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Notes de programme

Mozart / Rachmaninov

jeu. 20 nov. | sam. 22 nov. 2025

Programme détaillé

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre n° 27, en si bémol majeur, KV 595

I. Allegro
II. Larghetto
III. Allegro

[32 min]

 

--- Entracte ---

Sergueï Rachmaninov (1873-1943)
Symphonie n° 2, en mi mineur, op. 27

I. Largo – Allegro moderato
II. Allegro molto
III. Adagio
IV. Allegro vivace

[60 min]

 

Concert capté par Radio Classique pour une diffusion ultérieure.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Rudolf Buchbinder piano

Introduction

Dans ses concertos pour piano, explique Rudolf Buchbinder, Mozart se révèle dans une dimension à la fois publique et privée, tel qu’il est et tel qu’il veut être, montrant tout ce dont il est capable. «Ce que je trouve fascinant, confie le pianiste, c’est l’incroyable intimité et la personnalité que l’on peut y entendre.» Composé en 1791, l’année de la mort du compositeur, il ne laisse rien transparaître des tourments personnels et financiers qui l’accablent alors. Rien ne semble plus opposé à la légèreté printanière du Vingt-septième Concerto que l’ampleur mélodique et la générosité orchestrale de Rachmaninov. Mais, comme le rappelle encore Rudolf Buchbinder, la clarté de Mozart exige de son interprète un «souffle» particulier. Ce souffle anime aussi la musique de Rachmaninov, envahit même la monumentale Deuxième Symphonie, dont l’achèvement a pourtant été si difficile. Un souffle vital tant il est vrai que, pour le compositeur, composer était une part aussi essentielle de son être que «de respirer ou de manger». Composée en 1907, créée l’année suivante à Saint-Pétersbourg, cette partition progresse d’un climat sombre et introspectif à une énergie rayonnante, ne renonçant jamais à ce lyrisme prenant qui est la marque du compositeur russe.

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Mozart, Concerto pour piano n° 27

Composition : datée du 5 janvier 1791.
Création probable : Vienne, 4 mars 1791.

Pressé par les dettes tout du long de sa dernière année d’existence, Mozart signa d’émouvants chefs-d’œuvre tout en répondant à des commandes purement alimentaires ; après le quintette destiné à un riche marchand, il livra une première fantaisie pour orgue mécanique au comte Deym-Müller, puis il se lança dans les préparations du Carnaval comme le lui imposait son titre de compositeur de la Chambre impériale. Malgré les cours particuliers qu’il donnait en sus, Mozart devait compter le moindre sou, et voir ses projets de voyages et de concert à bénéfice s’effondrer. Est-ce pour cette raison qu’il se contenta d’un concert qui ne lui était pas personnellement consacré – concert du clarinettiste Joseph Bähr – pour présenter au public, pour la première fois sans doute, son vingt-septième et dernier concerto ? L’occasion était nettement moins favorable que ne l’avaient été les concerts à la cour de Dresde, à Leipzig et à Francfort pour le couronnement de Leopold II, durant lesquels il avait joué le vingt-sixième.

Toujours est-il que le nouveau concerto ne laisse rien transparaître de ces angoisses et désillusions. L’exposition orchestrale est certes percée de quelques accents dramatiques, mais des notes répétées malicieusement par les cordes effacent aussitôt la menace. Espoir ? Plus loin, les assombrissements chromatiques et modulations pianistiques offrent des contrastes si subtils qu’ils ne remettent pas en cause l’apparente tranquillité. Et dans le développement thématique du premier mouvement, les changements soudains de tonalité défient les lois de la conduite harmonique – soulignés par l’alternance instrumentale et par les soli de bois –, mais se révèlent passagers. Beaucoup ont relevé des analogies avec d’autres œuvres : un rythme du Larghetto avec un quintette contemporain, la tonalité générale avec un quatuor de six mois antérieur et plus inquiet, ou le motif principal du finale, souvenir de Dorabella dans Così fan tutte, et annonciateur d’un joyeux lied sur un printemps à venir. Certains ont alors fait du concerto un adieu, d’autres un nouveau départ. Peut-être est-ce les deux à la fois, tant le Rondo conclusif est insouciant, après les questionnements centraux. Nulle lutte en ces pages, mais un émouvant détachement. Dans un mélange de renoncement et de quiétude, comme à la recherche des bonheurs et succès d’autrefois.

– François-Gildas Tual

Rachmaninov, Symphonie n° 2

Composition : Dresde, 1907.
Création : Saint-Pétersbourg, 26 janvier 1908, sous la direction de l’auteur. 

«Qu’est-ce que la musique ? Comment la définir ? La musique est une calme nuit au clair de lune, un bruissement de feuillage en été. La musique est un lointain carillon au crépuscule ! La musique vient droit du cœur et elle ne parle qu’au cœur ; elle est Amour ! La sœur de la musique est la Poésie, et sa mère est le Chagrin !» Ainsi s’exprimait Rachmaninov en 1932 (lettre à W. Koons). Cette déclaration semble quelque peu décalée en plein XXe siècle, tant elle renvoie à une autre époque, celle des exaltations romantiques du XIXe. Longtemps, les tenants de la modernité ont considéré avec condescendance Rachmaninov, compositeur décidément trop anachronique pour être jugé digne de figurer au panthéon des créateurs authentiques du début du XXe siècle. C’est un fait : la musique de Rachmaninov regarde avec une profonde nostalgie vers une époque révolue, celle d’avant la révolution et l’exil de la terre russe. Mais si on l’écoute sans préjugé, on y découvrira un mode d’expression hautement personnel, un lyrisme profondément incarné. Rachmaninov, pianiste incomparable, est loin d’être seulement un «pianiste-compositeur». 

En 1895, Rachmaninov mit tout son être intime dans sa Première Symphonie, œuvre ambitieuse nourrie d’un vécu autobiographique passionné et désespéré. Ce bouillonnement intérieur se traduisit en une œuvre imparfaitement dominée, sombre et oppressante, qui dérouta le public de Saint-Pétersbourg. Le déchirement et l’échec étaient au cœur du propos de cette symphonie, et cela ne lui porta pas chance. Le jeune compositeur de 24 ans sombra dans une profonde dépression, et songea même à abandonner la composition. Ce n’est que grâce aux séances de psychothérapie, à base d’hypnose, d’un médecin neurologue qu’il consulta quotidiennement de janvier à avril 1900, que Rachmaninov put surmonter la crise. Une floraison de chefs-d’œuvre en résulta, au nombre desquels le fameux Deuxième Concerto pour piano

«Une expérience humaine»

Rachmaninov attendit encore quelques années avant de se mesurer une seconde fois au genre de la symphonie. Mais, au lieu de chercher des climats expressifs inédits, il décida de surmonter son échec en reprenant, pour sa nouvelle œuvre, nombre des traits caractéristiques de sa première symphonie : ampleur épique du discours, sentiments chargés de pathos douloureux, épisodes sombres et menaçants, obsession du thème de plain-chant funèbre du Dies iræ qui parcourt toute sa musique comme une marque de feu. Mais une véritable maturité, une aisance souveraine dans la technique d’écriture viennent parachever le projet, pour magnifier tout ce qu’a d’authentiquement profond l’expérience humaine qui en est la source, et qui nous touche irrésistiblement. 

La longue introduction lente du premier mouvement installe d’emblée l’auditeur dans le temps suspendu de l’introspection, avant de le plonger dans le combat tragique de l’existence qui ne ménage que de brèves parenthèses de bonheur, d’un lyrisme plus détendu. Ce combat culmine, lors de la réexposition, par des sonneries cuivrées qui sont manifestement un hommage au Tchaïkovski de la Symphonie «pathétique» (le maître révéré avait encouragé les débuts de compositeur du jeune Rachmaninov, dès 1885). 

Le second mouvement est un scherzo qui introduit une détente bienvenue, bien que ce «jeu» plus léger soit empreint d’une certaine nervosité. Mais bientôt l’épanchement lyrique prend le dessus et laisse culminer l’émotion intime… À la fin du mouvement, un énigmatique choral de cuivres sonne comme un rappel funèbre, une sombre prémonition qui pulvérise les restes d’humaine agitation.

Dans le troisième mouvement, Adagio, la beauté de la cantilène confiée à la clarinette solo porte le cachet inimitable de son auteur, celle de l’irrépressible nostalgie russe où l’on aime à se complaire. 

Le finale passe au crible d’une énergie rayonnante les souvenirs des mouvements précédents, marquant le triomphe de l’acte créateur sur les vicissitudes que l’artiste peut rencontrer en chemin. 

– Isabelle Rouard