Notes de programme

RAVEL / SCHUMANN

Je. 19 et sa. 21 nov. 2020

Programme détaillé

Maurice Ravel (1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur

I. Allegramente
II. Adagio assai
III. Presto
[25 min]
Édition critique Ravel Edition, 2019

Robert Schumann (1810-1856)
Symphonie n° 1, en si bémol majeur, op. 38, «Le Printemps»

I. Andante un poco maestoso – Allegro molto vivace
II. Larghetto – Attacca :
III. Scherzo : Molto vivace –­ Trio I – Tempo I° – Trio II – Tempo I° – Coda
IV. Allegro animato e grazioso

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider
direction
Bertrand Chamayou piano
 

Concert sans entracte.

Introduction

Cette semaine, l’Auditorium-Orchestre national de Lyon aurait dû accueillir le pianiste américain Emmanuel Ax. Depuis de nombreuses années, Ax est l’un des plus grands noms du monde du piano, connu surtout pour ses interprétations de Mozart, Beethoven et Brahms. Malheureusement, les restrictions de voyage en constante évolution l’ont empêché de se rendre cet automne en Europe, où il espérait jouer avec plusieurs orchestres, parmi lesquels l’Orchestre national de Lyon.

Nous sommes très heureux que Bertrand Chamayou, invité régulier de l’Auditorium, ait accepté d’assurer les concerts de cette semaine. Étant donné ses affinités avec la musique française, nous lui avons évidemment demandé de puiser dans le répertoire de concerto national.

Ajoutons que, pour ces concerts, Bertrand Chamayou et l’Orchestre national de Lyon utiliseront l’édition critique publiée en 2019 par la Ravel Edition ; les auteurs ont corrigé un certain nombre d’erreurs importantes contenues dans l’édition historique en la comparant avec le manuscrit du compositeur et la partition de Marguerite Long, à qui Ravel a dédié le concerto et qui en a joué la première exécution, ainsi qu’avec des esquisses et des épreuves d’impression.

Et, même si l’hiver n’est pas encore là, nous espérons que la Symphonie «Le Printemps» de Schumann, avec laquelle Nikolaj Szeps-Znaider poursuivra son intégrale des symphonies de ce compositeur, vous réchauffera l’âme et vous laissera entrevoir des jours meilleurs à venir.

Ronald Vermeulen
Délégué artistique de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon

Ravel, Concerto pour piano en sol

Maurice Ravel
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur

Composition : de 1929 à novembre 1931.
Création : Paris (salle Pleyel), 14 janvier 1932, par Marguerite Long (piano) et l’Orchestre des Concerts Lamoureux, sous la direction du compositeur.
Dédicace : à Marguerite Long.

Ravel mena de front la composition de ses deux concertos pour piano, peu de temps après être rentré d’une tournée de concerts aux États-Unis dans les premiers mois de 1928. Le Concerto en sol, commencé en premier, devait s’intituler Divertissement. Ravel en interrompit la composition lorsqu’il reçut la commande d’un concerto pour la main gauche destiné au pianiste autrichien Paul Wittgenstein, qui avait perdu un bras à la guerre. Il acheva ensuite son projet initial, intitulé désormais Concerto, mettant ainsi en avant son aspect classique. En effet, Ravel a déclaré à son propos : «C’est un concerto dans le sens le plus exact du terme et écrit dans l’esprit de ceux de Mozart et de Saint-Saëns

Ces deux œuvres constituent les deux faces d’un même projet : hantées toutes deux par des accents inspirés du jazz, du blues et des danses à la mode comme le fox-trot, plus présents que jamais dans son souvenir du fait de son séjour récent aux États-Unis, elles ont une expression opposée : lumineuse et légère pour le Concerto en sol, sombre et tragique pour le Concerto pour la main gauche. Mais elles font montre d’une même perfection de la facture, d’une même inventivité dans le choix des timbres et des alliages instrumentaux inédits, et la puissance de l’émotion et la beauté des thèmes les caractérisent également.

L’allégresse qualifie très exactement le premier mouvement du Concerto en sol, lancé par un coup de «fouet», Les bois aigus, piquants, y sont plein d’alacrité. Le piano s’alanguit par moments en de savoureuses harmonies colorées par une «blue note» (notes «bleues», notes abaissées dans une gamme majeure, caractéristiques du blues) avant de repartir de plus belle. Un exemple remarquable du raffinement sonore ravélien se fait entendre quand la harpe, en sons harmoniques et glissandos, prend le rôle thématique du piano, comme un fantôme de celui-ci !

«La phrase qui coule ? J’ai failli en crever !»

Le cœur de l’émotion musicale du concerto se trouve dans le mouvement lent central, d’une transparence absolue, où la référence à Mozart est la plus évidente (Ravel a évoqué le Larghetto du Quintette avec clarinette). Dans un caractère serein et grave, proche de la Pavane pour une infante défunte, le piano déroule le fil ténu d’une magnifique mélodie qui semble couler de source. Pourtant Ravel nous a laissé entrevoir l’effort qu’il lui a en couté pour la ciseler : «La phrase qui coule ? Je l’ai faite deux mesures par deux mesures et j’ai failli en crever !» Quelques dissonances troublent bientôt le discours, produisant une montée crescendo jusqu’à un sommet d’émotion dont seul Ravel a le secret. La réexposition fait entendre la mélodie initiale dans le timbre élégiaque et rare du cor anglais, diapré par les broderies et les trilles du piano.

Le finale renoue avec l’ambiance joyeuse du premier mouvement, dans un tempo encore plus échevelé et un caractère plus agressif et dissonant, évoquant sans doute la «vie moderne» des grandes villes. De multiples pointes d’humour jazzy émaillent cette course folle (éclats de rires de la petite clarinette, glissandos de trombone…). Quant à la partie de piano, toccata brillantissime, elle demande un sang-froid sans faille et des doigts d’acier !

Isabelle Rouard

Les symphonies de Schumann

«Le piano devient trop étroit pour contenir mes idées», écrivit Robert Schumann en 1839. L’année suivante, son mariage si longtemps attendu avec Clara Wieck eut un effet libérateur. S’il s’était dévoué aussi entièrement à composer pour le piano, seul instrument apte à traduire ses pensées secrètes, c’était en partie pour compenser l’échec d’une carrière de virtuose ardemment désirée. Clara conquise, elle offrait ses doigts au compositeur qui, du même coup, pouvait explorer de nouveaux domaines : le lied (1840), l’orchestre (1841) et la musique de chambre (1842).

Composer des symphonies après Beethoven

Le genre de la symphonique intimidait le jeune musicien, confronté comme tant de ses contemporains à l’ombre gigantesque de Beethoven. Poussé par Clara et par leur ami Felix Mendelssohn, il finit par se jeter à l’eau, avec le même enthousiasme qu’il l’avait fait pour le lied l’année précédente. L’année 1841 vit naître deux symphonies (la Première et la Quatrième, dans sa version primitive), l’ébauche d’une troisième en ut mineur inachevée et les premières esquisses du Concerto pour piano – achevé en 1845.

Schumann fondait de nombreux espoirs sur le genre de la symphonie, qui lui permettrait d’exister par lui-même et non plus de jouer les princes consorts, d’être le pourvoyeur en faire-valoir de sa royale épouse, pianiste adulée. La jeune femme nourrissait une ambition similaire à l’égard de son mari, qu’elle désirait arracher à l’intimité de la musique de salon et faire reconnaître comme un «véritable» compositeur – or, dans la tradition germanique des Kapellmeister, la symphonie était le genre obligé ; ce genre seul pouvait apporter au compositeur la notoriété que, jusqu’alors, les pièces pour piano et les lieder lui avait refusée. (Pour les mêmes raisons, Schumann formula constamment, à partir de 1840, des projets d’opéras, dont seul Genoveva aboutirait, en 1853.)

Jouer les symphonies de Schumann

L’orchestre de Schumann a suscité bien des débats. Que n’a-t-on dit l’opacité de ses masses instrumentales et de leur harmonie ! Mahler, Glazounov, Chostakovitch jugèrent utile de réorchestrer certaines pages. Dukas lui-même, critique pourtant clairvoyant, les assomma d’un coup de plume vigoureux. Schumann, dit-on, embrigade les bois, qui se contentent généralement de doubler les cordes ; cors et trompettes sont cantonnés, hormis quelques appels conventionnels, à un rôle de remplissage dans le médium de la masse sonore, qu’ils contribuent à alourdir ; les premiers violons sont rarement appuyés par les seconds, plus enclins à des figures harmoniques – «pas assez de mélodie et trop d’accompagnement», résume le musicologue Manfred Bukofzer.

Mais n’y a-t-il pas eu un malentendu sur l’orchestre schumannien ? Pendant plusieurs décennies, les chefs d’orchestre l’ont dirigé comme ils dirigeaient Brahms, avec un son opulent, des archets jouant au fond des cordes. Des chefs «baroques» comme Nikolaus Harnoncourt ou John Eliot Gardiner nous ont appris à le tirer plutôt vers Beethoven, à l’aborder avec plus de nerf, à le «dégraisser». C’est l’option choisie par Nikolaj Szeps-Znaider, l’Orchestre national de Lyon et son timbalier, Adrien Pineau – dont les magnifiques timbales d’époque, au mordant et au son incomparables, métamorphosent à elles seules la pâte orchestrale. Et joué ainsi, l’orchestre de Schumann apparaît dans toute sa splendeur, dans toute son originalité.

Quatre symphonies et l’histoire d’une vie

Si la symphonie schumannienne dérange, c’est qu’elle se dérobe aux canons classiques. On l’oppose souvent à celle de Mendelssohn, d’un équilibre et d’un goût parfaits ; on reconnait à la première, en dépit de ses défauts, son pouvoir d’émotion et l’on taxe (si injustement !) la seconde de froideur et d’inexpression. Assurément, l’appréciation de ces deux monuments formidables ne peut se réduire à une alternative aussi sommaire.

Comme l’enfant découvrant le feu, Schumann touche à une nouvelle matière qui lui brûle les mains. Accompagnant l’euphorie du mariage, les deux premières symphonies composées, la Première (symboliquement sous-titrée «Le Printemps») et la Quatrième, saisissent l’auditeur par leur élan, leur profusion thématique. Les symphonies accompagneront ensuite le lent vacillement de son esprit. La lutte contre des forces invisibles se traduira par des constructions monolithiques aux couleurs vives, à la matière dense, au trait épais. On s’en rend compte dès la Deuxième Symphonie (1845), œuvre marquée par la souffrance et la maladie – dont triomphe le finale. La Rhénane (1850) balayera ces ombres en rendant l’hommage le plus grandiose, le plus vivant au fleuve mythique de la civilisation germanique. En 1851, la version révisée de la Quatrième apportera un couronnement magistral à l’œuvre symphonique.

Schumann, Symphonie n° 1

Robert Schumann
Symphonie n° 1, en si bémol majeur, op. 38, «Le Printemps»

Composition : du 23 janvier au 20 février 1841.
Création : Leipzig, Gewandhaus, 31 mars, par l’Orchestre du Gewandhaus placé sous la direction de Felix Mendelssohn Bartholdy.

Malgré son sous-titre, la Première Symphonie naquit durant l’hiver 1841. Le printemps qui est ici salué, c’est celui de la nature autant que celui du renouveau schumannien, quelques mois après le mariage si longtemps espéré avec Clara Wieck (30 septembre 1840). L’esquisse naquit dans un temps record, du 23 au 26 janvier 1841 ; tout à son exaltation, Schumann put écrire : «Je remercie l’esprit bienfaisant qui m’a permis de mener à bien, en si peu de temps, une œuvre de cette importance : l’esquisse de la symphonie tout entière a été achevée en quatre jours.» Le 20 février, l’orchestration était achevée. Un mois plus tard, Felix Mendelssohn pouvait diriger la première audition à Leipzig, où vivaient les Schumann.

Les mouvements devaient à l’origine porter des titres descriptifs : «Éveil du printemps» [«Frühlingsbeginn»], «Soir» [«Abend»], «Jeux joyeux» [«Frohe Gespielen»] et «Printemps en plein épanouissement» [«Voller Frühling»]. Schumann y renonça, préférant donner à ce jaillissement de vie un caractère symbolique, et non illustratif.

L’œuvre s’ouvre par une introduction lente, introduite par un appel majestueux des cors et trompettes annonciateur de l’éveil de la nature. Le journal intime de Clara nous apprend que le rythme de cette sonnerie et de sa réponse par tout l’orchestre aurait été inspirés par les deux premiers vers d’un poème d’Adolf Böttger intitulé Frühlingsgedicht [Poème du printemps] : « O wende, wende dein Lauf / Im Thale blüht der Frühling auf !» [«Ô tourne, tourne tes pas / Dans la vallée fleurit le printemps.»]. Cette opinion a toutefois été mise en doute, et d’autres sources évoquent le chant d’un veilleur de nuit de Leipzig comme source de ce motif.

Schumann, quant à lui, explique au chef d’orchestre Wilhelm Taubert, le 10 janvier 1843 : «Pourriez-vous insuffler dans le jeu de votre orchestre un peu de nostalgie du printemps ? C’est ce à quoi j’ai le plus pensé lorsque j’ai écrit [la symphonie] en janvier 1841. J’aimerais que la toute première entrée de trompette sonne comme si elle venait d’en haut, comme un appel au réveil. Plus loin dans l’introduction, j’aimerais que la musique évoque le monde qui verdit, peut-être avec un papillon flottant dans les airs, et qu’elle peigne ensuite, dans l’Allegro, comment tout ce qui est lié au printemps prend vie. […] Mais ce sont des idées qui ne me sont venues à l’esprit qu’une fois que j’eus terminé la pièce.»

Quoi qu’il en soit, ce motif engendre le thème principal de l’Allegro qui suit, de forme sonate (exposition, développement et réexposition de deux thèmes contrastés). Petite originalité schumanienne, la coda présente un nouveau thème.

Le Larghetto est une page gracieuse en mi bémol majeur, qui ne se départit pas de sa sérénité ; dans les premières notes de son thème, présenté par les premiers violons divisés à l’octave, on reconnaît à nouveau une dérivation de la fanfare initiale de la symphonie.

Le mouvement se finit en point d’interrogation et se résout dans le scherzo, page agreste où s’opposent deux motifs : l’un tourmenté, en sol mineur, porté par les cordes et ponctué de timbale ; l’autre souriant, présenté par la clarinette, dans le ton relatif de si bémol majeur. Deux trios viennent s’intercaler entre ses différentes reprises.

Le finale jaillit avec la même spontanéité que le premier mouvement, interrompu brièvement, avant la réexposition, par un appel de cors et une cadence volubile de flûte.

Claire Delamarche

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