Notes de programme

IVETA APKALNA

Ven. 9 juin 2023

Retour au concert du vendredi 9 juin 2023

programme détaillé

Pēteris Vasks (né en 1946)
Hymnus

(Dédié à Iveta Apkalna)

[15 min]

Sofia Goubaïdoulina (née en 1931)
Hell und Dunkel

[Clair et Obscur]

[9 min]

Lionel Rogg (né en 1936)
Deux Visions de l’Apocalypse

– La Femme et le Dragon
– La Cité céleste

[14 min]

Leoš Janáček (1854-1928)
«Postlude» de la Messe glagolitique

[4 min]

 

--- Entracte ---

Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
«Passacaille» de l’opéra Lady Macbeth de Mtsensk, op. 29

[7 min]

Pēteris Vasks
Balta Ainava

[Paysage blanc]
Arrangement pour orgue de Tālivaldis Deksnis

[7 min]

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Passacaille et Fugue en do mineur, BWV 582

[13 min]

Distribution

Iveta Apkalna orgue

Vasks, Hymnus

Composition : 2018.
Dédicace : à Iveta Apkalna.
Commande : Orchestre philharmonique de Los Angeles – Gustavo Dudamel.
Création : Los Angeles, Walt Disney Concert Hall, 19 mai 2019, par Iveta Apkalna.

Né en 1946 à Aizpute, en Lettonie, Pēteris Vasks a réalisé très tôt que les fonctions pastorales de son père pouvaient nuire à une carrière dans un État prônant l’athéisme. Les portes du Conservatoire national lui étant demeurées fermées, il a dû poursuivre sa formation à Vilnius, en Lituanie, avant de retrouver les siens et sa patrie pour travailler avec Valentins Utkins. Ni l’occupation soviétique, ni l’absence de tourne-disque et de téléviseur ne pouvaient pourtant empêcher la musique de s’inviter dans les maisons et dans les églises. Devant ses premières impressions musicales aux mélodies chantées par sa mère et aux cantiques, Pēteris Vasks a retenu un texte révolutionnaire pour sa première composition chorale, quand il n’avait que 10 ans. Cela en dit long sur ce que le jeune enfant attendait de la musique, grâce à laquelle il s’apprêtait à célébrer la terre natale et les racines : «Je ressens la douleur du monde comme le point de départ de mon œuvre. Je n’ai pas besoin d’imaginer la misère et de la représenter. Je suis au milieu de celle-ci. Ma famille y est. Mon peuple tout entier y est

Pēteris Vasks ne chante pas tant la souffrance en la décrivant qu’en l’extériorisant, comme pour lui offrir un contrepoint de beauté et ainsi la chasser. Il y a dans sa musique à la fois la nostalgie de l’enfance et celle de tout un pays à l’histoire mouvementée. «Sa source d’inspiration essentielle, spirituelle et artistique, est la nature, écrit Iveta Apkalna de son compatriote. Je crois qu’elle est la vraie religion de Vasks. À travers ces deux forces, la religion et la nature, le compositeur nous parle et touche notre âme

Admirateur de son voisin estonien Arvo Pärt, Pēteris Vasks a simplifié son écriture. «Je n’ai plus le temps pour la noirceur, explique-t-il dans un récent entretien. Je n’ai pas assez de temps et je voudrais montrer le chemin vers la lumière. Nous avons tellement besoin de lumière.» Souhaitant remédier à la dissolution des croyances et des idéaux, il indique croire en la faculté de la musique à nourrir l’âme. Né d’une simple ligne de basse, le dessin mélodique de Hymnus s’élève jusqu’à se transmuer en de longues harmonies. Si la tonalité demeure très claire, les accords s’assombrissent au cœur de la pièce afin d’inaugurer un nouveau crescendo, et aboutir à une lumière plus vive encore : «Avant, ma musique était plus dramatique, plus tragique. Je n’ai plus tellement de temps, alors je veux positiver, je veux exprimer lumière et amour. L’amour, l’amour et encore l’amour

– François-Gildas Tual

Goubaïdoulina, Hell und Dunkel

Composition : 1976.
Création : Leningrad, 21 mai 1979, par Alexeï Lioubimo.

Originaire de la République socialiste soviétique autonome tatare, Sofia Goubaïdoulina est elle aussi née dans un monde sans religion. Un monde dans lequel les croyances devaient demeurer si profondément enfouies qu’il devenait déraisonnable d’exprimer sa foi. À l’issue de ses études, assistante de Dmitri Chostakovitch, la compositrice a toutefois souhaité puiser aux sources de la poésie et de la spiritualité. Baptisée au sein de l’Église orthodoxe russe, elle a fini par quitter la Russie pour s’installer en Allemagne au moment de la chute du régime. Composée en 1976, la pièce Hell und Dunkel ramène l’auditeur à cette époque sombre durant laquelle Sofia Goubaïdoulina rencontrait l’aversion de ses collègues de l’Union des compositeurs soviétiques, au point d’être inscrite par Tikhon Khrennikov sur une liste noire. Qualifiée de décadente, elle n’a pourtant jamais cessé de chercher la lumière. En peinture, le clair-obscur n’est pas qu’un jeu d’éclairage ; chez Leonard de Vinci comme chez le Caravage, il confronte le terrestre et le divin par de brillants rehauts, dégradés évanescents du sfumato ou brutales juxtapositions du ténébrisme. En musique aussi, il peut aussi bien adopter le camaïeu d’un chromatisme que la lenteur d’une progression harmonique, de soudains changements de dynamique ou de mode que des accords et des effets instrumentaux inattendus. La violoniste Anne-Sophie Mutter entend ainsi, dans un concerto de Sofia Goubaïdoulina, «les ténèbres et le combat que se livraient l’ombre et la lumière» au contact du dernier choral de Bach : «Devant ton trône, je vais comparaître

Dans Hell und Dunkel, les heurts sont aussi d’une terrible violence. Clusters, trémolos, chromatismes et dessins mélodiques plus ou moins sériels font apparaître sur la partition toutes sortes de lignes, parallèles ou angulaires, étirant les harmonies dissonantes ou embrassant toute la tessiture du clavier alors que les portées comme les notes s’effacent à leur tour. Cette pièce témoigne du choc vécu par la Russie quand, s’émancipant des derniers préceptes jdanoviens, le pays accueillait les lueurs de l’Ouest. On y devine une aspiration que ne pouvait pas même freiner la méfiance de l’Église orthodoxe vis-à-vis de la musique nouvelle, car il «reste au compositeur qui souhaite manifester sa foi à trouver sous quelles formes il peut le faire».

– F.-G. T.

Rogg, Deux Visions de l’Apocalypse

Publication : 1995.

Impossible, à l’écoute du diptyque de Lionel Rogg, de ne pas entendre l’influence de la musique d’Olivier Messiaen. De ses Visions de l’Amen comme de ses pièces pour orgue aux incroyables couleurs. De l’Apocalypse, Lionel Rogg retient deux visions : le Dragon satanique se mesurant à la Femme et à sa descendance, puis la Cité céleste. La première vision semble partout convoquer le nombre, dans les mesures irrégulières, dans les intervalles de quartes et de quintes justes, dans le pointillisme stellaire. La seconde est plus simple, plus massive aussi, d’une seule pièce. Les longues tenues en figurent les précieux fondements, tandis que la ville s’élève, crescendo, gamme ascendante sans fin vers la lumière de do majeur. Une simple harmonie, exempte de toute altération, incarne pour Lionel Rogg l’éclat de la Cité. Chaque chromatisme, chaque errance harmonique paraît conduire à elle, pour mieux en imposer la brillance à la lecture des versets de l’Apocalypse de Jean : «Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée pour son époux. Et j’entendis du trône une forte voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes !» Transporté par un ange au sommet d’une montagne, Jean découvre la ville sainte : «Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse, d’une pierre de jaspe transparente comme du cristal. Elle avait une grande et haute muraille. Elle avait douze portes, et sur les portes douze anges, et des noms écrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël.» À l’orgue d’en restituer les couleurs par l’extraordinaire variété des accords et des registrations. Ici les murailles de jaspe, là cette cité d’or pur mais transparente comme du verre, les pierres précieuses, jaspe, saphir, calcédoine, émeraude, sardonyx ou sardoines. Ce n’est pas la Cité qui descend à Jean, mais le regard de l’Évangéliste qui s’élève vers les plus hauts sommets. Au terme de la lente ascension, faisant disparaître définitivement toute dissonance, voici donc la lueur éternelle de do majeur, éblouissante synthèse de tous les accords et de toutes les couleurs : «La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer ; car la gloire de Dieu l’éclaire, et l’agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire. Ses portes ne se fermeront point le jour, car là il n’y aura point de nuit
– F.-G. T.

JANÁČEK, «POSTLUDE» DE LA MESSE GLAGOLITIQUE

Composition (messe) : 1926.
Création (messe) : Prague, 5 décembre 1927, par la Société des arts de Brno, sous la direction de Jaroslav Kvapil.

Curieux postlude que celui de la Messe glagolitique de Leoš Janáček. Curieux car pour orgue seul dans une messe réclamant aussi un grand orchestre. Curieux car son écriture se situe au croisement du mouvement perpétuel et de la passacaille. En 1926, Leoš Janáček parvient enfin à écrire cette messe dont il a le projet depuis plusieurs années. Il est désormais loin le temps où il suivait sa scolarité au monastère augustinien de Klášter králové, à Brno, sous la protection du maître de chapelle Pavel Křížkovský. Désormais, Janáček n’est «ni vieux, ni croyant, jusqu’à ce que je voie par moi-même !». Né dans une Moravie dominée par la culture autrichienne, il n’a toutefois rien perdu de son slavisme militant et décide de mettre en musique la très vieille écriture glagolitique inventée par les saints Cyrille et Méthode pour favoriser l’accès aux textes sacrés en langue vernaculaire. Le vieux slavon sonne donc, dans la Messe glagolitique, comme un retour à une identité populaire contre la romanisation de l’Église et la germanisation des Slaves.

Passant l’été dans la ville thermale de Luhačovice, Leoš Janáček profite du temps pluvieux pour travailler : «Les nuages roulent. Le vent les déchire et les chasse comme il y a un mois au dessus de l’école d’Hukvaldy. L’obscurité s’épaissit. Vous scrutez la nuit sombre que déchirent les éclairs. Vous allumez la chétive ampoule électrique du haut plafond. Il n’y a rien d’autre, excepté le motif désespéré des mots “Gospodi, pomiluj” [Seigneur, prends pitié]. Rien, mais le cri de joie “Slava, Slava !” [Gloire, Gloire !]. Rien, sauf la douleur de l’agonie sur les mots “Rospět že za ny mučen y pogreben jest” [Crucifié pour nous, martyrisé et enseveli]. Rien, mais la fermeté de la foi sur le motif du serment “vieruju” [Je crois]. Et, la fin, le sentiment d’enthousiasme et d’émotion dans “Amen, Amen !”»

Probablement y a-t-il un peu de tout ça dans le postlude. Régulièrement transposé, parfois traité en canon à la noire, le bref motif de passacaille est d’une joie communicative. De plus en plus vite, un poco più mosso, presto puis prestissimo, il se métamorphose régulièrement, mêlant ses intervalles de secondes mineures, majeures ou augmentées comme pour témoigner de quelques attaches populaires sous les amples accords à la majesté religieuse. Avec ces accords, il participe à une dialectique dont les dessins cruciformes ne cessent d’appeler à retrouver la lumière. 

F.-G. T.

CHOSTAKOVITCH, PASSACAILLE

Composition (opéra) : de 1930 à 1932.
Création (opéra) : 22 janvier 1934, simultanément au Théâtre Maly de Leningrad et au Théâtre d’art de Constantin Stanislavski et Vladimir Nemirovitch-Dantchenko, à Moscou.
Création (version pour orgue) : Leningrad, Philharmonie, 17 janvier 1933, par Mikhaïl Starokadomski.

28 janvier 1936 : dans la très officielle Pravda, un article anonyme dénonce le formalisme du dernier opéra de Chostakovitch, Lady Macbeth du district de Mtsensk [ou plus simplement en français : Lady Macbeth de Mtsensk, ndlr], suite à la présence de Staline et de Molotov aux représentations du Bolchoï. «Le chaos remplace la musique», lit-on dans l’organe journalistique du parti, bien que l’opéra ait été auparavant créé avec un certain succès. La musique n’est plus qu’un «flot de sons intentionnellement discordants et confus», un «chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine», la démonstration sur scène du «naturalisme le plus grossier». Seule voie permise, celle du réalisme socialiste, ouverte par Maxime Gorki et désormais tracée par la très officielle Association des compositeurs. Exigeant «une lutte implacable contre les tendances modernistes, typiques de la décadence de l’art bourgeois contemporain», le réalisme socialiste a beau être un concept plus littéraire que musical, il n’en imprègne pas moins la musique. Contre «l’asservissement à la culture bourgeoise moderne», il appelle les notes à militer pour une «représentation véridique, historiquement concrète, de la réalité dans son développement révolutionnaire». Il refuse tout pessimisme, croit en l’avenir.

Dans le deuxième acte de Lady Macbeth de Mtsensk, la mort de Boris – beau-père de l’héroïne Katerina Ismaïlova – s’enchaîne avec un puissant intermède symphonique en forme de passacaille. Dans Wozzeck, Alban Berg avait déjà choisi de porter cette forme instrumentale sur scène. Dans l’opéra de Chostakovitch, elle semble réagir à la brutalité du meurtre, sorte de marche funèbre dont on ne sait si elle pleure le marchand ou si elle condamne déjà les amants criminels. Si l’on en croit les derniers mots du prêtre dans la scène précédente, elle pourrait bien servir de requiem. Bientôt transcrite pour l’orgue, la passacaille rappelle le goût du compositeur pour une forme régulièrement présente dans sa musique, dans ses Vingt-quatre Préludes et Fugues composés peu après comme dans son Premier Concerto pour violon, sa Huitième Symphonie, son Deuxième Trio et son Troisième Quatuor

Reposant tout entière sur le principe de répétition, la Passacaille manifeste à la fois l’inéluctabilité du drame et les obsessions des personnages. Furieusement dissonante, l’introduction de Chostakovitch franchit l’intervalle mélodique de triton pour aboutir à un puissant accord de do dièse mineur. Commence alors le motif de basse, lui aussi marqué par le triton et par un mouvement descendant peu optimiste, dans les basses du pédalier de l’orgue. Aux claviers, le contrepoint s’enrichit de figures rythmiques nouvelles : croches, rythmes pointés, doubles-croches, sextolets puis triples-croches. Il en résulte un grand crescendo, une polyphonie de plus en plus dense, amplifiée par les octaves et les accords parallèles, avant que la musique ne fasse marche arrière et, descrescendo, ne revienne au caractère initial. Le rideau se lève et déjà ce n’est plus que pour descendre un nouveau corps à la cave que Katerina Ismaïlova fera la lumière.

– F.-G. T.

VASKS, BALTA AINAVA

Composition : 1980.
Création : Rīga, Jāzepa Vītola Latvijas Mūzikas Akadēmija, 11 novembre 1980, par Imants Zemzaris.
Arrangement pour orgue : Tālivaldis Deksnis, qui en a donné la première audition à la cathédrale de Rīga.

De sa Lettonie natale, Pēteris Vasks a hérité d’un immense amour pour les vastes plaines, pour les forêts luxuriantes de pins, les prés verts et les marécages, les lacs, les fleuves et innombrables rivières, ainsi que pour les longues plages de sable fin qui bordent la Baltique. Cette nature, le compositeur en a fait son refuge à l’heure où son pays était placé sous le joug soviétique. Sans doute lui a-t-elle manqué lorsqu’il a été forcé de partir afin de gagner la Lituanie voisine. La beauté de la nature, précise-t-il, «a inspiré nombre de mes travaux, car elle m’a offert des moments de bonheur uniques. Le plat pays est l’un des éléments dominants du paysage letton, c’est un lieu où l’on peut voir l’horizon, où l’on peut contempler le ciel étoilé». De cette nature sont nés les Plainscapes, à travers lesquels instruments et voix fusionnaient dans l’absence de texte, privilégiant le statique et l’étal, à l’image d’un pays qui ne s’élève guère au-dessus de la mer, culminant avec le Gaiziņkalns à 311 mètres. 

Conçu pour le piano avant d’avoir été arrangé pour l’orgue, Balta Ainava s’attache à la blancheur des paysages de la Baltique. Là encore, la musique apparaît comme figée, tourne sur elle-même, dans un ambitus à l’exiguïté à la fois angoissante et rassurante. Quelques accords, telles des cloches, résonnent comme un lointain cantique. Dans sa version pour orgue, l’écriture profite du souffle illimité de l’instrument pour paraître encore plus immobile. Et une indicible douleur s’échappe de la musique, rappelant combien Pēteris Vasks aime son pays : «Je vis en Lettonie, un pays magnifique à l’histoire tragique, marqué par sa situation géopolitique qui a fait que des grandes puissances sont toujours venues nous occuper. Notre histoire est triste, mais depuis trente ans nous jouissons de la liberté. Je compose une musique inspirée par la nature de mon pays ; je parle ma langue, mais comme mon expression est musicale et instrumentale, elle peut être comprise universellement

– F.-G. T.

BACH, PASSACAILLE ET FUGUE EN DO MINEUR

Composition : entre 1706 et 1713.

Ce récital s’achève sur l’une des pièces maîtresses du répertoire : la Passacaille et Fugue en do mineur de Bach. Emprunté à l’espagnol – de pasar, passer, et de calle, rue –, le terme de «passacaille» renvoie à la fois à une danse de cour à trois temps et à une forme instrumentale, généralement pour clavier, conçue comme une série de variations sur un motif répété à la basse. Pour point de départ de sa propre passacaille, Johann Sebastian Bach a retenu le thème d’un Trio en passacaille du Premier Livre d’orgue d’André Raison, thème dont les origines remontent en fait au plain-chant de la Pentecôte.   

Lorsqu’il était en poste à Lunebourg, Johann Sebastian Bach fut au contact de l’esthétique musicale française. Le duc Georg Wilhelm de Brunswick-Lunebourg avait en effet épousé une calviniste d’origine poitevine, et sa cour accueillait de nombreux huguenots chassés de France. Là, Bach travailla avec Georg Böhm, lui-même grand connaisseur du style français. Il découvrit les partitions de Nicolas de Grigny et de François Couperin, rencontra Thomas de La Selle, maître de ballet et disciple de Lully. Par la suite en poste à Arnstadt, il prit également congé pour aller écouter Buxtehude à Lubeck et se familiariser avec le riche contrepoint nord-allemand.

Probablement écrite après ce voyage, à Mühlhausen ou à Weimar, la Passacaille en do mineur est un monument imposant dont toute la structure repose sur un seul motif. Tandis que l’orgue français repose sur les combinaisons de jeux, la passacaille de Bach est essentiellement contrapuntique. C’est l’art le plus abouti de la superposition et de l’imitation. Le motif se transforme, circule entre les parties, parfois s’évanouit pour n’imposer que sa succession harmonique, gage d’unité troquant parfois ses valeurs initiales contre d’autres plus brèves, régulières ou irrégulières, et marquant toutes les voix de ses propres intervalles avant de conduire la fugue comme une vingtième et dernière variation. Faut-il comme certains chercher des proportions symboliques derrière les notes et les mesures ?

– F.-G. T.