Notes de programme

Baby Doll

Ven. 4 mars 2022

Retour au concert du ven. 4 mars 2022

Programme détaillé

Baby Doll
objet symphonique et migratoire

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie n° 7, en la majeur, op. 92, «Apothéose de la danse»

I. Poco sostenuto – Vivace
II. Allegretto
III. Presto – [Trio] Assai meno presto – Presto – Assai meno presto – Presto – Coda : Assai meno presto – Presto
IV. Allegro con brio

[36 min]

 

Intermèdes musicaux de Yom

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Durée : 1h50 sans entracte.

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Première mondiale du spectacle : Berlin, Deutsche Oper, 4 septembre 2020.

Coproduction Orchestre de chambre de Paris / Cité musicale – Metz / Auditorium-Orchestre national de Lyon / Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie / Opéra de Rouen Normandie / Fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne / Philharmonie de Paris.

Production déléguée : Orchestre de chambre de Paris.

France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et Télérama partenaires de l’événement.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Christian Reif 
direction
Marie-Ève Signeyrole conception, livret, mise en scène, scénographie et vidéo

Yom clarinette, composition
Maxime Zampieri percussions 
Régis Huby violoncelle
Léo Jassef piano

Annie Hanauer performeuse
Stencia Yambogaza performeuse
Tarek Aït Meddour performeur

Benoît Probst – art&Oh assistance à la scénographie, direction technique
Alexandre Galopin assistant collaborateur aux mouvements
Simon Frezel régisseur vidéo
Claire Willemann cadreuse, vidéaste
David Garniel lumière
Julien Schwaller poursuite
Cécile Moulin et Clarisse Chenu décors et accessoires

 

Le spectacle

Baby Doll,
objet symphonique et migratoire

Imaginé et mis en scène par Marie-Ève Signeyrole, Baby Doll bouleverse avec audace et poésie les codes du concert. L’emblématique Septième Symphonie de Beethoven y croise la route de jeunes femmes migrantes, au cœur d’un spectacle singulier qui se présente comme une aventure, et qui marie l’iconique et l’iconoclaste.

Une célébration de la danse

Comment fêter dignement le 250e anniversaire de la naissance de Beethoven ? Avec sa musique bien sûr, mais aussi en honorant les audaces et les fulgurances d’un compositeur qui aura toujours été politique en son temps. C’est ainsi qu’est née cette Baby Doll, où la Septième Symphonie se trouve embarquée dans un voyage inédit. «Chaque saison, l’Orchestre de chambre de Paris s’attache à construire un projet pluridisciplinaire autour d’une œuvre iconique du répertoire», explique Chrysoline Dupont, directrice de la programmation de l’OCP. «Dans le cadre de l’anniversaire Beethoven l’année dernière, nous nous sommes posé la question : “Que peut-on faire avec une symphonie de Beethoven aujourd’hui ? Comment lui offrir une profondeur de champ un peu différente ?” Nous voulions confier cette pièce à un artiste et lui laisser la liberté de s’en emparer totalement. Nous avons ainsi proposé à Marie-Ève Signeyrole de travailler autour de la Septième Symphonie, dont Beethoven disait qu’elle était une grande célébration de la danse. Il y a quelque chose de très cru, de très brut, de presque sauvage dans cette musique. La rencontre de ces deux personnalités promettait des moments forts

Issue du monde du cinéma, Marie-Ève Signeyrole s’est formée auprès des plus grands metteurs en scène internationaux : Peter Sellars, Krzysztof Warlikowski, Christoph Marthaler ou encore Emir Kusturica. À l’opéra, elle a apporté un souffle nouveau avec des propositions originales et engagées, qui lui valent aujourd’hui d’être sollicitée par les plus grandes maisons. Qu’il s’agisse de créations comme Le Monstre du labyrinthe ou de classiques comme La Damnation de Faust ou Nabucco, elle a à cœur de faire entendre les résonances des œuvres avec l’époque contemporaine : «Mon travail actualise ou revisite un matériau qui me précède ; je dois prendre position par rapport à mon époque, offrir une lecture nouvelle pour des spectateurs actuels. Bien plus que le livret, c’est la musique qui me porte et me raconte quelque chose sur le présent. Si une musique éveille mes intuitions et me parle de la réalité d’aujourd’hui, il me devient possible de retrouver dans le livret, de façon sous-jacente, un écho de notre société. Quand bien même le travail scénique demeure concentré sur l’objet musical qu’est la partition, il nous reste finalement une liberté immense

Quand le parcours de migrantes devient un conte musical

Que peut donc raconter la Septième Symphonie sur notre époque troublée ? «Marie-Ève Signeyrole s’est tout de suite emparée de la thématique de la migration, avec cette musique de Beethoven qui symbolise pour une part un idéal européen», se souvient Chrysoline Dupont. «À travers cette symphonie, elle a choisi de raconter le parcours de femmes qui quittent leurs pays d’origine – en Afrique subsaharienne, en Asie ou au Moyen-Orient – pour rejoindre l’Europe. Ces femmes sont souvent violées par les passeurs ou, pour éviter d’être violées, sont enceintes lorsqu’elles entreprennent de traverser la Méditerranée. Marie-Ève Signeyrole a été frappée par leurs destins. Elle a réuni leurs histoires et les a retravaillées pour donner naissance à une forme de conte moderne. Il ne s’agit pas de fiction documentaire ou d’un projet politique mais d’un objet symphonique inédit, qui poétise les faits pour rejoindre le domaine du conte.»

Un conte qui sera servi par la force de plusieurs disciplines : le texte, la danse, la vidéo… Deux comédiennes-performeuses dialogueront sur scène, chacune incarnant un destin différent – un destin européen et un destin exilé ou migrant –, et la présence masculine du passeur sera incarnée par le performeur Tarek Aït Meddour. Un travail de scénographie et de vidéo – avec la réalisation d’un film en direct – complétera le dispositif. L’idée de la barrière sera reprise sur scène et rappellera la notion de la frontière : qu’est-ce que la franchir ? Ne pas la franchir ? L’accueil ou le refus, la main tendue ou pas… Toutes ces thématiques sont explorées dans le spectacle. Pour que la magie opère et que Beethoven franchisse lui aussi de nouvelles frontières, restait aussi à créer une rencontre musicale. C’est là qu’intervient le clarinettiste Yom, qui ne perd jamais de vue son approche de l’âme humaine et un besoin d’universalité et de spiritualité qui le conduisent depuis quelques années à constamment faire évoluer son langage.

Une ambition commune : la création d’un pur objet symphonique

Marie-Ève Signeyrole travaille habituellement beaucoup pour l’opéra. Se confronter à l’espace de l’auditorium, avec des contraintes techniques et scéniques fortes mais aussi stimulantes, l’intéressait particulièrement dans ce projet : pas de fosse d’orchestre, des temps de répétition plus courts que ceux permis par l’opéra et le théâtre. Ces contraintes semblent imposer des limites mais permettent la création d’un pur objet symphonique.

Pour donner naissance à Baby Doll, six prestigieuses maisons se sont réunies, fédérant avec enthousiasme leurs ressources et leurs énergies pour que ce projet hors normes puisse voir le jour. «Seuls, nous n’aurions pas été en mesure de porter un projet de cette envergure, qui est finalement celle d’une petite production d’opéra ou d’une très grosse création de théâtre musical», précise Chrysoline Dupont. La Philharmonie de Paris, l’Arsenal de Metz, l’Auditorium-Orchestre national de Lyon, le Corum de Montpellier, l’Opéra de Rouen et la Fondation Gulbenkian à Lisbonne : six lieux très différents se sont unis pour faire advenir ce projet. Toutes ces institutions coproductrices qui accueilleront le spectacle se sont investies dans sa création et accompagnent le projet.

«Prophéties effroyables, vous êtes devenues terrestres, et vous avez été sauvées par la poésie», écrivait Beethoven dans ses Carnets intimes. Sa Septième Symphonie peut-elle devenir demain le porte-voix et l’étendard d’Aya, de Zebida, d’Asma et de ces milliers de femmes syriennes, soudanaises ou afghanes, errant, persécutées, d’une frontière à l’autre ? «Nous avons conscience que c’est assez iconoclaste, mais notre objectif est aussi de montrer comment Beethoven peut résonner aujourd’hui et comment une artiste venue d’un univers totalement différent peut s’approprier ce répertoire. Nous souhaitons que ce projet parle à tous, qu’il ait du sens aussi bien pour un public de mélomanes que de néophytes. L’idée est de penser le concert autrement, de convoquer des artistes qui renouvellent la lecture d’œuvres que nous avons l’habitude d’écouter sans propositions scéniques ou plastiques. Avec un musicien comme Yom, un danseur et des danseuses, en nous ouvrant à la vidéo et à la singularité du regard de Marie-Ève Signeyrole, nous avons la volonté de décloisonner le genre du concert, d’ouvrir la musique classique à des aventures artistiques inédites», conclut Chrysoline Dupont. «Bien sûr, nous sommes conscients de prendre un grand risque. Mais sans risque, pas de création

– Lola Gruber

Interview de Marie-Ève Signeyrole

«Créer une possible rencontre entre deux univers, le nôtre et celui des gens qui viennent jusqu’à chez nous»

Pourriez-vous nous présenter votre projet Baby Doll ?

Baby Doll est une fiction documentaire. Documentaire, parce que basée sur des histoires réelles, des témoignages de personnes qui ont existé ou qui existent vraiment. Fiction, parce que nous n’avons pas la prétention de grimer leur réalité mais, au contraire, de proposer la rencontre de différents destins de femmes, et de reconstruire à partir de leurs témoignages un objet «non identifié». Ainsi, nous tentons, comme une bouteille à la mer, de toucher une population occidentale qui reçoit de plus en plus d’informations, qui ne sait pas les traiter et qui est finalement bien loin de pouvoir identifier le problème, le penser et le juger. Nous souhaitons lui apporter quelques clés, parfois poétiques, toujours réelles et documentées. Nous avons imaginé une seconde partie au récit de cette femme migrante, cette fois-ci en créant son pendant occidental par le biais d’une fiction «d’anticipation» : que pourrait-il nous arriver à nous aussi dans quelques années si les choses tournaient mal ? Baby Doll est le nom d’une poupée, celle que notre migrante cache sous ses vêtements, soit pour faire croire qu’elle est enceinte et ne pas se faire violer sur le parcours, soit parce qu’elle incarne l’enfant qui va venir par le biais de la poupée.

Pourquoi avoir choisi d’aborder le sujet migratoire ?

On parle souvent des hommes, dans les drames migratoires, mais rarement des femmes. La plupart du temps, leurs paroles sont traduites par des hommes, ou elles n’ont même pas la parole. J’étais enceinte lorsque l’on m’a passé cette commande et j’ai ressenti le besoin de me dire que j’avais toute la faculté de faire grandir cet enfant en moi. Qu’en serait-il dans une situation telle que ces femmes la vivent, lorsque l’on sait que 20 % d’entre elles, pendant ces traversées, sont enceintes ou tombent enceintes ? Pourquoi, comment, que se passe-t-il ? C’était presque instinctif d’avoir envie de traduire ces histoires-là. J’aborde également ce sujet parce que je me sens responsable et même coupable de mon ignorance et de ma passivité jusqu’ici. Je trouve cela criminel de ne pas secourir des êtres humains en danger de mort, en état de survie, qui nous demandent la reconnaissance de leur humanité par notre accueil et notre bienveillance. C’est une question de raison et de devoir, et non de choix. Cela ne se discute pas. Nous devons nous organiser et les accueillir pour rester humains. Tout au contraire, l’Europe s’organise pour financer et raccompagner dans les pires conditions ces héros survivant dans leur pays d’origine ou aux frontières, dans des camps de torture, où ils sont traités comme des animaux, battus à mort, violés, vendus… En mer, ils sont maintenus au large des côtes, dans des conditions épouvantables, le temps que nos dirigeants se décident sur leur sort. La migration est en train de devenir un commerce organisé.

Parlez-nous de vos choix musicaux pour cette création…

Il y aura la Septième Symphonie de Beethoven ainsi qu’une proposition musicale du musicien Yom. Cette symphonie m’intéressait particulièrement car ses quatre mouvements inspirent un voyage. Chacun d’entre eux est la possibilité d’entrer au sein même de ce voyage… Le voyage, entre autres, d’une migrante et d’une femme. À l’intérieur de chaque mouvement émerge l’idée de la chasse, et ainsi de la façon dont ces migrants sont chassés. Il y a une musicalité qui ramène aux sons marins et à la navigation, et aussi quelque chose de très percussif qui me fait penser à des danses tribales. Chaque mouvement nous a inspirés pour créer ce voyage en quatre étapes, mais également pour créer cette possible rencontre entre deux univers, le nôtre et celui des gens qui viennent jusqu’à chez nous. Au cours des trois premiers mouvements, nous mettons en scène une seule et même interprète, noire, qui incarne ces héros qui tentent de venir jusqu’à chez nous et qui n’y parviennent parfois jamais. Dans l’histoire, nous ne savons pas si elle est arrivée ou non. À partir du quatrième mouvement, je projette le public dans la possibilité que ce drame nous arrive, à nous Occidentaux. Tout à coup, cette interprète blanche prend la place de l’autre et revit le voyage de la noire, en s’imprégnant de tout ce qu’elle a vécu et nous met, en tant que public, à sa place.

Que représente ce projet pour vous ?

La plupart du temps, je travaille pour l’opéra, au sein d’une seule et même discipline. Travailler sur des objets tels que celui-ci est la rencontre possible entre différents univers qui s’enrichissent les uns les autres. La danse est un moyen de communiquer par le corps des choses indicibles. Ces femmes sont psychologiquement démolies par les épreuves, mais également physiquement extrêmement abîmées, d’où le besoin de faire appel à des artistes interprètes danseuses. La musique nous permet d’être dans l’émotion pure et parfois de «soulager» la violence de cette réalité. Enfin, le vocabulaire cinématographique nous permet de nous rapprocher de quelque chose de plus sensitif à certains moments, d’induire le regard, de nous téléporter ailleurs. En outre, la possibilité de pouvoir être dans un univers qui ne soit pas forcément propice au théâtre, notamment celui de la Philharmonie de la Paris, nous permet de construire un vocabulaire différent. Pouvoir amener un public de concert autre part, alors même que l’uni- vers autour de nous est brillant, fait d’instruments, et concerner différemment notre humanité.

– Propos recueillis le 14 janvier 2020 par Émilie Tachdjian 

Beat Migration : candidat·e·s au rêve

Elle s’appelle Houria, «Liberté» en arabe.

Elle s’appelle Houria, mais c’est peut-être vous, elle, moi. Qu’importe. Les nouvelles héroïnes n’ont pas de nom, ou plutôt plus d’identité fixe. Dans le fond de la Méditerranée, beaucoup reposent au milieu des sacs plastiques et l’on ramasse leurs sandales sur les plages de sable blond des clubs-vacances-tout-compris.

Sous les merveilleux nuages de certains pays, il ne fait pas toujours bon vivre, mais il faut beaucoup de courage et de désespoir accumule pour décider de partir. Partir pour survivre, pour savoir qu’on existe, la souffrance en moins.

De l’autre côté de l’antichambre du désespoir, la vie doit ressembler à cette bulle de savon sur l’épaule de cette femme vue dans une pub, légère et rassurante. Et puis, ça fait longtemps qu’Houria dort en marchant. Elle a pris une avance sur ses rêves.

Bien sûr, long sera le chemin et les dangers au rendez-vous, mais ce n’est rien par rapport à ce que l’on fuit. Souvent, une bonne étoile accompagne le départ de ceux qui quittent leur port d’attache. Même les larmes des mères sur lesquelles on referme la porte ont le goût du sel des vagues qui les emportent.

Mais voilà, des jours plus tard qui ressemblent à des mois et des mois qui ressemblent à des années, on se réveille, ou pas, dans un ailleurs de fin du monde. Rejeté par un dernier ressac, réduit à une forme flasque qui encombre la grève au milieu des déchets de la société moderne.

Ça fait peur, tous ces corps abandonnés çà et là. Ils ne peuvent pas rester chez eux ! Que viennent-ils faire chez nous à encombrer nos consciences de bien ou mal nourris et de bien ou mal logés ? Et puis les femmes, c’est pire, elles arrivent pour accoucher chez nous et donner à leur enfant l’identité de nos démocraties.

Silence dans le vacarme des aveugles et des sourds. On ramasse le corps tout fleuri d’algues et d’écume et l’administration du village ajoute un chiffre à la liste des records. Aux portes de l’Europe, entre janvier et juin 2019, au moins 667 personnes sont mortes noyées en Méditerranée. 667 candidats au rêve, au large des côtes grecques, libyennes, italiennes, espagnoles, marocaines, tunisiennes, algériennes, maltaises ou chypriotes.

Allez ! Un dernier chiffre pour la route dans cette logique comptable : 18 250 personnes ont péri en Méditerranée entre 2014 et fin 2019 (1).

Difficile de donner tous les prénoms cette fois. Combien d’artistes, d’ingénieurs, d’artisans, de maîtres d’école, de journalistes, d’écrivains, de pères et de mères de famille, d’enfants embarqués dans cette aventure de la fuite du danger, de la faim, de la dictature, des bombardements, des massacres ou d’une noire désespérance. Avant la traversée sur ces radeaux de la Méduse, la mafia des passeurs a sévi a chaque frontière. Les enchères de la traversée pulvérisent des niveaux jamais atteints. Au cours de l’expédition, il faudra compter avec les procédés «voyoucratiques» des pays traversés. Décliner son identité suivant les modèles imposés. Si on a survécu a l’esclavage et au viol, le voyage touche presque à sa fin. À l’arrivée, to be, or not to be, plus de doute possible, la tragédie est consommée. Désormais, il faudra bannir son histoire personnelle pour contourner les lois, se soumettre à l’impératif des normes d’intégration. Le jeu de rôle de cette échappée identitaire vous goudronne la mémoire pour longtemps. Dans cet effacement programme de ces reliques de vie, l’accident de mémoire passe pour le plus approprié. Apres tout, «Se questo è un uomo ?» [«Si c’est un homme ?»], écrivait Primo Levi sur la survie.

Ils sont venus mourir là, au bord de la rive, à des milliers de kilomètres de chez eux. Leurs corps qui arrivent davantage après les jours de tempête ressemblent à des offrandes pour des divinités indifférentes et cruelles. L’époque des sacrifices d’enfants pour calmer les dieux de l’Olympe ou du Machu Picchu est dépassée, mais les festins funèbres de la mer recommencent et s’accroissent. Combien de petits Aylan offerts aux yeux prédateurs des médias dans cet inventaire macabre ?

Elle s’appelle Houria et son histoire m’est familière. Moi aussi, j’ai quitté ma terre d’Afrique, mais pour un motif plus banal et sans mettre ma vie en péril. Je me suis expatriée pour répondre à l’appel du cœur, mais les histoires de cœur finissent mal en général et il était trop tard pour repartir. Alors j’ai gardé au fond de ma besace un peu de mon pays, épicentre de ma chair d’origine toujours à vif. Du bleu céleste au blanc éffrité des maisons avec la langue fougueuse et le miel des fêtes et puis tous les parfums déclinés sous les étoiles. Étrangère dans un monde consensuel. C’est pas rien, une vie arrachée à un territoire, même a l’heure de la mondialisation. On a beau changer d’optique, la vision reste trouble. Rempart contre les mirages. L’exil s’est glisse définitivement sous le derme comme une lèpre. On réinvente son continent intérieur. Théâtre d’ombres où rôde la mémoire. Stratégie de survie pour retrouver l’usage du monde. Et toutes les questions restent posées.

Houria, je te dessine ces mots de papier sur lesquels te hisser pour continuer à grimper au-dessus des vagues de l’âme.
Houria, ma sœur d’armes et de larmes, Antigone éternelle, drapée de ton fol espoir et des sacrilèges de ceux qui refusent de te tendre la main, tu incarnes le dernier malentendu de la gent humaine.

Pas de pitié pour les déserteurs, les casses de l’ordre décadent. Les Beat migrations des années 2000 ont opté pour les routes de l’Occident, mais il n’y a plus de Kerouac pour chanter leurs quêtes d’idéaux.

Que les crevettes se régalent de ce festin dantesque !

Houria, avec le Poète et contre les refus des mal-pensants, nous sommes nés pour te connaitre, pour te nommer Liberté !

– Jacqueline Brenot, autrice et chroniqueuse franco-algérienne

Beethoven, Symphonie n° 7

Composition : hiver 1811-mai 1812. 
Création : Vienne, 8 décembre 1813, sous la direction du compositeur.

Composée près de quatre ans après la Sixième Symphonie, «Pastorale», la Septième Symphonie fut créée dans un climat de fièvre patriotique, marqué par le soulèvement de la Prusse et de l’Autriche contre un Napoléon affaibli par la campagne de Russie et la défaite contre Wellington. Le mécanicien de la cour, Johann Nepomuk Maelzel (inventeur du métronome), avait organisé deux concerts (8 et 12 décembre 1813), au profit des blessés de la bataille de Hanau (30 octobre 1813). On devait y entendre la Septième Symphonie ainsi qu’une œuvre écrite par Beethoven pour un instrument de sa fabrication, le panharmonica, et transcrite à cette occasion pour l’orchestre. Les accents guerriers de cette composition, intitulée La Victoire de Wellington, ou La Bataille de Vitoria, scandée par des coups de canon, suscitèrent l’enthousiasme du public au point d’éclipser quelque peu la Septième Symphonie. Mais lors de la seconde exécution, le 12 décembre, cette dernière fut très vivement appréciée et l’Allegretto bissé.

Apothéose de la danse 

La Septième Symphonie fut perçue dans ce contexte comme un hymne à la rébellion et à la liberté, et fut même affublée de programmes aussi détaillés que grotesques, qui agacèrent le compositeur. En effet, à part quelques échos de musique militaire dans le finale, elle s’impose, contrairement aux Cinquième et Sixième Symphonies, comme une œuvre dénuée de références autobiographiques précises et comme une recherche d’abstraction. Le retour à l’effectif orchestral des dernières symphonies de Haydn et Mozart semble témoigner d’une volonté de servir les idéaux du style classique, dans une construction dont les proportions sont portées à des dimensions monumentales. Le matériau thématique y apparaît plus simple, comparé à celui des œuvres précédentes, et affiche même une certaine impersonnalité qui donne à l’œuvre un caractère énigmatique. Cette simplification drastique met en lumière une logique des tonalités qui se révèle un puissant moteur, tandis que l’animation rythmique est porteuse d’une vitalité irrésistible, qui suggéra à Richard Wagner le sous-titre (au demeurant bien contesté) d’«Apothéose de la danse».

Le premier mouvement s’ouvre par une longue introduction, grandiose portail de l’œuvre entière. Les trois tonalités principales de la symphonie y sont entendues : le ton de la majeur, «encadré» par les deux tons de fa majeur et de do majeur (situés respectivement une tierce au-dessous et au-dessus de la). Le Vivace qui suit est dominé par un rythme de saltarello qui unifie les thèmes et leur communique une ivresse bondissante.

L’Allegretto oppose à l’exubérance du premier mouvement la mélancolie de son thème poignant, lui aussi construit sur un rythme obsédant, énoncé par les cordes graves et introduit par un accord expressif des vents. Trois variations suivent : la première fait entendre un contrechant des violoncelles, qui s’impose comme le véritable thème du mouvement. Le compositeur organise une progression qui conduit au volet central (en la majeur), d’un lyrisme chaleureux, soutenu par le rythme de la première partie. Le retour de cette dernière est marqué par la poursuite du principe de la variation, qui donne naissance à un épisode fugué.

Le Presto est un scherzo virtuose qui déploie un thème d’une verve tout italienne, traité d’une façon bien germanique dans un luxe de développement thématique et de modulations. Le trio contraste par sa facture très rustique, rehaussée cependant par une orchestration raffinée.

Le finale est une puissante forme sonate, riche en contrastes violents, qui fait entendre une contredanse endiablée, elle-même fondée sur un rythme présenté dans l’introduction sous la forme d’un impact (aux cordes) et de sa double répercussion (aux bois) : geste très moderne qui confère à cette formule la valeur d’une charge explosive dont la portée se fait sentir jusqu’aux dernières mesures.

– Anne Rousselin

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