Notes de programme

Clara Schumann

Jeu. 17 mar. 2022

Retour au concert du jeu. 17 mars 2022

Programme détaillé

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Ouverture d’Egmont, op. 84

[8 min]

Clara Schumann (1819-1896)
Concerto pour piano en la mineur, op. 7

I. Allegro maestoso
II. Romanze : Andante non troppo con grazia
III. Finale : Allegro non troppo – Allegro molto

[25 min]

--- Entracte ---

Silvia Colasanti (née en 1975)
Capriccio a due

[12 min]

Igor Stravinsky (1882-1971)
Suite d’orchestre de Pulcinella

I. Sinfonia 
II. Serenata 
III. Scherzino – Allegretto – Andantino 
IV. Tarantella 
V. Toccata 
VI. Gavotta (con due variazioni) 
VII. Vivo 
VIII. Minuetto – Finale 

[25 min]

Distribution

Paris Mozart Orchestra
Claire Gibault 
direction
Stephanie Childress direction
Isata Kanneh-Mason piano
Éric Lacrouts violon
Bleuenn Le Maître violon

Beethoven, ouverture d’Egmont

Composition : d’octobre 1809 et juin 1810.
Création : Vienne, Burgtheater, 15 juin 1810.

«Vous recevrez prochainement la musique d’Egmont, ce glorieux Egmont, auquel j’ai de nouveau pensé, que j’ai de nouveau ressenti et mis en musique à travers vous, en le lisant avec cette flamme si intense – je souhaite vivement connaître votre jugement à son sujet, même le blâme sera profitable, à moi et à mon art, et sera accueilli aussi volontiers que les plus vifs éloges.»
Beethoven à Goethe, 12 avril 1811

Goethe avait 26 ans, en 1775, lorsqu’il commença à écrire son Egmont. Il rajeunit le héros de vingt ans afin de s’identifier pleinement avec lui (le véritable Egmont mourut à 47 ans), mais se fit rattraper par l’histoire, puisqu’il n’acheva l’œuvre qu’en 1787. Dans ce drame en cinq actes, le poète retrace la lutte du comte hollandais Egmont (1522-1568) contre l’envahisseur espagnol, incarné par le despotique duc d’Albe. Emprisonné, le héros choisit de rester fidèle à son idéal et meurt en martyr, décapité à Bruxelles. À l’intrigue historique et politique, Goethe ajoute un drame sentimental sous les traits de Klärchen (Claire), qui se suicide après avoir échoué à soulever le peuple pour sauver son amant.

Lorsque Beethoven reçut la commande d’une musique de scène pour la création viennoise de la pièce en 1810, la capitale autrichienne vivait une situation similaire : elle était occupée par les troupes françaises depuis l’année précédente. Le musicien composa dix numéros, au nombre desquels l’ouverture, quatre entractes et deux lieder pour Claire. Conçue comme un poème symphonique miniature, à l’instar des trois ouvertures Leonore ou de Coriolan, l’ouverture d’Egmont dévoile les principaux thèmes du drame – l’héroïsme, la lutte, l’amour. Une rupture soudaine, dans ce flot tempétueux en fa mineur, semble même évoquer l’exécution du héros.

Mais cet épisode est balayé par une glorieuse coda en fa majeur, préfiguration de la «Symphonie de la victoire» couronnant la musique de scène. Celle-là même qui, dans la pièce, salue les derniers mots d’Egmont : «En sortant de ce cachot, je marche moi aussi vers une mort glorieuse ; je meurs pour la liberté. Je n’ai vécu, je n’ai combattu que pour elle ; maintenant je lui offre ma vie en sacrifice, dans la douleur. […] L’ennemi t’encercle de toutes parts, les épées luisent ! Amis ! haut les cœurs ! […] Défendez vos biens ! Et pour sauver ce que vous avez de plus cher, tombez avec joie, comme je vous en donne l’exemple.» La liberté triomphe : Egmont monte à l’échafaud, mais jamais il n’a plié devant ses juges.

– Claire Delamarche

C. Schumann, Concerto pour piano

Composition : de 1833 à 1835 (œuvre éditée en 1836, révisée et rééditée en 1837).
Création : 11 novembre 1935 à Leipzig, par Clara Schumann au piano accompagnée de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig sous la direction de Felix Mendelssohn Bartholdy. 
Dédicace : à Monsieur Louis Spohr.

Pianiste virtuose, enseignante et compositrice, Clara Schumann est aujourd’hui essentiellement reconnue comme la dédicataire et surtout l’interprète infatigable des œuvres de son époux Robert.

Si elle était évidemment une excellente pianiste – considérée à l’égal de Franz Liszt ou Anton Rubinstein par ses pairs –, elle fut aussi une grande compositrice, dont on redécouvre aujourd’hui peu à peu le travail. 
Née à Leipzig en 1819, Clara Wieck fut bercée dès son plus jeune âge par le piano. Son père, Friedrich Wieck, en partie autodidacte, s’était établi dans la ville comme professeur de piano et complétait ses revenus en louant des partitions et faisant commerce de piano-fortes. Enseignant passionné, féru de pédagogies innovantes, il avait rapidement acquis une solide réputation et avait épousé, en 1816, l’une de ses meilleures élèves, issue d’une grande famille de musiciens, Marianne Tromlitz. Pour compléter les revenus du foyer, la mère de Clara enseignait elle aussi le piano et se produisait en soliste au Gevandhaus, prestigieuse salle de concert de Leipzig. 

Lorsque Clara était encore très jeune (1824), ses parents se séparèrent et Friedrich obtint la garde de sa fille, dont il ambitionnait de faire une pianiste virtuose, exemple vivant de l’efficacité de sa pédagogie. Si son éducation générale fut assez négligée, la formation musicale de la jeune fille fut en revanche remarquable : elle étudia auprès de son père le piano, bénéficiant des dernières innovations en matière d’apprentissage de la technique, le chant (pour parfaire le lyrisme de son phrasé) et les langues étrangères (nécessaires à ses futures tournées internationales). Par ailleurs, elle reçut aussi l’enseignement des meilleurs professeurs de Leipzig, Dresde et Berlin pour le violon, la théorie musicale, l’harmonie, l’orchestration, la fugue et le contrepoint, et assista à tous les concerts et opéras importants donnés au Gevandhaus durant sa jeunesse. 

Naturellement douée pour la musique, la jeune fille s’épanouit rapidement, donna ses premiers concerts en soliste à l’âge de 11 ans et devint, dès son adolescence, une interprète adulée dans toute l’Europe et reconnue par les plus grands – Nicolò Paganini, Frédéric Chopin, Franz Liszt, Felix Mendelssohn ou encore le poète Johann Wolfgang von Goethe. 

En plus de l’éclat sa jeunesse, sa virtuosité incomparable et sa grande sensibilité musicale, Clara Wieck passionnait le public par le goût très sûr qu’elle manifestait dans ses choix musicaux. À l’inverse des compositeurs-interprètes consacrant tous leurs concerts à leurs propres œuvres, elle donnait toujours en récital quelques-unes de ses propres compositions mais défendait aussi la musique des musiciens qu’elle aimait. Dédaignant la virtuosité facile, alors très en vogue auprès d’un public amateur d’exploits, elle se tourna assez tôt vers des compositeurs délaissés (Jean-Sébastien Bach, Domenico Scarlatti, Joseph Haydn, Wolfgang Amadeus Mozart), qu’elle offrit au public de redécouvrir. Plus notable encore, elle s’attachait à jouer le texte avec fidélité, se passant des habituelles improvisations dénaturant la pensée originale des auteurs, et initia dès lors une nouvelle manière d’aborder le répertoire pianistique. 

Durant toute sa jeunesse, elle fut soutenue autant que surveillée par son père, qui veillait jalousement sur ses contrats d’engagement et supervisait en despote ses tournées de concert, tant sur le plan musical que commercial. Friedrich Wieck fut donc furieux de la voir se détourner d’une carrière si brillante pour épouser un de ses élèves, jeune compositeur sans renommée qui fréquentait ses cours depuis 1828, Robert Schumann. 

Pourtant, lorsque leur union fut enfin célébrée, en 1840, Clara ne renonça pas à sa carrière, mais l’orienta désormais vers la musique de son époux : malgré une maternité nombreuse (ils eurent huit enfants), elle continua en effet de jouer inlassablement l’œuvre de Schumann, créant ses pièces pour piano, transcrivant ses pièces de musique de chambre et réalisant, après sa mort, le catalogue complet de ses œuvres.

On comprend dès lors pourquoi son propre catalogue reste modeste (une quarantaine d’œuvres) : responsable de sa maisonnée sur le plan domestique et financier – ses concerts subvenaient aux besoins de la famille, surtout après l’internement puis le décès de Robert –, il ne lui restait que peu de temps pour se consacrer à la composition.  

Son œuvre compte néanmoins des pièces remarquables, parmi lesquelles le Concerto pour piano en la mineur opus. 7. Unique concerto achevé de la compositrice, c’est une œuvre de jeunesse, commencée à l’âge de 13 ans et achevée trois ans plus tard, au moment où commençait son idylle avec Robert Schumann. 

Assez traditionnel dans sa structure en trois mouvements, il se démarque par la fougue emportée qui le traverse, à l’instar de son premier mouvement : après une majestueuse introduction orchestrale, le piano déploie un premier solo virtuose – de grands traits véloces en gammes et arpèges – auquel se mêlent avec habileté des motifs mélodiques d’une grande expressivité, qui annoncent le doux lyrisme de la romance du deuxième mouvement. Un long solo de violoncelle dialoguant à voix égales avec le piano laisse alors place à un dernier mouvement exalté, révélant toute la virtuosité de la compositrice.  

– Coline Miallier

Colasanti, Capriccio a due

Composition : 2013.
Création : Rome, Istituzione Universitaria dei Concerti, 22 octobre 2013, par Salvatore Accardo et Laura Gorna (violon) et l’Orchestra da Camera Italiana.
Commande : Istituzione Universitaria dei Concerti et Fondation Pirelli.
Éditeur : Casa Ricordi – Universal Music Publishing S.r.l. (Milan).

La musique écrite aujourd’hui suscite la curiosité, car elle parle du présent. La langue est toujours le reflet de l’époque dans laquelle on vit. Écrire pour de grands interprètes est la réalisation d’un rêve et, dans le cas présent, l’idée d’une pièce de haute virtuosité est liée à ces interprètes, qui sont au cœur de l’œuvre. Ils ne sont pas de simples traducteurs sonores de la partition, mais ils l’enrichissent de leur expérience humaine, artistique et musicale au point d’en faire partie.

La rencontre avec Salvatore Accardo et l’Orchestra da Camera Italiana a exercé une influence positive sur le choix de l’effectif instrumental : deux violons et orchestre à cordes, une formation qui rappelle la période baroque. La pièce a une structure formelle ouverte et se caractérise par une grande virtuosité, étendue à différents paramètres : virtuosité instrumentale technique, lyrique, timbrique… une virtuosité qui explore toutes les possibilités de l’instrument. Quant aux deux violons solistes, ils nouent un dialogue où souvent l’un suggère à l’autre l’idée que celui-ci développera ensuite, où l’un amplifie l’autre, où ils dialoguent, sont complémentaires.

– Silvia Colasanti
(Traduction Auditorium-Orchestre national de Lyon)

Stravinsky, suite de Pulcinella

Création (ballet) : Paris, Opéra, 15 mai 1920, par les Ballets russes, sur une chorégraphie de Léonide Massine, dans des décors de Pablo Picasso et sous la direction musicale d’Ernest Ansermet. Les décors étaient de Pablo Picasso
Suite d’orchestre : 1922 (révision en 1949).
Création (suite) : Boston, États-Unis, 22 décembre 1922, par le Boston Symphony Orchestra sous la direction de Pierre Monteux.

Connu pour avoir incarné la modernité dans Le Sacre du Printemps, créé à Paris en 1913, Igor Stravinsky se distingue par la ductilité de son œuvre. Parcourant le XXe siècle, le compositeur russe illustre à lui seul la floraison des recherches sur le langage musical écloses au cours de cette période. Ainsi, de l’enracinement initial dans les traditions de son pays natal, Stravinsky évoluera vers l’emprunt aux compositeurs occidentaux du passé, avant de se tourner, en vieil homme curieux, vers les techniques d’écriture inspirées d’Arnold Schönberg. Ce grand œuvre protéiforme est jalonné de fervents succès publics, tel Pulcinella, une œuvre phare dans la longue carrière de Stravinsky, programmée une ultime fois sous la direction du compositeur lors du dernier concert qu’il dirige en 1967.

Après la création tumultueuse du Sacre, Stravinsky s’installe en Suisse, tandis que le déclenchement de la première guerre mondiale lui ferme les portes de la Russie. Dans les confins du Valais, le compositeur traverse ces années dans une relative sérénité, stimulé par les liens d’amitié noués avec le chef d’orchestre Ernest Ansermet. Si l’absence d’éditeurs rend la situation matérielle de la famille Stravinsky assez précaire, le compositeur donne naissance pendant ce laps de temps à des œuvres emblématiques de son catalogue. En 1919, achevant la période suisse, Stravinsky s’adonne à la composition de Pulcinella, un ballet que lui a commandé Serge Diaghilev, en collaboration avec Pablo Picasso. L’imprésario des Ballets russes soumet à Stravinsky un ensemble de manuscrits récemment découverts et alors attribués au compositeur baroque Giovanni Battista Pergolesi, lui suggérant de composer une œuvre de scène à partir de ce matériau hétéroclite. Séduit par l’idée de devoir créer une œuvre originale et personnelle à partir de fragments musicaux vieux de 200 ans, le compositeur entame l’écriture d’un ballet librement inspiré de personnages de la commedia dell’arte et destiné à un orchestre et trois chanteurs solistes.

L’argument est un jeu amoureux dans lequel Pulcinella (Polichinelle), convoité par de nombreuses jeunes femmes, suscite l’ire des autres hommes. Par le subterfuge du déguisement, les tensions sont dénouées et l’action s’achève joyeusement.

Peu de temps après la création du ballet, Stravinsky reprend sa pièce et lui donne l’aspect d’une suite d’orchestre. Ce faisant, il renoue avec une coutume fréquemment usitée qui consiste à transformer des œuvres de scène en ouvrages symphoniques, aboutissant à un format plus léger et plus commode à diffuser.

«L’épiphanie grâce à laquelle l’ensemble de mon œuvre à venir devint possible»

Dans cette nouvelle version, les chanteurs disparaissent et certains passages sont supprimés. Cependant, on retrouve les éléments caractéristiques de l’œuvre et notamment les références nombreuses au style baroque. Tout d’abord, l’effectif instrumental relativement réduit suggère un orchestre baroque, dans lequel les bois et les cuivres sont peu nombreux au regard de ce qui adviendra plus tard. Par ailleurs, Stravinsky fait le choix de séparer les cordes en deux groupes, respectivement intitulés concertino et ripieno, reprenant ainsi les codes de l’organisation des premiers concertos du baroque italien. Par la nomenclature, le compositeur s’inscrit donc pleinement en référence à Pergolèse. Toutefois, il «déforme» cette matière initiale par des associations de timbres tout à fait innovantes. On soulignera notamment les parties de cors, très valorisées, contrastant avec les possibilités des instruments du XVIIIe siècle, et permettant de rattacher cette œuvre à l’époque moderne.

Il convient aussi d’évoquer les choix formels opérés par Stravinsky qui recourt à plusieurs reprises à des modèles baroques. En témoignent la présence d’une gavotta ou d’un minuetto dont les titres seuls convoquent l’esprit des danses du XVIIIe siècle. Néanmoins, Stravinsky s’amuse à subvertir l’essence de ces modèles en décalant les accents et le phrasé. Plus tard, il évoquera l’importance de Pulcinella dans sa carrière, expliquant que ce «fut une découverte du passé, l’épiphanie grâce à laquelle l’ensemble de mon œuvre à venir devint possible. C’était un regard en arrière, certes, la première histoire d’amour dans cette direction-là mais ce fut aussi un regard dans le miroir». Bien plus qu’un pastiche, cette œuvre est à entendre comme celle d’un compositeur qui pose un regard nouveau sur le passé et en fait un support fertile à sa propre inventivité.

– Claire Lapalu

Le podcast de L’AO

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