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Notes de programme

Obsession

Mar. 7 oct. 2025

Programme détaillé

Arvo Pärt (né en 1935)
Miserere

Solistes : Amélie Raison, soprano – Nicolas Kuntzelmann, contre-ténor – Léo Guillou-Kérédan, ténor – Imanol Iraola, baryton – Bertrand Duby, basse

[35 min]

Philip Glass (né en 1937)
1000 Airplanes on the Roof

Orchestration de Simon-Pierre Bestion
Textes de David Henry Hwang

I.⁠ ⁠1000 Airplanes on the Roof [1000 Avions sur le toit]
V.⁠ ⁠Screens of Memory [Les Écrans de la mémoire]
VIII.⁠ ⁠Return to the Hive [Retour à la ruche]
IX.⁠ ⁠Three Truths [Trois Vérités]
X.⁠ ⁠The Encounter [La Rencontre]

© 2025 - Dunvagen Music Publishers Inc. Used by Permission.

Soliste : Amélie Raison, soprano

[22 min]

Arvo Pärt
Triodion

– Ode 1, «O Jesus the Son of God, Have Mercy upon Us» [Ô Jésus, fils de Dieu, prends pitié de nous]
– Ode 3, «O Holy Saint Nicholas, Pray to God for Us» [Ô saint Nicholas, prie Dieu pour nous]

[10 min]

Jehan Alain (1911-1940)
Trois Danses pour orgue

Orchestration de Simon-Pierre Bestion

I. Joies,
II. Deuils
III. Luttes

[20 min]

Durée : 1h40 sans entracte.

Distribution

La Tempête
Simon-Pierre Bestion conception, direction musicale et mise en scène
Chloé Bensahel scénographie
Clara Daguin costumes
Jonathan Tanant ingénieur créatif
Florian Delattre lumières

Production : Compagnie La Tempête 
Coproductions : Philharmonie de Paris – Théâtre impérial-Opéra de Compiègne 
En collaboration avec le TextielLab, l’atelier professionnel du TextielMuseum 
Avec le soutien de la Fondation Orange, la Fondation Société générale, la Drac Nouvelle Aquitaine, l’Adami, la Spedidam et l’Opéra de Limoges.

Introduction

Un an après le succès de Vespro, formidable relecture du chef-d’œuvre de Monteverdi, la compagnie La Tempête fait son retour à l’Auditorium dans un concert-spectacle radicalement différent. Effectuant un saut de quatre siècles dans le temps, il convoque guitare et basse électriques, saxophones ou batteries pour explorer ces obsessions qui envahissent notre esprit. Il plonge dans l’énigmatique «drame musical de science-fiction» de Philip Glass 1000 Airplanes on the Roof (1988). Il scrute la portée rituelle et religieuse de la répétition dans une œuvre emblématique d’Arvo Pärt, son Miserere (1989), et dans son plus rare Triodion, entièrement a cappella (1998), deux œuvres qui témoignent de sa foi orthodoxe et amènent son principe d’écriture des «tintinabuli» (effets de répétitions rappelant des volées de cloches) aux portes de la transe. La transe est proche, également, dans les Trois Danses de Jehan Alain, génie fulgurant mort au champ d’honneur en 1940, à 29 ans. C’est à l’orchestre qu’Alain destinait ce somptueux triptyque. Il mourut avant d’avoir achevé l’orchestration mais eut le temps de réaliser la version pour orgue, que Simon-Pierre Bestion a portée à son tour à l’orchestre. La scénographe franco-américaine Chloé Bensahel incarne visuellement l’obsession, dans un geste qui mélange les algorithmes et avec des artisanats d’art reposant sur la répétition du geste.

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Obsession magnifiée

Parfois pénibles, voire inquiétantes, les obsessions qui nous agitent font de nous leur chose, nous privent d’une part de notre liberté et de notre souveraineté en s’installant contre notre gré dans notre cerveau. L’étymologie du mot, du latin obsessio, qui signifie «assiéger», n’en fait d’ailleurs pas mystère. Voici que l’on se rejoue, personnellement, la scène d’une rencontre ou d’une blessure, que l’on nourrit une envie, un désir, jusqu’au blocage ou l’envahissement. Voilà, collectivement, le gavage que nous proposent les algorithmes en ne nous donnant à voir que ce qu’ils pensent que nous attendons ; voilà aussi, sous sa forme la plus funeste, la porte ouverte à une distorsion de la réalité qui peut aller jusqu’aux délires de masse.

Mais l’obsession n’est-elle qu’une disposition mentale débilitante ? C’est elle aussi qui nous meut vers l’inconnu, qui nous pousse à dépasser le confort ou la facilité pour nous (re)mettre en mouvement et en jeu. C’est souvent elle qui tient lieu de moteur aux plus grands scientifiques et aux plus grands artistes. Ces derniers, en particulier, se sont souvent tournés vers la répétition, qui devient dans leur œuvre un moyen de transfigurer leurs propres fixations mentales. Obsessives, obsessifs, les séries pop art de Warhol ou les pois proliférants de Yayoi Kusama. Obsessives aussi les répétitions de la musique minimaliste, dont Philip Glass fait partie des artistes centraux et dont Arvo Pärt est souvent considéré comme l’un des représentants «mystiques» – une musique minimaliste que les compositeurs eux-mêmes préfèrent appeler «musique répétitive» (le terme «le moins mauvais» selon Reich) ou «musique à structure répétitive» (pour Glass). Répéter, (s’)obséder, hypnotiser, mais aussi essayer, insister, multiplier, arpenter, compter, fixer, persévérer, accumuler, redoubler, copier-coller, réitérer, scander, transmuer, recommencer, collectionner, recouvrir, proliférer, raréfier : tout un panel de gestes artistiques à la fécondité incontestable.

Les transes spirituelles de Pärt

Après avoir composé son Credo, mal accueilli en URSS, Arvo Pärt entame une période de silence de huit ans durant laquelle il se plonge dans l’étude de la musique du Moyen Âge et de la Renaissance et se convertit à la religion orthodoxe. En 1976, il revient sur la scène musicale avec un ensemble d’œuvres où s’expriment dorénavant de manière déterminée les fondements de son style comme de sa pensée : Fratres, Tabula rasa et le Cantus in memoriam Benjamin Britten posent les bases de son «style tintinnabuli». «Je travaille avec très peu d’éléments – avec une voix, avec deux voix. Je construis avec les matériaux les plus primitifs – avec l’accord parfait, avec une tonalité spécifique. Trois notes d’un accord sont comme des cloches», confie-t-il cette année-là. «La tintinnabulation est l’endroit où je m’aventure parfois en quête de réponses – dans ma vie, dans ma musique, dans mon travail, ajoute-t-il ailleurs. Là, je suis seul avec le silence. J’ai découvert que c’est suffisant lorsqu’une seule note est bien jouée. Cette note, une pulsation muette, un moment de silence me réconfortent.» 

Composé une bonne dizaine d’années plus tard (en 1989), le Miserere manifeste une semblable focalisation sur le matériau élémentaire, qu’il soit note ou silence. Ce dernier apparaît même comme «prioritaire» dans la conception de l’œuvre, comme en témoigne sa saisissante introduction, une sorte de dialogue entre le ténor et la clarinette mangé de trous où le temps semble suspendu. «Miserere est structuré de telle façon que pour chaque mot il faut reprendre son souffle, faire une pause, comme si l’on prononçait un mot avant de tenter immédiatement de réunir ses forces pour le suivant», a expliqué Arvo Pärt. Manifestant comme nombre d’autres œuvres l’importance de l’inspiration spirituelle chez le compositeur, le Miserere est fondé sur des textes liturgiques : le sombre Psaume 51, où David se repent de ses péchés, et la séquence médiévale du Dies iræ («Jour de colère»), issue de la Messe des morts, qui s’y insère. Celui-ci produit une sorte d’explosion expressionniste après une lente construction par ajouts successifs de voix et d’instruments. Les profils mélodiques déclives, les vitesses différentes des voix et les coups de cloches sont caractéristiques du compositeur. La suite du Psaume 51 marque un retour à l’atmosphère raréfiée du début. Peu à peu animé, le discours reste cependant troué d’arrêts, et il finit par revenir à une sorte d’état d’apesanteur imprégné d’une émotion puissante. L’œuvre se clôt sur un dernier extrait du Dies iræ, un «Rex tremendæ» tout de consolation.

Écrit en 1998 pour chœur mixte a cappella, sur des prières orthodoxes traduites en anglais, Triodion fait alterner des passages animés et des moments immobiles aux allures de litanie, adressés à Jésus, à Marie et à saint Nicolas. Pärt crée ainsi une atmosphère de transe qui semble faire écho aux transes religieuses orthodoxes orientales, comme une sorte d’obsession hypnotique.

Glass et l’obsession au carré

Contemporaine, à peu de choses près, du Miserere de Pärt, 1000 Airplanes on the Roof (Mille Avions sur le toit, 1988) de Philip Glass est une œuvre atypique, malheureusement rarement donnée. Pièce de théâtre musical en un acte, elle intègre dans sa version originelle un acteur ou une actrice, une soprano solo – sans paroles – et un instrumentarium qui conjugue bois (flûtes, clarinette, saxophones) et synthétiseurs. Simon-Pierre Bestion en propose un arrangement pour voix soliste, chœur, bois, cuivres, glockenspiel, vibraphone, orgue Hammond, guitare et basse électriques. Tout comme la trilogie Qatsi ou les œuvres scéniques tel l’opéra Einstein on the Beach, entre autres, 1000 Airplanes illustre le penchant de Glass pour les collaborations avec d’autres formes d’art, et a été créé avec des images holographiques de Jerome Sirlin. La version de La Tempête est, comme le reste du spectacle, accompagnée d’une scénographie de Chloé Bensahel. En collaboration avec Clara Daguin aux costumes, l’artiste franco-américaine incarne visuellement l’obsession, dans un geste qui mélange algorithmes et artisanat d’art, en particulier textile, avec tissages, broderies et dentelles, toutes pratiques fondées sur la répétition du geste. La scénographie, organisée autour de multiples scènes rondes, suit le rythme de chacune des compositions.

M., l’unique personnage de 1000 Airplanes, est traversé par des flashbacks de ses rencontres avec des formes de vie extraterrestres, sans bien savoir s’il s’agit d’un véritable souvenir, d’un cauchemar induit par la prise de psychédéliques ou d’un début de folie. «Il vaut mieux oublier, il ne sert à rien de se souvenir. Personne ne te croira», lui répète une voix (dans «Labyrinth», non interprété dans la sélection de Simon-Pierre Bestion). L’obsession angoissée du personnage est reflétée par le caractère minimaliste de la musique, avec ses balancements de tierces, ses accords parfaits arpégés et ses petits éléments mélodiques répétés qui se reproduisent d’une partie à l’autre.

Jehan Alain, le corps qui danse

La fin du spectacle quitte le domaine de la musique minimaliste pour d’autres rivages. Les Trois Danses sont les dernières pièces du compositeur et organiste français Jehan Alain, tué au combat deux jours avant l’armistice de 1940. Écrites pour orgue (il composait toujours à l’instrument), elles devaient être orchestrées par le musicien, qui n’en eut pas le temps. La version de Simon-Pierre Bestion fait appel à une phalange proche de celle de son arrangement de 1000 Airplanes on the Roof, où l’on retrouve notamment des saxophones, l’orgue Hammond, la guitare et la basse, une section percussive un peu plus développée, et bien sûr le chœur, toujours sur des onomatopées. Les trois pièces sont traversées par les influences et intérêts d’Alain, lui aussi porté vers le plain-chant médiéval et ses harmonies parallèles, mais également vers le jazz et ses rythmes. Accordant une place centrale à la recherche et à la construction du timbre, le compositeur y multiplie les oppositions et combinaisons de textures. «Les rythmes saccadés et enivrants de la première partie, mais aussi l’unique thème mélodique entêtant de la seconde partie se rejoignent dans un finale court et haletant», note Simon-Pierre Bestion à propos de l’œuvre. La tension qui porte le triptyque, des «Joies» bondissantes aux «Luttes» conflictuelles, fait de cette partition finale «une course vitale pour se sortir d’un labyrinthe et d’un tourbillon d’énergie et d’émotions» (ibidem).

– Angèle Leroy

Distribution complète

Simon-Pierre Bestion : direction, orchestration, mise en espace 
Éloïse Magat : assistante direction musicale 
Chloé Bensahel : scénographie 
Clara Daguin : costumes 
Jonathan Tanant : ingénieur créatif 
Florian Delattre : lumières 
Apolline Machefaux et Léonard Martin : régie plateau 

Sopranos : Annabelle Bayet, Véronique Housseau, Lia Naviliat-Cuncic, Amélie Raison 
Altos : Clotilde Cantau, Nicolas Kuntzelmann, Parvati Maeder, Aline Quentin 
Ténors : Romain Bazola, Fabrice Foison, Léo Guillou-Kérédan, Marco van Baaren 
Basses : Bertrand Duby, Imanol Iraola, Matthieu Le Levreur, Maxime Saïu 

Violaine Dufès : hautbois et cor anglais 
Xavier Marquis : clarinette 
Matteo Pastorino : clarinette basse 
Pierre Glorieux : basson 
Clément Formatché : trompette 
Abel Rohrbach : bugle, trombone et tuba 
Thibaut du Cheyron : trombone et trombone basse 
Quentin Darricau : flûte traversière, piccolo, saxophones soprano et baryton 
Maxime Chauvin : flûte traversière, saxophone alto 
Pierre Carbonneaux : saxophones soprano et ténor 
Guy-Loup Boisneau : percussions 
Élie Martin-Charrière : percussions et batterie 
Santiago Gervasoni : orgue Hammond 
Thomas Gaucher : guitare électrique 
Cyril Drapé : basse électrique