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Notes de programme

Grieg / Beethoven

Sam. 11 oct. 2025

Programme détaillé

Edvard Grieg (1843-1907)
Suite Holberg, op. 40

I. Prélude
II. Sarabande
III. Gavotte
IV. Air
V. Rigaudon

[22 min]

David Diamond (1915-2005)
Rounds

I. Allegro, molto vivace
II. Adagio
III. Allegro vigoroso

[15 min]

--- Entracte ---

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie n° 1, op. 21

I. Adagio – Allegro con brio
II. Andante cantabile con moto
III. Menuetto. Allegro molto e vivace
IV. Finale. Adagio – Allegro molto e vivace

[27 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Jennifer Gilbert 
violon et direction

Introduction

Les cordes sont seules dans la première partie de ce concert, partagée entre Edvard Grieg et David Diamond. Dans sa Suite Holberg (ou pour être plus précis Au temps de Holberg, suite dans le style ancien, 1884), le plus grand des compositeurs norvégiens pastiche les danses baroques pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Ludvig Holberg, dramaturge fameux né comme lui à Bergen. Gavotte, sarabande, air, rigaudon… Grieg se glisse dans l’esprit des suites de Bach mais y ajoute son propre tempérament romantique et quelques accents de folklore norvégien. Le contraste est entier avec Rounds de David Diamond, qui reprend une forme de la Renaissance anglaise et l’assaisonne d’une écriture dodécaphonique et de vigoureux rythmes de danses du Far West. L’œuvre était prévue pour remonter le moral des Américains en 1944, et nul doute qu’elle y réussit ! L’orchestre au complet salue enfin l’enthousiasme juvénile de Beethoven, qui à 29 ans ose enfin se mesurer à l’héritage de son maître Joseph Haydn dans cette Première Symphonie à la maîtrise déjà sidérante.

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Grieg, Suite Holberg

Composition : de juin à août 1884 pour la version piano ; la version pour orchestre à cordes est achevée le 11 août 1884.
Création : 3 décembre 1884 pour la version piano ; Bergen (Norvège), 15 mars 1885 pour la version pour orchestre à cordes.

L’année 1884 voit les pays scandinaves célébrer avec faste le 200e anniversaire de Ludvig Holberg (1684-1754), premier grand écrivain et dramaturge nordique de l’époque moderne, souvent surnommé le «Molière norvégien». Les musiciens participent activement à ces commémorations : Johan Svedens (1840-1911) et Edvard Grieg composent ainsi chacun une cantate, tandis que le Danois Niels Gade (1817-1890) dédie à l’écrivain sa suite pour orchestre Holbergiana, op. 61. De juin à août 1884, Grieg écrit également une suite pour piano, intitulée Fra Holbergs tid, Suite i gammel stil, littéralement Au temps de Holberg, suite dans le style ancien ; elle passera à la postérité sous le nom plus simple de Suite Holberg

Comme l’indique le sous-titre, Grieg multiplie les références à la musique des XVIIe et XVIIIe siècles tout au long des cinq mouvements de l’œuvre. Si le modèle des styles baroques français et italien, tout comme celui de compositeurs comme Scarlatti, Bach, Händel, Couperin ou Rameau y est pleinement revendiqué et assumé, Grieg y transcende la seule dimension de pastiche et son propre langage s’y épanouit dans toute sa personnalité et son unicité. Quelques mois après la composition de la suite pour piano, Grieg en réalise une orchestration pour orchestre à cordes, d’une très grande inventivité : les figures éminemment pianistiques de l’original y sont totalement repensées, recomposées, et l’œuvre fait figure de véritable leçon d’orchestration.

Le «Prélude» qui ouvre la suite est une page saisissante, solaire et pleine de vitalité. L’orchestre à cordes y déploie un rythme trépidant, avec magnificence mais non sans esprit, comme en témoignent les pizzicati* espiègles et les véritables dégringolades sonores qui le parsèment. Les deux mouvements suivants évoquent deux danses anciennes : la sarabande, lente et majestueuse, à trois temps ; et la gavotte, vive et légère, à deux temps. Dans la partie centrale de cette dernière, une musette champêtre, accompagnée par un bourdon de quintes à vide** des violoncelles se fait entendre : ce genre typique du baroque français rencontre ici le goût de Grieg pour les musiques traditionnelles. L’«Air» qui suit, particulièrement développé, est d’une poignante intensité expressive. Enfin, l’alerte «Rigaudon» final, interrompu par une section plus lente d’une belle écriture chromatique, évoque le monde du concerto – genre baroque par excellence –, avec un violon et un alto solistes qui se détachent du reste de l’orchestre par leur virtuosité volubile et joyeuse. 

– Nathan Magrecki

* Notes jouées en cordes pincées.
** Notes tenues longuement, à distance de quinte, rappelant le jeu de la cornemuse et de la musette (petite cornemuse jouée dans les milieux aristocratiques français à l’époque baroque, qui a inspiré la danse homonyme).

Diamond, Rounds

Composition : été 1944 à New York.
Création : Minneapolis (États-Unis), 24 novembre 1944, par l’Orchestre de Minneapolis, sous la direction de Dimitri Mitropoulos.

David Diamond occupe une place très singulière parmi les compositeurs de sa génération. Jeune prodige, il s’attire les éloges de Gershwin dès l’âge de 19 ans, mais son langage tonal et son style ancré dans un passé romantique le tiennent éloigné des avant-gardes d’après 1945 ; son succès est éclipsé par celui de ses compatriotes comme Aaron Copland (1900-1990) ou Leonard Bernstein (1918-1990), ce d’autant que sa réception souffre alors de l’homophobie et l’antisémitisme de son temps.

Diamond compose Rounds pour orchestre à cordes en 1944, à la demande du chef d’orchestre Dimitri Mitropoulos : «L’époque est pleine de détresse ; la plupart de la musique difficile que je joue est inquiétante : rendez-moi joyeux.» L’œuvre frappe par sa verve rythmique, son élan tournoyant (proprement celui d’une ronde dansée) et l’immédiateté de ses mélodies, qui semblent provenir de mélodies traditionnelles. Il n’en n’est pourtant rien, comme l’explique Diamond : «Les mélodies sont originales ; elles sonnent comme des mélodies populaires, mais elles sont vraiment l’essence d’un style qui a dû être absorbé par osmose.» Plus encore, Rounds déploie une construction savante, pétrie de contrepoint et pensée à grande échelle ; en effet, le mot round signifie également «canon», procédé contrapuntique qui voit une même mélodie se superposer à elle-même. 

Le compositeur commente ainsi les différents mouvements : «[Dans l’Allegro initial], les différents chœurs que forment les cordes entrent d’une manière canonique stricte en présentant le sujet principal, qui est joué par les altos avant d’être bientôt repris par les violoncelles et les contrebasses. L’Adagio est un mouvement lyrique et expressif, qui joue le rôle de plage de repos entre deux sections rapides. Le dernier mouvement fait de nouveau usage de procédés canoniques caractéristiques, mais il doit être plus spécifiquement analysé comme un contresujet au sujet principal [du premier mouvement], qui aide donc à parachever [en anglais : to round out] l’œuvre entière et à unifier toute sa structure formelle.» Le dernier mouvement voit en effet se mettre en place ce que Diamond nomme une «symétrie sphérique» : le thème présenté au début du mouvement se superpose bientôt à celui qui ouvrait le premier.
 
Dès sa création, l’œuvre rencontre un franc succès et est admirée par les contemporains de Diamond ; Aaron Copland lui-même avouait : «J’aurais aimé avoir écrit cette pièce. Elle marche si bien auprès du public !»

– N. M.

Beethoven, Symphonie n° 1

Composition : 1799-1800.
Création : Vienne, Burgtheater (alors appelé k.u.k. Hoftheater nächst der Burg, littéralement Théâtre impérial et royal de la Cour, près du Burg), le 2 avril 1800, sous la direction du compositeur

Un premier opus symphonique longuement mûri

Le genre de la symphonie, œuvre ambitieuse dédiée à un orchestre au grand complet, n’a concrètement été abordé par Beethoven qu’assez tardivement. Si des esquisses remontant au milieu des années 1790 montrent qu’un tel projet occupait déjà son esprit, ce n’est qu’en 1799-1800 qu’il compose sa Première Symphonie, en vue de la faire interpréter lors du premier grand concert donné à son bénéfice le 2 avril 1800 au Théâtre de la Cour, à Vienne. Beethoven a alors 29 ans et est déjà l’auteur d’un important corpus de musique de chambre, consacré à des effectifs et des genres divers. De cette expérience chambriste, le compositeur a su tirer une maîtrise stylistique et une connaissance profonde de la forme et de l’instrumentation : la charnière des XVIIIe et XIXe siècles le voit donc s’essayer ambitieusement aux grands genres savants que sont la symphonie et le quatuor à cordes, comme en témoigne la mise en chantier non seulement de la Première Symphonie, mais aussi des Quatuors op. 18

Une symphonie entre héritage et innovation

Premier jalon de la trajectoire symphonique de Beethoven, la Première Symphonie témoigne autant sa parfaite assimilation du style de ses prédécesseur que de sa propre personnalité artistique, déjà novatrice par bien des aspects.  Le premier mouvement débute ainsi par une introduction lente, geste hérité de Joseph Haydn (1732-1809), qui fut son professeur ; mais cette même introduction commence par un accord instable, qui étonna beaucoup les premiers auditeurs. L’Andante, écrit en fugato*, n’est pas sans évoquer le mouvement lent de la Quarantième Symphonie de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), mais il se singularise aussi par une orchestration étonnante qui convoque timbales et trompettes, instruments martiaux d’ordinaire plutôt cantonnés aux mouvements rapides, ici employés avec beaucoup de finesse et de douceur. En tête du troisième mouvement, Beethoven place l’indication «Menuetto» [Menuet], qui le rattacherait donc plutôt à la période classique ; mais son tempo, un allegro molto e vivace particulièrement enlevé, et sa vigueur rythmique ouvrent la voie au scherzo romantique. Le finale, également pourvu d’une introduction lente, fait preuve d’un humour très haydnien : l’amorce de son thème principal, une simple gamme ascendante, semble se mettre en place une note après l’autre, avec une hésitation infinie, dans un pénible effort d’un effet drolatique irrésistible. Pour autant, la puissance et la densité de son orchestration, tout comme sa vitalité et son élan, sont déjà du plus pur Beethoven. 

Une œuvre déroutante qui finit par s’imposer

Lors de sa création, la Première Symphonie déroute ses premiers auditeurs. Les critiques les plus mesurés reprochent à Beethoven son orchestration opulente : «Les instruments à vent y étaient seulement trop employés de telle sorte que c’était plutôt une musique d’harmonie que véritablement d’orchestre» (15 octobre 1800). Mais d’autres ne cachent pas leur incompréhension face aux innovations du compositeur : «C’est l’explosion désordonnée de l’outrageante effronterie d’un jeune homme», s’emporte un musicographe anonyme dans l’Allgemeine musikalische Zeitung, le plus grand journal musical du monde germanique du temps, le 23 juillet 1801. Dix ans plus tard, un journal français se désole encore : «Hélas ! on ne fait que déchirer bruyamment l’oreille sans parler au cœur

Faisant fi des critiques, Beethoven s’emploie à faire éditer son œuvre : dès la fin de l’année 1800, il propose à l’éditeur Franz Anton Hoffmeister «une grande symphonie avec un orchestre complet». Elle paraît en parties séparées, au mois de novembre 1801 à Vienne et à Leipzig, sous le numéro d’opus 21. Le compositeur envisage au départ la dédier à l’un de ses premiers mécènes, l’électeur de Cologne Maximilien-François, mais le décès de ce dernier l’oblige à en offrir la dédicace au baron Gottfried van Swieten, fin lettré et grand mélomane, ami de Haydn et de Mozart, qui l’avait soutenu dès son arrivée à Vienne. Une édition en partition d’orchestre voit le jour en 1809 en Angleterre et en 1822 en Allemagne ; la Première Symphonie connaît dès lors un réel succès, dont témoignent les nombreux arrangements pour diverses formations dont elle fait l’objet, du vivant même de Beethoven. 

– N. M.

* Procédé issu du canon où un même sujet est exposé, de manière décalée, à différentes voix.