Notes de programme

LA CHAMBRE AUX ÉCHOS

Sam. 23 mars 2024

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Programme détaillé

Henry Purcell (1659-1695)
Fantasia Upon One Note

[4 min]

Georg Friedrich Händel (1685-1759)
Concerto grosso en fa majeur, op. 6/2, HWV 320

I. Andante larghetto
II. Allegro
III. Largo
IV. Allegro, ma non troppo

[13 min]

Edward Elgar (1857-1934)
Introduction et Allegro op. 47 [15 min]

[15 min]

Henry Purcell
Fantaisie pour violes n° 7, à quatre parties

[4 min]

Kaija Saariaho (1952-2023)
Nymphea Reflection

I. Sostenuto
II. Feroce
III. Dolcissimo
IV. Lento espressivo
V. Furioso
VI. Misterioso

[22 min]

Concert sans entracte.

Avec des artistes en formation.
Dans le cadre de la Biennale des musiques exploratoires de Grame, Centre national de création musicale.
Dans le cadre d’Unanimes ! Avec les compositrices, une initiative de l’Association française des orchestres.

Distribution

Orchestre des Pays de Savoie
Pieter-Jelle de Boer 
direction
Quatuor Béla : Julien Dieudegard et Frédéric Aurier violon Paul-Julian Quillier alto – Luc Dedreuil violoncelle
Élèves du Conservatoire à rayonnement régional de Lyon

Introduction

Händel est né saxon, est devenu sujet britannique, et ses concerti grossi, nés comme intermèdes pour les théâtres londoniens, évoquent l’Italie de Corelli. Leur principe ? La confrontation entre un groupe de solistes et le tutti orchestral, qui se répondent en écho. Plus globalement, la notion d’écho gouverne l’ensemble de ce concert. Échos entre les sources d’inspiration, échos entre les musiciens rassemblés, échos au sein même des partitions, comme ces mouvements parallèles ou contraires qui régissent la Fantaisie sur une note de Purcell. Échos de tous les pays, jusqu’à la Finlande de la regrettée Kaija Saariaho, décédée en juin 2023. Gageons que son Nymphea Reflexion résonnera longtemps dans nos oreilles. Comme un écho.

Purcell, Fantaisies

Composition : 1680.

Henry Purcell est sûrement le compositeur le plus connu de l’Angleterre baroque. Apprécié par ses pairs comme par de nouvelles générations de compositeurs anglais (Benjamin Britten notamment), sa musique devient le symbole du pays dès la fin du XVIIe siècle.

Si ce compositeur est reconnu surtout grâce à sa musique vocale (Didon et Énée, 1689 ; King Arthur, 1691), sa production n’en reste pas moins intéressante. La Fantaisie pour violes n° 7 et la Fantasia Upon One Note sont extraites du même recueil, Fantasias and In Nomines, composé en 1680. Purcell n’a alors que 21 ans. Quelques années plus tôt, il occupait encore le poste de responsable des orgues et des instruments à vent royaux, qui le mènera en 1677 à devenir organiste de l’abbaye royale de Westminster. 

Ce recueil s’inscrit dans un contexte bien particulier, en plein essor de la monarchie anglaise. Après une brève révolution menant à une République qui n’a que peu duré, le couronnement de Charles II en 1661 annonce le début d’une ère marquée par un éveil culturel et une activité foisonnante dans le pays. 

En 1680, Purcell est encore jeune mais prouve son génie musical dans ce premier recueil plein de promesses. Les influences académiques sont bien présentes, sans doute apprises en étudiant des œuvres du maître William Byrd (1543-1623). Mais une imagination riche s’y déploie rapidement, ainsi qu’une multitude d’émotions. 

La Fantaisie pour violes n° 7 est composée le 19 juin 1680 pour un ensemble à quatre parties. Septième pièce du recueil sur seize, cette fantaisie révèle une maîtrise de l’art polyphonique anglais. Toutes les dissonances sont menées avec subtilité surtout au sein de la partie initiale. La forme est libre, comme le laisse supposer le titre de fantaisie, et des contrastes opposent deux caractères bien distincts. Tout d’abord, la mélancolie est reine, caractérisée par un tempo lent et des jeux de dissonances. Un univers plus rythmé prend ensuite le relai avec une dynamique surprenante et davantage de verticalité. Comme dans un jeu, ces deux mondes alternent rapidement jusqu’à la touchante conclusion, en miroir avec l’introduction.

Seizième et dernière pièce du recueil, la Fantasia Upon One Note est écrite pour un ensemble à cinq parties. Comme l’indique son titre, elle est construite sur une voix qui ne jouera qu’une seule note, un do, du début à la fin. À partir de cette voix, les quatre autres se déploient grâce à des mouvements de notes conjoints, qui se font de plus en plus complexes au fil de la fantaisie. Dans cette œuvre courte, Purcell a su traduire de nombreux élans dramatiques grâce aux rythmes et harmonies et à la gestion des voix, tout cela autour d’une note immuable – une preuve supplémentaire de la maîtrise technique du jeune compositeur anglais. 

– Irène Hontang

Pour écouter tout le recueil des Fantaisies and In nomines
CD Henry Purcell, Fantasias for the Viols, 1680, par Jordi Savall et l’Ensemble Hespèrion XX, 1995, label Astrée.
 

Händel, ​​​​​​​Concerto grosso en fa majeur

Composition : 4 octobre 1739.

Allemand de naissance, Georg Friedrich Händel est anglais par adoption. En novembre 1710, date à laquelle il arrive en Angleterre, il devient l’un des compositeurs les plus appréciés du pays après la mort de Purcell quinze ans plus tôt. Il ne tardera pas à obtenir le prestigieux poste de compositeur de la Cour et créera de nombreuses œuvres pour la Couronne, notamment le célèbre Water Music (1717).

Publié à Londres en 1739, le recueil des Douze Concerti grossi op. 6 a été composé avec une extrême rapidité (chaque concerto aurait été écrit en un jour !). 

Divisé en quatre mouvements distincts, le Concerto grosso en fa majeur figure en deuxième place. Il dégage une profonde mélancolie, propice à l’introspection. En outre, l’atmosphère générale semble évoquer la nature grâce aux jeux de lumières et par la finesse de discours entre le ripieno (ensemble de tous les instruments, solistes et tuttistes) et le concertino (groupe des solistes, ici composé de deux violons et un violoncelle). La conclusion mélancolique et tendre évoque des souvenirs émus d’une époque révolue. Ce concerto grosso, bien au-delà d’une simple démonstration d’écriture, est la preuve d’une richesse et d’une puissance d’émotion.

– I. H.

Elgar, Introduction et Allegro

Composition : 1905.
Création : Londres, 8 mars 1905, par l’Orchestre symphonique de Londres.
Dédicace : «À son ami le professeur S. S. Sanford, University Yale, États-Unis».

Compositeur anglais à la transition entre les XIXe et XXe siècles, Edward Elgar connaît un large succès dans son pays comme à l’étranger. Quand il compose l’Introduction et Allegro en 1905, il est déjà considéré comme un compositeur majeur grâce aux Variations Enigma et à la première marche de Pomp and Circumstance. Grâce à sa réputation grandissante, Elgar a l’occasion de voyager à quatre reprises aux États-Unis. Samuel Simon Sanford, dédicataire de l’Introduction et Allegro, est professeur de théorie musicale à l’Université Yale et l’un des principaux diffuseurs de la musique d’Elgar aux États-Unis. Il lui offre un doctorat honorifique en 1904 et, l’année suivante, Elgar le remercie avec cette dédicace. 

Alors que le genre du concerto grosso est délaissé durant tout le XIXe siècle, Elgar renoue avec lui, comme un hommage aux grands maîtres du genre tels Arcangelo Corelli et Georg Friedrich Händel. Le groupe de soliste (le concertino) est ici constitué d’un quatuor à corde conventionnel (deux violons, un alto et un violoncelle), et l’orchestre (le ripieno) ne requiert que des instruments à cordes frottées, pour une homogénéité des timbres. 

L’Introduction et Allegro est une œuvre brève, brillante et virtuose. Son thème principal, aux sonorités pastorales, est une mélodie galloise, récoltée par le compositeur alors qu’il était en vacances dans le Cardiganshire, à l’ouest du Pays de Galles. 

Construite comme un vaste scherzo, cette partition est parcourue d’élans romantiques, contrastant constamment entre le clair et l’obscur.

– I. H.

Saariaho, Nymphea Reflexion

Composition : 1987 (version quatuor à cordes) ; 2001 (version orchestre à cordes).
Création : New York, 20 mai 1987, par le Kronos Quartet (version quatuor à cordes) ; Festival du Schleswig-Holstein, 16 août 2001, par le Sinfonietta Cracovia dirigé par John Axelrod (version pour orchestre à cordes).
Commande : Lincoln Center de New York et Doris et Myron Beigler pour le Kronos Quartet (quatuor à cordes).
Dédicace : au chef d’orchestre Christoph Eschenbach.

Nymphea Reflection, pour orchestre à cordes, représente une adaptation (ayant nécessité de multiples arrangements et restructurations) d’un quatuor à cordes composé une quinzaine d’années plus tôt : Nymphea, sous-titré Jardin secret III. Dans cette pièce, un dispositif électroacoustique se mêlait en direct à l’interprétation des musiciens. Pour cette version plus ample en terme de nombre de musiciens, seuls les sons «authentiques» des instruments sont donnés à entendre, mais l’écriture musicale vise à reproduire les effets d’un traitement électroacoustique.

Le titre de Nymphea évoque spontanément les toiles de Monet. Saariaho admet s’être inspirée de «la structure symétrique du nénuphar qui, flottant sur les eaux, se plie, se transforme». Autre référence extramusicale se dissimulant derrière cette œuvre : un poème d’Arseni Tarkovski, There Has To Be More, que les musiciens murmurent à la fin du morceau, dans une traduction en anglais. D’après la compositrice elle-même, cette poésie mélancolique évoquant les beautés de la nature représente la meilleure porte d’entrée à Nymphea Reflection. Le titre revient de façon lancinante à la fin de chaque strophe, évoquant l’aspiration humaine à l’inconnu et à l’infini, comme dans ses vers finaux : «Jamais feuille ne s’est flétrie / Jamais branche ne s’est brisée / Le jour a la clarté du verre / Mais il doit y avoir autre chose.»

– Mathilde Serraille

Tarkovski, There Has To Be More (anglais)

Now Summer is gone 
And might never have been. 
In the sunshine it's warm, 
But there has to be more. 

It all came to pass, 
All fell into my hands 
Like a five-petalled leaf, 
But there has to be more. 

Nothing evil was lost, 
Nothing good was in vain, 
All ablaze with clear light 
But there has to be more. 
Life gathered me up 
Safe under it's wing, 
My luck always held, 
But there has to be more. 

Not a leaf was burned up 
Not a twig ever snapped 
Clean as glass is the day 
But there has to be more. 

(Translated by Kitty Hunter-Blair) 

Tarkovski, There Has To Be More (français)

L’été maintenant s’en est allé
Peut-être même ne fut-il jamais.
Il fait doux au soleil.
Mais il doit y avoir autre chose.

Tout n’était qu’éphémère.
La vie s’est posée dans mes mains
Comme une feuille à cinq pétales
Mais il doit y avoir autre chose.

Aucun bien, aucun mal
Qui n’ait eu raison d’être
Auréolé d’une claire lumière
Mais il doit y avoir autre chose.

La vie m’a recueilli
À l’abri sous son aile,
Toujours la chance me fut fidèle, Mais il doit y avoir autre chose.

Jamais feuille ne s’est flétrie
Jamais branche ne s’est brisée
Le jour a la clarté du verre,
Mais il doit y avoir autre chose.

Arsenyi Tarkovski

(Original en russe – Traduction de Dominique Lebeau, d’après la version anglaise de Kitty Hunter-Blair)