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Horaires d’été

Du 30 juin au 25 juillet le service billetterie vous accueille sur place et par téléphone de 9h à 16h.

Notes de programme

Philtres et amour

jeu. 25 sept. | sam. 27 sept. 2025

Programme détaillé

Richard Wagner (1813-1883)
Tristan et Isolde : prélude et Mort d’Isolde

[Tristan und Isolde : Vorspiel und Liebestod]

[17 min]

Ernest Bloch (1880-1959)
Schelomo, rhapsodie hébraïque pour violoncelle et orchestre

[20 min]

Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Roméo et Juliette, ouverture-fantaisie d’après la tragédie de Shakespeare

[20 min]

Concert sans entracte.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Jian Wang violoncelle

Introduction

Jian Wang n’avait que 10 ans et était élève au Conservatoire de Shanghai quand le monde entier le découvrit grâce à un documentaire consacré au voyage du violoniste Isaac Stern en Chine, en pleine Révolution culturelle. Arrivé aux États-Unis, il aurait pu surfer sur les vagues superficielles du succès et briller à la lumière de la virtuosité si son violoncelle n’avait préféré le chant des émotions secrètes et de la nostalgie. Avec lui, la «fantaisie hébraïque» Schelomo de Bloch (1916) prend tout son sens. Inspirée par le personnage biblique de Salomon, elle rappelle que «tout est vanité», le pouvoir comme le luxe et la volupté. Avec Wagner et Tchaïkovski, c’est l’amour le plus pur, la passion jusqu’à la mort et la fidélité absolue que la musique s’apprête à célébrer. Comme les héros médiévaux Tristan et Iseult, les amoureux shakespeariens Roméo et Juliette ont été les victimes de philtres qui n’étaient sans doute que des prétextes pour précipiter leur amour jusque dans la mort. Dans son ouverture-fantaisie (1869/1880), Tchaïkovski fait surgir le thème de l’amour de celui de la hainequi oppose les familles Capulet et Montaigu. Dans son opéra, créé à Munich en 1865, Wagner fait de la mort un éveil à une vie nouvelle. Jamais funèbre, la mélodie envoûte, devient elle-même philtre d’amour par sa sensualité vertigineuse. Même privée de mots dans cette version purement orchestrale, la «Mort d’Isolde» rejoint l’«ouverture-fantaisie» de Tchaïkovski pour traduire les passions les plus extrêmes, le visage le plus intense de la volupté amoureuse.

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Wagner, Prélude et «Mort d’Isolde

Handlung (action) en trois actes, livret du compositeur.
Composition :
Suisse (Zurich, puis Lucerne) de 1854 au 6 août 1859.
Création du prélude : Paris, Théâtre-Italien (salle Ventadour), 25 janvier 1860.
Création de l’opéra complet : Munich, 10 juin 1865, Königliches Hof- und Nationaltheater.

Peu de notes ont fait couler autant d’encre que le premier accord de Tristan et Isolde, avec sa destination harmonique incertaine et ses résolutions, rebondissant par chromatismes, qui se dérobent à leur tour. Ainsi s’élabore la «mélodie infinie» dont Wagner définit le concept en 1860 dans son essai Musique de l’avenir : des motifs (le Désir ardent, le Regard, le Philtre d’amour, le Philtre de mort, le Désir d’amour, Tristan et enfin Tristan et Isolde) qui s’enchevêtrent dans une progression ininterrompue. Accumulant les tensions harmoniques, évitant tout repos cadentiel, dotée par ailleurs d’une luxuriance orchestrale exceptionnelle, la musique de Tristan n’est dès le vertigineux prélude qu’un immense hymne au désir. Un désir si intense qu’il ne pourra s’assouvir que dans la mort – Wagner compose Tristan, de fin 1856 à août 1859, sous la double influence de Schopenhauer, apôtre du renoncement comme seule voie vers l’apaisement, et de son amour impossible avec Mathilde Wesendonck, poétesse mariée à un riche ami et qu’il appelait «[son] Isolde». Les trois actes sont un arc tendu vers sa dernière scène, la «Mort d’amour» [Liebestod] d’Isolde, «Mild und leise wie er lächelt» [«Avec douceur et sans bruit, comme il sourit»], ici jouée dans sa version purement orchestrale.

C’est Isolde qui parle de «mort d’amour ardemment désirée» dans le grand duo de l’acte II. Wagner, quant à lui, préférait le terme de «transfiguration», symbolisée par cet accord final de si majeur, repos si attendu. C’est Mauriac, peut-être, qui fit de cette page l’éloge le plus vrai* : «Ce chant d’amour, le plus sublime que l’humanité ait arraché à sa chair, ne cesse à aucun moment d’être un chant funèbre. […] À peine le philtre bu, et dès le premier regard qu’ils échangent, Tristan et Iseult savent où leur nef les emporte, et qu’ils cinglent vers le néant. Le pire est que, dans le  réel, Iseult ni Tristan ne meurent de leur passion ; presque toujours ils lui survivent ; et sans doute, entre les mille petits drames muets qui se jouaient, ce soir-là, dans la sombre salle dorée, un des plus tristes tenait tout entier dans le regard vite détourné qu’une créature jette sur le visage qu’elle a chéri, à une époque de sa vie, et qui n’éveille même plus en elle une ombre d’émotion. Ce que Tristan et Iseult fuient dans la mort, c’est l’horreur de s’aimer moins, c’est la honte de ne plus s’aimer

– Claire Delamarche

* François Mauriac, in Mozart et autres écrits sur la musique, recueillis, présentés et annotés par François Solesmes, Encre marine, La Versanne, 1996.

Bloch, Schelomo

Composition : décembre 1915 – janvier 1916.
Dédicace : au violoncelliste Serge Alexandre Barjansky.
Création : New York, Carnegie Hall, 3 mai 1917, par Hans Kindler et l’Orchestre philharmonique de New York placés sous la direction d’Artur Bodanzky.

Né à Genève dans une famille juive, Ernest Bloch a placé cet héritage au cœur de son œuvre musicale. Pour autant, il se défend d’avoir recherché une quelconque authenticité. «Ce n’est ni mon intention, ni mon souhait que d’entreprendre une reconstruction de la musique juive, ou de fonder mon travail sur des mélodies plus ou moins authentiques», écrit-il en 1917 au musicologie Philip Hale. «Je ne suis pas un archéologue. […] C’est l’âme juive qui m’intéresse, l’âme complexe, incandescente, agitée, que je sens vibrer à travers la Bible : la fraîcheur et la naïveté des Patriarches ; la violence des Livres prophétiques ; l’amour féroce des juifs pour la justice ; le désespoir de l’Ecclésiaste ; la douleur et la grandeur infinie du Livre de Job ; la sensualité du Cantique des Cantiques. […] C’est tout cela que je m’efforce d’entendre en moi-même et de transcrire dans ma musique

Schelomo est la partition la plus représentative dans cette floraison d’œuvres juives. Son titre est le nom hébreu (dans sa translittération allemande) du roi Salomon, auteur présumé de cet Ecclésiaste que Bloch associe au désespoir. Le compositeur avait caressé le projet d’une œuvre vocale sur ce livre de l’Ancien Testament, abandonnant ce projet car il ne l’imaginait qu’en hébreu, langue qu’alors il ne parlait pas. C’est donc le violoncelle qui incarna l’illustre roi et sa méditation sur la vanité des choses. À cet héritage biblique, Bloch superposa l’horreur qui était en train d’embraser le monde : l’œuvre naquit en 1916, juste avant que le compositeur ne quitte la Suisse pour les États-Unis. Par sa souplesse déclamatoire et ses inflexions (mélismes chromatiques, intervalles de seconde augmentée), le violoncelle rappelle la cantillation des synagogues. L’œuvre est désignée comme une rhapsodie, c’est-à-dire une forme libre. Elle commence par une méditation désabusée sur la vanité des choses («Vanité des vanités, tout est vanité»). Puis des rythmes plus vifs, une orchestration plus opulente exaltent de la vie glorieuse et luxuriante du souverain. Le violoncelle est rappelé à l’ordre, et la pièce se clôt dans la résignation, sur un ré grave. 

– C. D.

Tchaïkovski, Roméo et Juliette

Composition : octobre-novembre 1869 (1re version) ; juillet-août 1870 (2e version) ; août 1880 (3e version).
Création (1re version) : Moscou, 4 mars 1870, sous la direction de Nikolaï Rubinstein.
Dédicace : à Mili Balakirev.

Lorsqu’il entreprit la composition de Roméo et Juliette, Tchaïkovski avait encore peu écrit d’œuvres symphoniques. Après ses premiers essais d’étudiant, seule une première symphonie (1866) l’avait fait connaître et apprécier du public moscovite, suivie d’une «fantaisie symphonique», Fatum (1868), dont le compositeur, insatisfait, détruisit ensuite le manuscrit. En 1868, à l’occasion d’un séjour à Saint-Pétersbourg, Tchaïkovski, qui enseignait alors la théorie et l’écriture musicales au Conservatoire de Moscou, entra en contact avec les musiciens du groupe des Cinq. Ceux-ci, presque tous autodidactes, prônaient une musique nationale nourrie de chants populaires, volontairement éloignée des standards esthétiques occidentaux. Tchaïkovski représentait une tendance opposée, ouverte aux grands courants européens, mais leurs échanges furent pourtant tout à fait cordiaux. Mili Balakirev, le chef de file du «puissant petit groupe», se prit d’intérêt pour le jeune homme, au point de lui prodiguer force conseils techniques et critiques sans concessions. C’est sous son impulsion que naquit le projet de Roméo et Juliette : dans une lettre d’octobre 1869, il lui en proposa le sujet, le plan formel, des indications expressives et même l’agencement des tonalités successives. Tchaïkovski suivit dans les grandes lignes ses indications et acheva en quelques semaines la composition d’une première version de l’œuvre, qu’il soumit à l’examen de son mentor. Après une création publique qui ne recueillit pas grand écho, Tchaïkovski remania largement son ouverture en tenant compte des remarques de Balakirev. Il la reprit encore en 1880, modifiant quelques détails pour aboutir à la version définitive qui est jouée de nos jours.

L’œuvre est intitulée «ouverture-fantaisie», ce qui désigne une sorte de poème symphonique, où la musique à programme se coule dans une forme relativement classique d’une grande clarté (introduction, exposition, développement, réexposition, coda). Dans ce schéma issu d’une forme sonate, les thèmes qui s’opposent et se combinent représentent des personnages ou des sentiments, et leur interaction recrée un drame abstrait qui s’affranchit du détail de la narration théâtrale pour s’élever au niveau des archétypes.

«Une pensée est dirigée vers le ciel»

Le thème initial de l’introduction évoque vraisemblablement la figure de Frère Laurent, instrument du drame. Alors que Balakirev lui avait conseillé «le style des passages religieux du Faust de Liszt», Tchaïkovski a cherché à exprimer «une âme solitaire dont la pensée est dirigée vers le ciel» par une sorte de choral qui évoque les chants liturgiques orthodoxes. L’exposition (Allegro giusto) commence par un passage très mouvementé, aux rythmes heurtés, qui représente la haine entre les deux familles rivales. Les traits tourbillonnants des cordes et le fracas des cymbales évoquent une scène de duel. Le thème d’amour qui suit apporte évidemment un contraste absolu : cette souple mélodie subtilement harmonisée, aux accents passionnés, est l’une des inspirations les plus sublimes du compositeur. Elle est complétée par un motif aux oscillations chatoyantes, où d’aucuns ont cru reconnaître la timide Juliette répondant à son Roméo. Quand le thème est redonné une seconde fois, ces deux éléments sont effectivement enlacés ! Le thème de Frère Laurent joue un rôle éminent dans le développement, combiné aux accents heurtés du thème de haine, comme un cantus firmus tragique au-dessus de la mêlée. Dans la réexposition, le thème de haine l’emporte finalement en revenant après le sommet passionné du thème d’amour. La coda funèbre apporte finalement un apaisement sublimé. Nul doute que Tchaïkovski a mis beaucoup de lui-même dans cette évocation d’un amour impossible voué à la mort.

– Isabelle Rouard