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Notes de programme

L’Arlésienne / Fêtes romaines

ven. 6 juin | sam. 7 juin 2025

Retour aux concerts des ven. 6 juin et sam. 7 juin 2025

Programme détaillé

Georges Bizet (1838-1875)
L’Arlésienne

Extraits des suites d’orchestre nos 1 & 2

Suite n° 1 (assemblée par Georges Bizet)
I. Prélude : Allegro deciso tempo di marcia – Andantino molto – A tempo
II. Minuetto : Allegro giocoso

Suite n° 2 (assemblée par Ernest Guiraud)
II. Intermezzo  : Andante moderato ma con moto – Allegretto moderato
IV. Farandole : Allegro deciso (Tempo di marcia)

[18 min]

Claude Debussy (1862-1918)
Iberia

(Extrait des Images pour orchestre)

I. Par les rues et par les chemins : Assez animé (dans un rythme alerte mais précis)
II. Les Parfums de la nuit : Lent et rêveur
III. Le Matin d’un jour de fête : dans un rythme de marche lointaine alerte et joyeuse

[20 min]

Ottorino Respighi (1879-1936)
Feste romane

[Fêtes romaines]

I. Circenses [Jeux du cirque]
II. Giubileo [Jubilé]
III. L’Ottobrata [La Fête d'octobre]
IV. La Befana [L’Épiphanie]

[24 min]

Concert sans entracte.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Laurent Zufferey direction

Introduction

Du soleil : voilà la promesse de ce programme quelques semaines avant le début officiel de l’été. Le soleil de l’Italie et plus précisément celui de Rome dans les Fêtes romaines (1928), qui font partie avec les Pins de Rome et les Fontaines de Rome de la «trilogie romaine» d’Ottorino Respighi. En quatre mouvements, le compositeur résume l’histoire de la cité chrétienne : les jeux du cirque, avec le cruel combat des gladiateurs et les plaintes des martyrs dévorés par les bêtes féroces, les pèlerinages, les réjouissances dans la campagne, les rencontres amoureuses au son d’une mandoline et la joyeuse animation de la piazza Navona. Le soleil de l’Espagne avant que la nuit ne tombe, puisque dans Iberia (1908), deuxième des trois Images pour orchestre, Debussy nous fera marcher «Par les rues et par les chemins» avant de nous faire sentir les «Parfums de la nuit», et nous réveiller au «Matin d’un jour de fête». Le soleil de la Provence enfin, à la recherche de l’Arlésienne. Pour la pièce d’Alphonse Daudet, Bizet a composé une musique de scène et une suite d’orchestre (1872), auxquelles s’est ajoutée une seconde suite d’orchestre assemblée par son ami Ernest Guiraud (1879). De la chanson De bon matin j’ai rencontré le train, il a tiré sa brillante «Farandole».

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Bizet, L'Arlésienne

Au début de juillet 1872, le directeur du Théâtre du Vaudeville à Paris commande à Bizet une musique de scène pour accompagner les représentations de la nouvelle pièce d’Alphonse Daudet (1840-1897), L’Arlésienne. Les moyens alloués au compositeur lui permettent de disposer d’un chœur et d’un ensemble instrumental de vingt-sept musiciens. La création a lieu le 30 septembre. Mais après dix-neuf représentations, la pièce tombe dans l’oubli jusqu’au début des années 1880, où elle sera reprise avec un immense succès. Bizet pense immédiatement à tirer une suite symphonique de cette partition. La suite est créée le dimanche 10 novembre 1872 aux Concerts populaires, sous la direction de Jules Pasdeloup. Elle représente un peu plus d’un quart d’heure de musique. Elle réunit l’ouverture («Prélude») et trois moments du drame : «Minuetto», «Adagietto» et «Carillon». 

Après la mort du compositeur, son ami intime, Ernest Guiraud, compose une deuxième suite : «Pastorale», «Intermezzo», «Menuet», «Farandole». Il puise dans les thèmes de L’Arlésienne non exploités par Bizet, mais aussi dans son opéra La Jolie Fille de Perth pour le n° 2 («Menuet») ! C’est sous la forme de ces deux suites que la musique de L’Arlésienne va être diffusée dans le monde et devenir l’un des fleurons du répertoire français. La présente exécution réunit deux pièces de chaque suite.

Suite n° 1

I. Prélude

L’ouverture plante le décor naturel et psychologique du drame avec les trois thèmes principaux. Le premier (la Marche des rois empruntée au folklore local), traité avec un métier parfait en thème et variations, sonne comme l’emblème de la Provence. Le deuxième thème, présenté au saxophone (dont c’est l’un des premiers grands solos dans l’histoire de la musique) est lié au personnage de l’Innocent, discret, rêveur, compagnon du berger Balthazar dont il écoute les histoires, simple d’esprit qui va s’éveiller à la conscience. Le troisième thème (joué aux violons) est associé à son frère, Frédéri, personnage tourmenté qui conduira le drame à sa catastrophe. En effet, obsédé par l’image de l’Arlésienne, femme fatale avant l’heure, qu’il aime passionnément mais dont il a découvert la «légèreté» de conduite, il finit par se suicider en se jetant du haut d’un grenier, malgré les appels déchirants de sa mère. Ce thème suit une courbe chromatique descendante, puis éclate littéralement en effusion pathétique. Pour Bizet, il est tout autant le thème de l’Arlésienne elle-même : fascination et poison qui détruit Frédéri.

II. Minuetto

Il s’agit de l’«Intermezzo» séparant l’acte II de l’acte III. À la fin de l’acte II, Frédéri croit pouvoir se raisonner et trouver un remède à son mal d’amour en se tournant vers son amie d’enfance, la jolie et simple Vivette. L’«Intermezzo» (rebaptisé «Minuetto») correspond à un moment de détente. L’emploi d’un menuet participe aussi d’une caractérisation générale visant à instaurer un climat populaire par l’emploi de danses ou de thèmes traditionnels. Bizet suit la forme de type menuet-trio-menuet. Le menuet expose une mélodie, puis fait alterner le motif de tête aux bois et un élément tiré de sa conclusion aux cordes. Le trio installe un fort bourdon sur lequel se déploie une fine mélodie (saxophone et clarinette) gracieusement ornementée par une guirlande de croches aux violons. La mélodie passe aux violoncelles et aux violons, tandis que flûte, clarinette et harpe déroulent la guirlande. Reprise du menuet.

 

Suite n° 2

II. Intermezzo

Après un tableau évoquant les bords de l’étang de Vaccarès en Camargue, le drame se déroule à l’intérieur de la cuisine de la ferme du Castelet où va avoir lieu une réunion de famille. L’heure est grave. Il faut décider si Frédéri peut épouser la mystérieuse Arlésienne dont on connaît désormais la vie immorale, mais que le pauvre jeune homme ne peut chasser de son esprit et de son cœur. Bizet plante ce nouveau décor avec un premier motif, massif, joué à l’unisson, expression à la fois du caractère rustique des lieux et du moment solennel qui va se jouer. Ce motif alterne avec un second, pianissimo, qui sonne comme une interrogation. Que se passera-t-il ? Puis Bizet confie au son troublant du saxophone une mélodie tout en douceur, Allegro moderato, qui va s’élargir jusqu’au lyrisme le plus ardent. Frédéri va refuser l’Arlésienne, indigne de sa famille, et se tourner du côté de Vivette, qui l’aime depuis des années et accepte son cœur malade. 

IV. Farandole

À la fin du premier tableau de l’acte III, la nuit des fiançailles s’achève par une vaste farandole. L’entracte qui suit reprend en coulisse, pour marquer sa dissipation dans le lointain, cette musique entraînante dont le thème traditionnel est emprunté à la Danse des chevaux fringants. Avec maestria, Bizet parvient à combiner, à cette farandole, le thème de la Marche des rois. Dans la suite d’orchestre, Guiraud reprend l’entracte de la musique de scène en le faisant précéder de l’énoncé grandiose de la marche. Il conserve l’effet de zoom sonore méticuleusement mis au point par Bizet : la farandole vient de loin et se rapproche jusqu’à sembler nous emporter dans son sillage. C’est un superbe crescendo orchestral partant du son léger du tambourin soutenant la flûte et le hautbois seuls pour aboutir à un puissant tutti. La marche interrompt la farandole. Puis cette dernière est reprise et conduit à l’apothéose en se superposant à la marche.

– H. L.

Debussy, Iberia

Composition : 1906-1912. 
Création : Paris, 20 février 1910, par l’Orchestre Colonne sous la direction de Gabriel Pierné (Iberia) ; Paris, 26 janvier 1913, par l’Orchestre Colonne sous la direction d’André Caplet (Images complètes).

Les critiques comme le public venaient enfin d’accepter la modernité de La Mer, de commencer même à la goûter, que Debussy réitère l’affront qu’il avait déjà fait aux amateurs de Pelléas : il se renouvelle. «J’essaie de faire autre chose, confie-t-il en mars 1908 à Jacques Durand, alors qu’il travaille à Iberia, «et de créer, – en quelque sorte – des réalités – ce que les imbéciles appellent “impressionnisme”, terme aussi mal employé que possible, surtout par les critiques d’art, qui n’hésitent pas à en affubler Turner, le plus beau créateur de mystère qui soit en art !» Et voici que l’on crie – sauf Ravel, profondément enthousiasmé – au déclin de l’inspiration, à la sénilité précoce.

Une longue et difficile gestation (le premier projet, pensé pour deux pianos, date de 1905 ; la composition définitive, quant à elle, se situe entre 1906 et 1912, et l’œuvre connut trois créations : deux partielles en 1910, une complète en 1913) donne naissance à trois mouvements d’inégales proportions : Rondes de printemps et Gigues entourent Iberia, lui-même subdivisé en trois parties, «Par les rues et les chemins», «Les Parfums de la nuit», «Le Matin d’un jour de fête». L’écriture orchestrale, à la fois colorée et pure, y est d’une rare finesse et témoigne du désir debussyste de se libérer toujours plus du «mastic multicolore» wagnérien (selon M. Croche, avatar critique du compositeur) au profit d’un travail du timbre porté sur la transparence, la spatialité et les superpositions, le raffinement, et enfin l’éclat. Rythmes de danse, de habanera ou de marche, oscillations, thèmes qui n’ont de populaire que l’allure, harmonies complexes s’enchaînent et se mêlent avec un art consommé, faisant appel, comme l’explique Boulez, à une «manière inédite de “créer” le développement» sans jamais revenir en arrière. Les transitions y sont faites d’une main de maître, tout particulièrement celle qui mène des «Parfums de la nuit» (nocturne irisé de dièses comme le prélude La Terrasse des audiences au clair de lune et les mélodies Clair de lune, Harmonie du soir ou Recueillement) au «Matin d’un jour de fête», dont Debussy se félicite : «Ça n’a pas l’air d’être écrit…», confie-t-il à Caplet en février 1910.

«Une Espagne imaginée avec une exactitude incroyable»

Tandis que les Rondes de printemps évoquent la France, tandis que les mélancoliques Gigues et leur hautbois d’amour se tournent vers l’Écosse, les trois morceaux d’Iberia chantent l’Espagne, ou plutôt le rêve d’Espagne de Debussy, qui n’y mit qu’une seule fois les pieds, vers 1880, mais qui y consacra plusieurs pages (Lindaraja, La Soirée dans Grenade, La Puerta del vino…). Iberia naît ainsi à Paris comme La Mer en Bourgogne… Pour le compositeur, il s’agit de «sites auriculaires», comme il le note en 1908 (l’expression, si elle sonne très Satie, est empruntée à une œuvre de jeunesse de Ravel) : «C’est ainsi qu’en ce moment j’entends les bruits que font les chemins en Catalogne, tout en même temps que la musique des rues de Grenade.» Manuel de Falla, ami de Debussy, tout comme Albéniz, l’a parfaitement compris ; ainsi, il explique à propos d’Iberia, dont la musique «intensément expressive et richement nuancée» lui fait l’effet d’un éblouissement : «Debussy a prétendu, non pas faire de la musique espagnole, mais bien traduire ses impressions d’Espagne, d’une Espagne qu’il ne connaissait guère ou pas, et qu’il a imaginée avec une exactitude incroyable.»

– Angèle Leroy

Respighi, Fêtes romaines

Ancien disciple de Giuseppe Martucci, de Nikolaï Rimski-Korsakov et de Max Bruch, Ottorino Respighi a été à bonne école pour maîtriser les subtilités de l’orchestration. Pourtant, malgré la première américaine triomphale des Pins de Rome, en janvier 1926 sous l’illustre baguette d’Arturo Toscanini, son œuvre semble avoir souffert d’une certaine désaffection. Si l’on programme encore les trois poèmes symphoniques de la «trilogie romaine» (Les Fontaines de Rome, Les Pins de Rome et Fêtes romaines), Les Oiseaux, un Coucher de soleil inspiré par Shelley ainsi qu’une Boutique fantasque d’après Rossini initialement destinée aux Ballets russes de Serge Diaghilev, une large part de son catalogue semble boudée depuis sa disparition. Pour certains critiques, ce serait la faute d’images trop explicites tant il est vrai que Respighi s’abandonne volontiers à la description et à la narrativité ; en recourant à l’anecdote et au pittoresque, le compositeur brosse pourtant de subtils tableaux de la culture italienne.

À propos des Fontaines de Rome, créées en 1917 par l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile sous la direction d’Antonio Guarnieri, Elsa Respighi expliquait que son époux avait perçu «la voix-même de la Ville éternelle […] dans la voix des cent fontaines». Envahi par des émotions contradictoires, le compositeur y traduisait en effet des sentiments contradictoires, un véritable amour et la répulsion qu’il ressentait à l’égard de la capitale italienne, partagé entre ses beautés et son atmosphère accablante. Avec Les Pins de Rome, créés sept ans plus tard par Bernardino Molinari, l’impression de «cartes postales» s’effaçait encore derrière sa volonté de saisir la profonde humanité et le caractère sacré de la cité. À la proximité des catacombes et au souvenir des légions romaines répondaient les jeux d’enfants et le chant des oiseaux, replongeant l’auditeur aux sources de la chrétienté et de la nation. Parachevant cette magnifique trilogie symphonique, les Fêtes romaines remontent à leur tour les siècles. «De la manière dont est formé l’orchestre actuellement, on ne peut obtenir davantage, et je crois que je n’écrirai plus de partitions de ce genre», confiait Respighi, qui n’a pas hésité à convoquer un piano à deux ou quatre mains et un orgue en plus des instruments habituels.

La démesure de la partition est d’autant plus saisissante que les mouvements extrêmes contrastent avec des moments de calme intermédiaires. C’est là aussi une façon de témoigner des excès de l’histoire. Trois buccins signalent l’ouverture des portes de l’arène. Trois buccins remplaçables par autant de trompettes car il n’est pas évident de trouver, au sein de l’orchestre moderne, des musiciens familiers de ce vieil instrument d’origine étrusque et de forme circulaire. Au spectacle des gladiateurs et à ses fanfares succède une mélodie très simple de cordes, réminiscence du plain-chant douloureux des martyrs. Dans les graves de l’orchestre, les bêtes sauvages grognent. Dans le deuxième mouvement, l’histoire se poursuit avec la fête catholique du Jubilé, les appels de cloches, l’approche des pèlerins et la vision magnifique qui se livre à eux sur la ville lorsqu’ils arrivent au Monte Mario. Le troisième mouvement relève plus du paysage : les images pastorales sont ponctuées d’échos de chasse, et une mandoline s’invite pour une sérénade dans la douceur du soir. Les ruptures de styles, les effets dramatiques, une modalité sans âge et des réminiscences populaires colorent un récit qui traverse ainsi les époques, jusqu’à nous transporter, dans un enchaînement parfait, au cœur de la ville. Sur la Piazza Navona, là-même où s’élevait autrefois le grand stade de Domitien. Désormais, les touristes y affluent pour admirer l’église Sainte-Agnès-en-Agone ainsi que les fontaines, notamment celle des Quatre-Fleuves, œuvre du Bernin. Les réjouissances semblent ne s’être jamais interrompues depuis l’Antiquité. Tandis que les terrasses des cafés s’emplissent des clameurs de la foule, surgit un tromboniste exubérant. Puis les chants et les danses reprennent comme si de rien n’était, signes d’une fête qui se voudrait éternelle.

– François-Gildas Tual