Saison 2022/2023

Résilience et transitions

Paroles croisées entre Grégory Doucet et Aline Sam-Giao

Auditorium de Lyon vu de l'extérieur

Grégory Doucet, maire de Lyon, et Aline Sam-Giao, directrice générale de L’AO, se retrouvent à nouveau pour dialoguer avec une rare liberté sur la place de l’Auditorium et de l’Orchestre national de Lyon dans la cité. 

Grégory Doucet : Le premier mot qui me vient à l’esprit, même si on l’emploie beaucoup aujourd’hui, serait celui de résilience…

Aline Sam-Giao : Voilà qui ravira Boris Cyrulnik, invité de la saison qui vient !

GD : Il n’y a pas de hasard… Je suis admiratif de cette capacité à ne rien lâcher, pour le dire un peu trivialement ; à saisir toutes les opportunités pour revenir vers le public, s’ouvrir sur la ville, continuer à développer de nouveaux projets.

ASG : La longueur de cette crise fait du retour du public dans les salles un défi plus difficile à relever qu’on pouvait l’imaginer il y a un an. Nos équipes se battent d’arrache-pied, concert par concert, pour aller chercher les spectateurs, toujours 20 % de moins qu’en 2019. Nous avons lancé une enquête auprès de notre public, afin de comprendre pourquoi certains spectateurs ne reviennent pas. Les résultats laissent apparaître que nous avions sans doute sous-estimé la peur. Les études scientifiques ont clairement démontré que les salles de spectacle, qui ont mis en place des protocoles sanitaires extrêmement efficaces, sont beaucoup moins à risque que n’importe quel autre lieu de la vie sociale. C’est pour nous une telle évidence que nous n’avons pas perçu que le public n’en était pas assez informé.

GD : Je suis très curieux des résultats de votre enquête, car le problème se pose pour l’ensemble des activités culturelles. Chaque séquence de cette pandémie a fait franchir un palier d’incertitude, et à mesure que les connaissances s’accumulaient, les peurs devenaient plus irrationnelles. Certains secteurs résistent-ils mieux grâce à un public très passionné ? Je vois des concerts donnés à l’Auditorium continuer à faire le plein !

ASG : Grâce à la relation de fidélité nouée avec les musiciens permanents et le directeur musical. Cette familiarité, cette connivence entre public et artistes sont plus que jamais des éléments déterminants de la fréquentation.

GD : Je tiens à redire ici combien la permanence artistique permet d’échapper à la précarité qui frappe les intermittents. Quand on donne la sécurité à un collectif, on lui donne aussi de la force et de l’indépendance. Le fait que l’Orchestre et l’Auditorium soient une seule et même entité enrichit, en outre, sa réflexion sur le rapport au public et au corps social, comme à l’espace urbain, qui lui est intimement lié. Historiquement, les institutions culturelles sont un peu «posées» dans la ville, parfois au bout de grandes places vides. Le quartier de la Part-Dieu, en profonde mutation aujourd’hui, en est un parfait exemple. La multiplication des logements, avec un fort objectif de mixité sociale, aura probablement un effet sur la fréquentation, dans les créneaux du soir et du week-end où les immeubles d’affaires se vident.

ASG : Nous observons d’ailleurs avec beaucoup d’attention les nouveaux usages qui s’éla¬borent sur l’esplanade, parcours cyclistes, jeux d’enfants… Ils sont une clé d’un accès plus fluide à l’Auditorium. Cette question s’articule à celle de la transition écologique. On incrimine beaucoup les voyages des artistes, mais le bilan carbone établi par L’AO rejoint celui d’autres grandes institutions cultu¬relles : l’empreinte la plus lourde est celle des déplacements des spectateurs. Pourtant, 75 % de notre public est métropolitain, donc de proximité. Mais les transports urbains sont le poste sur lequel nous avons le moins de prise. Cela ne nous dédouane pas d’une réflexion sur nos propres déplacements, qui arrivent au deuxième rang. Les tournées au bout du monde, en changeant de ville tous les jours, ne correspondent plus aux attentes des musiciens, ni probablement des spectateurs. Les résidences d’une semaine dans la même cité, au sein d’un grand auditorium (nous venons de rejoindre ECHO, le réseau européen des salles de concert), assor¬ties de prestations dans les villes voisines accessibles en train, et d’actions culturelles, sont davantage en prise avec le monde contemporain. Ce bilan carbone nous a cependant valu une surprise, en plaçant au troisième rang seulement l’empreinte du bâtiment, que nous imaginions comme une passoire thermique…

GD : Vous avez de la chance ; j’aimerais pouvoir en dire autant de notre célèbre Hôtel de Ville du XVIIe siècle ! Quant à la restructuration des modes d’accès, c’est évidemment un enjeu majeur. L’organisation des circulations par strates telle qu’elle existe à la Part-Dieu, avec les piétons sur leur dalle et les voitures au-dessous, est aujourd’hui périmée. Le réaménagement doit donner toute leur place à la marche et aux locomotions douces. La transition écologique est une démarche transversale, qui implique au même titre que l’ensemble de la société les acteurs culturels, avec, je tiens à le souligner, un volontarisme particulier de ces derniers. Sans doute parce qu’une telle réflexion mûrissait chez eux depuis longtemps déjà.

ASG : Elle s’articule avec celle portant sur les droits culturels, dont on parle beaucoup aujourd’hui sans forcément savoir les définir. Ses axes majeurs portant sur l’éducation, la formation et la participation sont loin d’être révolutionnaires nous concernant ; comme Monsieur Jourdain, voilà longtemps que les orchestres font des droits culturels sans le savoir !

GD : D’où notre volonté de donner à chaque enfant l’occasion d’accéder à une pratique musicale, par le moyen des écoles de musique et conservatoires, mais aussi de dispositifs visant une plus grande mixité sociale comme celui que vous portez avec les orchestres de jeunes Démos. On peut juger modeste la progression de cent vingt à cent soixante-dix enfants réalisée cette année, mais compte tenu du contexte de crise, je la trouve déjà héroïque ! Et nous sommes déterminés à aller au-delà, car ce type de programme donne sa pleine mesure grâce à des effets de seuils, un nombre suffisamment élevé pour en asseoir sa légitimité.

Entretien réalisé par Vincent Agrech le 8 février 2022

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