Notes de programme

Nathan Laube

Programme détaillé

Richard Wagner (1813-1883)
Ouverture de Tannhäuser

(Arrangement pour orgue de Nathan Laube)

[18 min]

Karol Beffa (né en 1973)
Ciels brouillés

[16 min]

Franz Liszt
Sonate pour piano en si mineur

(Arrangement pour orgue de Nathan Laube)

[30 min] 

Nathan Laube orgue

 

Concert sans entracte.

Wagner, ouverture de Tannhäuser

Composition de l’opéra : de 1842 à 1845. 
Création : Dresde, Théâtre de la cour, 19 octobre 1845, sous la direction de l’auteur. 
Révisions : 1847 (Dresde), 1860 (publication chez Breitkopf & Härtel), 1861 (Paris) et 1875 (Vienne).

Cinquième opéra achevé par Wagner, Tannhäuser und der Sängerkrieg auf dem Wartburg [Tannhäuser et le Tournoi de chant à la Wartburgest son premier à puiser dans l’histoire et la mythologie de l’Allemagne médiévale (la frontière entre les deux étant parfois floue).Le protagoniste, Tannhäuser, est un personnage réel, un Minnesänger (poète courtois) du XIIIe siècle. Selon la légende, il s’éprit de la déesse de l’amour, Vénus, et partit pour Rome afin d’obtenir l’absolution du pape Urbain IV. Wagner place ce récit dans le contexte historique des deux fameux Sängerkriege [tournois de chant] qui eurent lieu en 1206 et 1207 à la Wartburg, la cour du landgrave Hermann de Thuringe. Il étoffe l’intrigue d’un second personnage féminin, Elisabeth, la nièce du landgrave. Tout le propos de l’opéra est le dilemme de Tannhäuser, partagé entre les plaisirs triviaux de la chair, incarnés par Vénus, et l’amour transcendé qu’offre Elisabeth.

Condensé musical et dramatique de l’ouvrage, l’ouverture est tiraillée entre ces deux univers, représentés par deux thèmes que Baudelaire désigna comme le «chant du Ciel» et «chant furieux de la chair» : le sombre et lent choral qui accompagnera dans l’opéra la procession des pèlerins (Andante maestoso), entonné par les clarinettes, cors et bassons, puis le scintillant thème du Venusberg, assorti d’un cortège de thèmes et motifs (Allegro). Au sommet de ce tourbillon capiteux retentissent bientôt les deux principaux thèmes du duo Tannhäuser/Vénus de l’acte I : l’Hymne de Tannhäuser à Vénus («Dir töne Lob !»), irrépressible élan juvénile et amoureux des violons, puis la réponse de Vénus l’invitant à l’amour («Geliebter komm !»), incarnée dans l’ouverture par un solo de clarinette. Dans la section finale, le thème des pèlerins reprend à pleine force, sur un déluge sensuel issu du monde de Vénus. Alors, explique Wagner, «Ies deux éléments jusqu’alors séparés, l’esprit et les sens, Dieu et la nature, s’enlacent, unis dans l’étreinte sacrée de l’amour».

Franz Liszt, beau-père de Wagner, ne tarissait pas d’éloges sur ce morceau : «L’ouverture de cet opéra extraordinaire est une œuvre admirable en elle-même. Elle résume la pensée du drame. Le chant des pèlerins et le chant des syrènes y sont posés comme deux termes, qui dans le final trouvent leur équation. […]. Elle forme un tout symphonique si complet, qu’on peut la considérer comme un morceau indépendant de l’opéra qu’il précède. Les deux pensées principales qui s’y déroulent, avant de se réunir dans leur immense confluent, expriment leur entière portée, l’une avec furie, l’autre avec un si irrésistible ascendant, qu’elle finit par absorber l’espace, en déployant son invincible envahissement

– Claire Delamarche

Karol Beffa, Ciels brouillés

Composition : 2020.
Première audition : Paris, Auditorium de Radio France, 25/05/2021, par Nathan Laube.
Commande : de Radio France.
Dédicace : à Nathan Laube.

Ciels brouillés est une pièce pour orgue en deux mouvements. Dans le premier, un thème se déploie sur un tempo lent, en une ample phrase aux arêtes anguleuses. À cette phrase répond au pédalier une ligne mélodique elle aussi aux contours capricieux. Plus tard, c’est dans une écriture chambriste qu’une chorégraphie illusoire se met en place, bientôt estompée par l’apparition d’harmonies rampantes. Dans le second mouvement, les deux mains, virevoltantes, commencent par dessiner des contours d’antiennes grégoriennes imaginaires. Suivent des imitations rapprochées, puis des canons, auxquels succèdent des bribes de chorals avec des entrecroisements de lignes de plus en plus périlleux. Le rythme se fait de plus en plus haletant, coupé par des hoquets, perturbé par des mesures irrégulières. L’harmonie, fluctuante, se fixe par instants sur une note polaire. S’insérant dans cette trame polyrythmique surgit le thème du Dies iræ, qui devient peu à peu envahissant. Apparaît alors un nouvel épisode, dont l’inscription dans un temps suspendu instaure un moment de répit dans un climat de rêverie. Mais l’agitation qu’entretenaient des basses toujours plus nerveuses reprend, se mue en une course effrénée — perpetuum mobile au caractère motorique et obstiné —, et ce jusqu’au final.

– Karol Beffa

Franz Liszt, Sonate en si mineur

Composition : 1852-1853.
Création : Berlin, 27/01/1857, par Hans von Bülow.
Dédicace : à Robert Schumann.

De 1839 à 1847, Liszt donna plus de mille récitals, créant telle une rock-star d’incroyables hystéries collectives, jusqu’à Gibraltar, Constantinople et l’Oural. Il inventa le récital pour piano sous sa forme moderne. Le premier, il joua par cœur des programmes colossaux et fit placer le piano perpendiculairement à la salle, le couvercle renvoyant le son vers le public. Cette vie tourbillonnante prit fin avec son installation à Weimar, comme maître de chapelle de la cour grand-ducale. C’est là qu’il acheva, le 2 février 1853, la Sonate en si mineur, dédiée à Robert Schumann. Au contraire de l’enthousiaste Wagner, Schumann, son épouse Clara et leur ami Brahms n’apprécièrent guère le cadeau dont Liszt honora le compositeur rhénan. Et lors de la création (en janvier 1857, à Berlin), le facteur Bechstein – dont on entendait le premier piano à queue – recueillit bien plus d’éloges que cette sonate à la forme insolite, dotée d’une facture gigogne.

Coulée en un seul bloc, elle révèle en effet à la fois la structure d’un premier mouvement de sonate (introduction – exposition, développement et réexposition des thèmes – coda) et celle d’une sonate entière en quatre mouvements (introduction lente et allegro, andante, scherzo fugué, finale vif avec coda). Précédant de quelques mois les deux symphonies Faust et Dante, elle procède de la recherche formelle menée dans les neuf premiers poèmes symphoniques, où Liszt abolit l’opposition traditionnelle entre deux thèmes typés et livre son matériau à un travestissement permanent, à mi-chemin entre variation et développement. Dans les œuvres symphoniques, ces thèmes évoluent avec les héros qu’ils représentent. Point de personnages dans l’abstraite sonate, quoique l’on y ait reconnu les combats entre l’héroïque Faust et le sarcastique Méphisto, arbitrés par la tendre Marguerite. Mais l’auditeur suit ces thèmes comme de précieux amis, dans le dédale aventureux du monument lisztien.

– Claire Delamarche