Programme détaillé
Prélude, Choral et Fugue
I. Prélude
II. Choral
III. Fugue
[20 min]
Études symphoniques, op. 13
• Thème : Andante
• Étude I (Variation 1) : Un poco più vivo
• Variation posthume I : Andante, tempo del tema
• Étude II (Variation 2) : Andante
• Étude III : Vivace
• Étude IV (Variation 3) : Allegro marcato
• Étude V (Variation 4) : Scherzando
• Variation posthume IV : Allegretto
• Étude VI (Variation 5) : Agitato
• Étude VII (Variation 6) : Allegro molto
• Variation posthume II : Meno mosso
• Variation posthume V : Moderato
• Étude VIII (Variation 7) : Sempre marcatissimo
• Étude IX : Presto possibile
• Étude X (Variation 8) : Allegro con energia
• Étude XI (Variation 9) : Andante espressivo
• Étude XII (Finale) : Allegro brillante (sur un thème de Heinrich Marschner)
[35 min]
Six Tableaux
I. Improvisation : Andante recitativo
II. Danse populaire : Moderato
III. Toccatina : Presto
IV. Intermezzo : Andante
V. Choral : Largo
VI. Danse de Sassoun : Allegro energico
[13 min]
Concert sans entracte.
Distribution
Jean-Paul Gasparian piano
Introduction
En septembre 2024, à l’âge de 29 ans, Jean-Paul Gasparian faisait un tabac avec son sixième disque, sobrement intitulé Origins. Il y retraçait un siècle de musique arménienne, un répertoire d’une grande beauté et totalement ignoré dans nos contrées. On y découvrait notamment des pièces d’Arno Babadjanian, que le grand pianiste russe Emil Gilels surnommait «le Rachmaninov arménien». Gasparian poursuit son exploration de ce compositeur avec ses Six Tableaux (1965). C’est plutôt à Prokofiev, Bartók ou Chostakovitch que font penser ces pièces superbes, mêlant une énergie rythmique et des tournures issues du folklore arménien avec un langage très moderne. Changement de décor avec Franck et Schumann. Le Prélude, Choral et Fugue (1884) revisite ces formes magnifiées par Bach en leur insufflant la sensualité à fleur de doigts du piano et le bouillonnement du romantisme tardif. Même fougue dans les Études symphoniques, série de variations à l’histoire mouvementée que le jeune Schumann a imaginées en 1834 à partir d’un thème du baron von Fricken, le père de sa première fiancée, Ernestine. Aux douze mouvements publiés par Schumann en 1837, Jean-Paul Gasparian ajoute les cinq que le compositeur avait écartées, publiées par Johannes Brahms en 1890.
Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon
Les œuvres
C’est à un voyage en dehors des chemins de la sonate pour piano que convie Jean-Paul Gasparian : l’occasion d’une exploration de diverses formes, de la rigoureuse fugue à la folâtre pièce de caractère. Il mène ses auditeurs de l’époque romantique schumannienne au second XXe siècle d’Arno Babadjanian, qui conjugue langage dodécaphonique et inspiration arménienne traditionnelle. Entre ces deux points extrêmes, l’hommage postromantique à Bach de César Franck, le Prélude, Choral et Fugue de 1884.
C’est en effet vers l’Allemagne que le Belge naturalisé Français César Franck porte son regard avec le triptyque Prélude, Choral et Fugue, écrit pour piano en 1884. À cette époque, la musique pour piano française connaît un récent renouveau, notamment grâce à Saint-Saëns, d’Indy, Chabrier ou Fauré. Franck, après quelques piécettes de jeunesse et quarante ans de silence, y contribuera avec deux œuvres de piano solo, ce Prélude, Choral et Fugue et le Prélude, Aria et Final de 1887. Mais si la nationalité de ces partitions est bien française, l’inspiration, donc, en est assez germanique. C’est à l’école d’un Beethoven, d’un Schumann ou d’un Liszt que Franck s’est formé, ajoutant ensuite à ces influences la connaissance de l’univers wagnérien. Cette «suite» pour piano en porte clairement la trace. De plus, Franck, organiste de premier ordre, y rend hommage à l’un de ses plus grands prédécesseurs, Bach, recourant à des formes auxquelles le cantor avait donné leurs lettres de noblesse : le diptyque prélude et fugue, qu’une œuvre comme Le Clavier bien tempéré porte à son plus haut niveau d’achèvement, mais aussi le choral. Ce dernier vient finalement s’intercaler entre les deux pièces habituellement enchaînées.
Pour commencer donc, un «Prélude», une pièce mélancolique et obstinément mineure où Franck présente entre autres ce qui sera son thème cyclique. Le «Choral» suivant s’ouvre sur une transition qui rappelle celui-ci, avant d’énoncer le thème choral proprement dit, dans une présentation d’accords arpégés avec croisement des deux mains qui lui confère un très beau velouté. La «Fugue» combine quant à elle fugue à proprement parler, cadence aux allures improvisées et à la virtuosité flamboyante, puis péroraison finale où sont reconvoquées les pages précédentes.
Du piano, compagnon intime de ses dix premières années de compositeur, alter ego de touches blanches et noires, Robert Schumann a tiré nombre de pages de premier ordre, parmi lesquelles les Études symphoniques appartiennent aux plus accomplies. Comme d’autres (ainsi la Fantaisie op. 17), le futur Opus 13 passe au moment de sa composition par plusieurs états : aux hésitations sur son titre («variations pathétiques», «fantaisies et finale», «études en forme de variations») répondent les incertitudes au sujet de sa forme. En 1837, Schumann propose à l’édition une première version resserrée. Il y revient ensuite en 1852, raccourcissant encore l’œuvre de deux variations. La version interprétée par Jean-Paul Gasparian réintègre quant à elle quatre des cinq variations publiées de façon posthume en 1873 par Brahms en les intercalant dans le tissu musical originel.
La mélodie sur laquelle se fondent ces études-variations est due au baron von Fricken, le père de la jeune pianiste, Ernestine, dont Schumann est épris à l’époque où il commence la composition de l’œuvre. Le compositeur, qui en apprécie particulièrement le «caractère» et le «sentiment», l’harmonise en une sorte de choral aux allures de marche. Schumann pense d’abord à proposer des variations de caractère, dans l’esthétique du cahier d’«humeurs» dont il est un maître : le thème «doit se voir transformé par un verre d’une couleur différente à chaque fois», écrit-il à Fricken en 1834. Il s’oriente ensuite vers une conception plus téléologique de l’œuvre : «Je voudrais élever progressivement la marche funèbre [du thème] à un superbe chant triomphal.» C’est cette idée qui triomphe, dans un superbe geste dont Mendelssohn, avec ses Variations sérieuses, sera notamment le débiteur.
Formé dans son Arménie natale puis à Moscou, le compositeur Arno Babadjanian était également un pianiste de premier ordre, ce dont témoigne dans son corpus un certain nombre de pièces consacrées à l’instrument. Porté en haute estime par Chostakovitch, par son compatriote Aram Khatchatourian, mais aussi par le violoncelliste Mstislav Rostropovitch ou le violoniste David Oïstrakh, Babadjanian fusionne dans son langage musical des influences diverses – et, pour certaines, assez iconoclastes en URSS à l’époque. Sa connaissance de la musique traditionnelle arménienne se conjugue à sa maîtrise de la musique de Bach, Rachmaninov, Beethoven ou Chopin, et sa curiosité le porte également vers le jazz. Sa Sonate polyphonique achevée en 1947 faisait ainsi voisiner un prélude et une fugue avec une toccata dont les tournures rappellent Prokofiev ou Chostakovitch. En 1965, les Six Tableaux, ou Six Images, abordent cette fois sans hésitation aux rivages de la musique dodécaphonique (fermement implantée à l’Ouest depuis quarante ans, mais quasi inouïe à l’Est), que Babadjanian mêle à des rythmes populaires arméniens et des passages clairement mélodiques. Cette fusion singulière confère à l’œuvre une séduction indubitable, qui explique la faveur de ce recueil auprès d’un certain nombre de pianistes, qu’ils soient ou non d’origine arménienne, comme Jean-Paul Gasparian.
– Angèle Leroy