tourner vers le cinéma. Il n’a jamais cessé d’écrire pour le concert, et regrettait qu’on ignore la part la plus personnelle de sa création. Peut-être est-ce pour cela qu’il paraît plus à l’aise avec un grand orchestre qu’avec des instruments comme le synthétiseur ou l’orgue électronique. Dans Allonsanfàn de Paolo et Vittorio Taviani, pour un autre appel à la révolution avec les «Frères sublimes» et Marcello Mastroianni en tête d’affiche, il semble toutefois mieux s’adapter aux timbres des années soixante-dix. Le cadre historique – quoique situé au début du XIXe siècle – lui permet alors de jouer avec les codes formels du baroque, de déformer fugues et autres polyphonies, de faire danser soldats et paysans au rythme d’une tarentelle pour témoigner de la folie des combats.

Amérique

N’en déplaise aux puristes adeptes du cinéma hollywoodien, l’Amérique de Sergio Leone et d’Ennio Morricone n’a jamais eu le goût des spaghetti. Si certains ont été dérangés par l’humour et les excès des productions italiennes, celles-ci n’en ont pas moins saisi une autre facette des États-Unis, portant leur regard sur les affres de l’humanité plutôt que sur un héroïsme idéalisé. L’Amérique de Sergio Leone est donc peuplée de gangsters et de flics corrompus ; c’est un pays où tout semble possible mais où les histoires peuvent se finir mal, où la bonté ne peut pas toujours être détachée de la cruauté. Bien sûr, celle d’Ennio Morricone ne se limite pas aux westerns ; le compositeur a collaboré outre-Atlantique avec John Huston sur La Bible, avec John Boorman sur le second épisode de L’Exorciste, avec Brian de Palma sur Les Incorruptibles et Outrages avant de s’envoler avec le même en Mission pour Mars. Américain, il l’a été suffisamment pour retrouver l’authentique western avec Don Siegel et Sierra Torride, un film réalisé au Mexique. Et puisque nous ne saurions être ici exhaustifs, mentionnons les chiens et loups de John Carpenter, de Samuel Fuller ou de White Nichols, les séquences ensanglantées de U Turn d’Oliver Stone, l’incursion de Gordon Willis dans le monde trouble de l’homosexualité et le voyeurisme depuis Les Fenêtres sur New York. Mais l’Amérique d’Ennio Morricone, ce sont tout d’abord les rues de la ville qui s’ouvrent sur le pont de Manhattan tandis qu’une flûte de Pan entonne la «Chanson de Cockeye» ; un coup de feu éclate, un enfant tombe à terre. Combien la musique est douce pour une telle scène, probablement parce qu’elle a les couleurs jaunies du passé. L’Amérique, c’est aussi le «Thème de Deborah» : un autre flashback, des images de ballerine, l’émotion à l’état pur. Le lyrisme de  Morricone a trouvé sa plus belle interprète dans la voix puissante d’Edda Dell’Orso, également entendue dans la «Chanson de Jill» d’Il était une fois dans l’Ouest et dans «L’Extase de l’or» dans  Le Bon, la Brute et le Truand. Même pour cette course folle dans un cimetière, quand un incroyable mouvement de caméra suit Elli Wallach tourner en rond au milieu des tombes, même quand tout s’arrête pour l’ultime duel, la voix révèle des personnages leurs aspirations et véritable identité. Une voix instrumentale parvenant, tels des violons, à étirer le temps et à extraire le spectateur de l’action pour que celui-ci puisse vraiment ressentir ce qui se passe. Sergio Leone était persuadé que le cinéma devait être vu et entendu à la fois ; si les mélodies de Morricone s’adaptent si bien à la transcription, c’est parce qu’elles savent coller aux images tout en demeurant musique avant d’être cinématographiques.

Temporalités musicales / Histoires de cinéma

Des timbres souvent utilisés par Ennio Morricone, celui de l’orgue est l’un des plus riches par la diversité de ses apparitions, des Huit Salopards pendant que deux hommes luttent contre le blizzard à Hamlet pour annoncer les funérailles du roi. Les deux scènes n’ont rien à voir mais, face à la puissance des éléments comme à l’inéluctabilité de la mort, l’orgue impose sa grandeur. Nous pourrions alors regretter son absence dans L’Umanoide d’Aldo Lado, pâle resucée de Star Wars dépourvue du génie de George Lucas, car c’était un synthétiseur qui s’appropriait un contrepoint fugué alla Bach, admirablement construit mais désormais très daté. Entre l’orgue et le synthétiseur se joue néanmoins la temporalité cinématographique : l’un, sacré, semble ancré par ses imposants buffets et la hauteur de ses tribunes dans la grande histoire ; l’autre, dernier arrivé, a troqué la matière et le souffle contre les artifices de l’électricité ; il est à la fois le présent déjà dépassé et l’idée d’un avenir au potentiel sonore démultiplié.

Parce qu’elle agit sur la temporalité cinématographique, la musique peut faire glisser un récit d’un moment à un autre, accompagner les projections, les retournements ou la nostalgie des personnages. C’est pourquoi son rôle est si important dans Cinema Paradiso, rompant avec l’immédiateté des événements pour chanter les espérances et les regrets. En quittant sa maison, Totò/Salvatore se réalisera dans le cinéma tout en abandonnant une part essentielle de lui-même ; coupées pour satisfaire la censure d’un prêtre, de vieilles séquences recollées le ramèneront vers l’amour dont il s’est détourné. Cinema Paradiso, c’est le cinéma qui fait son cinéma, un cinéma sur l’enfance et sur l’enfance du cinéma. Giuseppe Tornatore y raconte la petite salle de son village. Dans ce film qui traite de la transmission, il est remarquable que la partition soit créditée à Ennio Morricone ainsi qu’à son fils Andrea, reflétant la puissante amitié entre Totò et le projectionniste Alfredo.

Un vol !

1986 aurait dû être l’année de l’Oscar. Mission s’y prêtait parfaitement. Dans un petit village d’Amérique du Sud, jésuites et Guaranis vivaient en harmonie grâce à la musique, pilier du culte chrétien comme de l’éducation et de la socialisation des Indiens. Pour le film de Roland Joffé, Ennio Morricone a mêlé les percussions et vents typiques aux cantiques. Mais c’est une autre partition qui a remporté la suprême récompense, signée par Herbie Hancock pour un vibrant hommage de Bertrand Tavernier au jazz. Ennio Morricone s’en est ému, car la rivale n’était pas à proprement parler originale : «J’ai définitivement senti que j’aurais dû gagner pour Mission, surtout si l’on considère que le lauréat de l’Oscar cette année-là était Autour de minuit, qui n’était pas une musique originale. Il y avait un très bon arrangement de Herbie Hancock, mais il utilisait des morceaux existants. Il ne pouvait donc y avoir aucune comparaison avec Mission. C’était un vol !»

Curieusement, c’est avec Quentin Tarantino qu’Ennio Morricone a convaincu le jury de l’Académie. Curieusement car Quentin Tarantino n’est pas le plus sensible à la nécessité d’une musique inédite spécifiquement conçue pour un film. C’est ainsi qu’il a, dans Inglourious Basterds, repris des thèmes qui avaient été écrits pour Allonsanfàn ou Le Retour de Ringo, ce dernier comptant parmi ses westerns spaghetti préférés. Mais en faisant cela, il démontrait aussi la capacité d’adaptation d’Ennio Morricone à tous les genres. Au suspense avec un mouvement obstiné de cordes stridentes, des glissandos et d’inquiétantes dissonances pour Une pure formalité, troublant face à face de Gérard Depardieu et Roman Polanski à l’inattendu dénouement. Aux ambiguïtés psychologiques du Fasciste, avec une longue mélodie qui se cherche, s’élève progressivement, hésitant entre mineur et majeur dans sa quête de lumière. Dans cette première expérience aboutie de musique de film, Ennio Morricone fait déjà preuve d’un lyrisme envoûtant. Chaque note témoigne de ses solides études à Rome. Le grandiose «Adieu aux montagnes» des Fiancés de Salvatore Nocita, film inspiré par le célèbre poète romantique Alessandro Manzoni,  pourrait être le point de départ d’un mouvement de symphonie. De même l’épisode orchestral aux trémolos de cordes trépidants imaginé pour Karol, l’homme qui devint pape de Giacomo Battiato ; profitant d’un cadre historique et ecclésiastique, Ennio Morricone a convoqué, pour ce téléfilm, aussi bien les chœurs que le grand orchestre ou le piano seul. Et dans Canon inversé – Making Love, c’est le drame d’une famille qui resurgit d’un simple violon. La tragédie d’un double concerto interrompu par les Nazis et l’arrestation des musiciens juifs : le cinéma, c’est aussi une partie de l’histoire de la musique. 

– François-Gildas Tual