Notes de programme

Bach, Oratorio de Noël - cantates 4 à 6

Sam. 17 déc. 2022

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Programme détaillé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Weihnachts-Oratorium, BWV 248
[Oratorio de Noël]
cantates 4 à 6

Cantate n° 4
Fallt mit Danken, fallt mit Loben 
[Prosternez-vous avec gratitude, avec louange]
Pour la fête de la Circoncision du Christ
Luc 2, 21

36. Chœur : Fallt mit Danken, fallt mit Loben
37. Récitatif (Évangéliste) : Und da acht Tage um waren
38.
– Récitatif (basse) : Immanuel, o süßes Wort
– Arioso (soprano et basse) : Jesu, du mein liebstes Leben
39. Aria (soprano et Écho) : Flößt, mein Heiland, flößt dein Namen
40. Récitatif (basse) : Wohlan! dein Name soll allein
Et Arioso (soprano) : Jesu, meine Freud’ und Wonne
41. Aria (ténor) : Ich will nur dir zu Ehren leben
42. Choral : Jesus richte mein Beginnen

Cantate n° 5
Ehre sei dir, Gott, gesungen
[Que ta gloire, ô Dieu, soit chantée]
Pour le dimanche après la fête de la Circoncision
Matthieu 2, 1-6

43. Chœur : Ehre sei dir, Gott, gesungen
44. Récitatif (Évangéliste) : Da Jesus geboren war zu Bethlehem
45.
– Chœur : Wo ist der neugeborne König der Juden
– Récitatif (alto) : Sucht ihn in meiner Brust
– Chœur : Wir haben seinen Stern gesehen
46. Choral : Dein Glanz all’ Finsternis verzehrt
47. Aria (basse) : Erleucht’ auch meine finstre Sinnen
48. Récitatif (Évangéliste) : Da das der König Herodes hörte
49. Récitatif (alto) : Warum wollt ihr erschrecken
50. Récitatif (Évangéliste) : Und ließ versammeln alle Hohenpriester
51. Trio (soprano, alto, ténor) : Ach! wann wird die Zeit erscheinen?
52. Récitatif (alto) : Mein Liebster herrschet schon
53. Choral : Zwar ist solche Herzensstube

--- Entracte ---

Cantate n° 6
Herr, wenn die stolzen Feinde schnauben
[Seigneur, quand nos ennemis orgueilleux enragent]
À la fête de l’Épiphanie du Christ
Matthieu 2, 7-12

54. Chœur : Herr, wenn die stolzen Feinde schnauben
55. Récitatif (Évangéliste, Hérode) : Da berief Herodes die Weisen heimlich
56. Récitatif (soprano) : Du Falscher, suche nur den Herrn zu fällen
57. Aria (soprano) : Nur ein Wink von seinen Händen
58. Récitatif (Évangéliste) : Als sie nun den König gehöret hatten
59. Choral : Ich steh an deiner Krippen hier
60. Récitatif (Évangéliste) : Und Gott befahl ihnen im Traum
61. Récitatif (ténor) : So geht ! Genug, mein Schatz geht nicht von hier
62. Aria (ténor) : Nun mögt ihr stolzen Feinde schrecken
63. Récitatif (chœur) : Was will der Hölle Schrecken nun
64. Choral : Nun seid ihr wohl gerochen

Durée : 1h30 + entracte.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Spirito
Rinaldo Alessandrini 
direction
Lydia Teuscher soprano
Marteen Engeltjes contre-ténor
Andrew Staples ténor
Andreas Wolf basse
Camille Allerat soprano (Écho)

France 3 France 3 Auvergne-Rhône-Alpes partenaire de l’événement.

L’Oratorio de Noël

Composition : 1734.
Création : Leipzig, églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, décembre 1734 et janvier 1735.

C’est à l’apogée de son art, ayant alors écrit la quasi-totalité de ses cantates, que Johann Sebastian Bach se tourne vers un nouveau genre, celui de l’oratorio. Comment ne pas y déceler l’influence des Abendmusiken (veillées musicales spirituelles) qui l’avaient tant impressionné lors de sa visite à Lübeck, une trentaine d’années auparavant ? Dietrich Buxtehude y proposait alors des œuvres à forte dramaturgie, d’une structure divisée en sections, organisées en cycles de concerts entre la Saint-Martin et Noël. Alors que ses contemporains donneront au genre de l’oratorio un grand nombre de compositions, seulement trois opus de Bach porteront cet intitulé – son Oratorio de Noël, ceux de Pâques et de l’Ascension. Tous ont été écrits au cours de la même année liturgique, entre décembre 1734 et le printemps 1735. Toutefois, si les trois œuvres composent une entité stylistique, formelle et chronologique, l’Oratorio de Noël, «Oratorium tempore Nativitatis Christi», est certainement le plus abouti : à une durée s’apparentant à celle d’une cantate pour les oratorios de Pâques et de l’Ascension, il oppose, dans sa totalité, près de trois heures de musique.

L’œuvre est une grande fresque biblique de l’Incarnation, étalant à la façon d’un vitrail une narration chapitrée mais continue. Elle se compose de six cantates destinées à être chantées dans les églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas de Leipzig, dans lesquelles Bach officiait, successivement pendant les services du jour, du lendemain et du surlendemain de Noël, du Nouvel An – fête de la Circoncision du Christ –, du dimanche suivant et de l’Épiphanie.

Le récit déroule successivement les différents épisodes de la naissance de Jésus : le recensement à Bethléem et la Nativité (Cantate I. extraits de l’Évangile de Luc 2, 1 ; 3-7), l’annonce aux bergers (II. Luc 2, 8-14), leur visite à l’enfant (III. Luc 2, 15-20), la circoncision (IV. Luc 2, 21), l’arrivée des Mages à Jérusalem (V. Matthieu 2, 1–6) et leur adoration à la crèche (VI. Matthieu 2, 7-12).  Exécuté en concert, l’Oratorio de Noël est aujourd’hui très fréquemment réduit aux cantates I, II, III et VI, se concentrant alors autour de la naissance de l’enfant Jésus.

La cantate offre par sa structure une alternance rythmée au service du récit biblique : les différentes sections se déclinent en récitatif secco ou accompagné, aria, arioso, chœur concertant ou dramatique, et choral. La cohérence de l’ensemble, cohérence qui caractérisera aussi plus tard les Passions, tient au génie de Bach, qui réussit à allier une forme généralement contemplative à un livret fondamentalement narratif. Cette unité de l’ensemble est énoncée dans la continuité du récit, le respect d’un plan tonal global (/sol//fa/la/), mais aussi par des liens étroits entre les différentes parties. De Noël émane une joie qui inonde l’œuvre entière, que suscitent les timbres exubérants de chacune des parties ainsi que les mouvements de danses.

Pour les livrets de ses cantates, Bach faisait régulièrement appel à des poètes de son entourage, souvent des pasteurs. Les musicologues s’accordent à voir, dans l’auteur anonyme du livret de l’Oratorio de Noël, Christian Friedrich Henrici, notable de Leipzig connu sous son pseudonyme de Picander. La contribution du compositeur lui-même au choix des textes et à leur agencement fut certainement décisive ; elle privilégie une architecture littéraire édifiée par la continuité de l’action. Le texte s’appuie sur trois sources. La première, l’Écriture sainte, est énoncée par l’Évangéliste qui affirme dès sa première intervention son rôle de narrateur : «Et il arriva en ce temps-là…». Ses récitatifs secchi (c’est-à-dire accompagnés de la seule basse continue) portent le texte biblique, sacré et inaltérable, tiré des Évangiles de Luc et Matthieu ; ils tissent la trame conductrice de l’œuvre.

La deuxième source, Bach la puise dans la tradition luthérienne allemande. Il s’agit des chorals, expression humble et simple de la foi, dont il sublime le texte par une recherche de l’harmonie extrêmement calculée. Enfin, les textes des chœurs, airs et récitatifs autres que le récit évangélique ont été écrits par le librettiste. Le récit fait ainsi intervenir diverses figures : l’ange annonciateur de la Nativité, Hérode, mais également les trois turbæ (chœurs de foule) que forment les cohortes célestes, les bergers et les Mages d’Orient. Le contraste est grand avec les deux autres oratorios, dans lesquels les personnages sont furtifs (Oratorio de l’Ascension) ou non nommément cités (Oratorio de Pâques).

Pour ce qui est de la musique, Bach va utiliser des pages de compositions antérieures. On retrouve ainsi notamment la quasi-totalité de deux cantates profanes : Laßt uns sorgen, laßt uns wachen (BWV 213) et Tönet, ihr Pauken, erschallet, Trompeten (BWV 214). Elles n’ont été écrites que très peu de temps avant l’Oratorio de Noël et ont été exécutées les 5 septembre et 8 décembre 1733. Le compositeur en tire chœurs et arias, auxquels il assigne de nouvelles paroles. Ce procédé de la parodie – utilisation d’un thème connu sur un texte différent –, sorte d’autoplagiat, ne doit en aucun cas être considéré comme audacieuse ou reflétant une certaine paresse. Il est en réalité tout à fait conforme à la pratique générale de l’époque et notamment à la conception artistique luthérienne, où l’originalité n’est pas associée à la nouveauté. La reprise dans l’Oratorio de Noël de pages musicales puisées dans ses cantates fait gagner un temps précieux à Bach, qui dispose d’un catalogue déjà large, fruit de sa forte productivité les années précédentes. Il est d’ailleurs très probable que le Cantor avait déjà à l’esprit son oratorio lorsqu’il composait ces cantates. Quant à leur réutilisation, différents cas de figures se présentent tout au long de l’œuvre : le modèle peut être repris à l’identique, arrangé du point de vue de l’écriture ou de l’effectif, le sens en peut être conforme ou même parfois opposé. Hormis quelques rares exceptions, seuls les récitatifs ont donc été composés spécialement pour cette nouvelle œuvre.

Les six cantates

Par des timbres chatoyants, la première cantate annonce le caractère glorieux de la Nativité : trois trompettes, deux flûtes, deux hautbois alternant avec des hautbois d’amour, cordes, basses et timbales. Quelle meilleure entrée en matière aurait-on pu imaginer que le résonnement de ces timbales seules, que rejoignent peu à peu les différents instruments pour arriver à un orchestre au complet dans ce chœur initial ?

La fameuse sinfonia remplaçant le chœur initial distingue la deuxième cantate. Elle donne un ton nouveau, celui doux et paisible d’une pastorale. Hautbois da caccia (une sorte de hautbois alto) imitant les chalumeaux des bergers répondent aux flûtes et cordes figurant les anges. La mélodie en sera rappelée dans les interludes instrumentaux du choral clôturant la partie.

Avec la première, la troisième cantate partage non seulement l’éclatante tonalité de majeur, mais aussi le riche instrumentarium évoqué plus haut. Ses chorals sont plus dépouillés, moins harmonisés, mettant en valeur les deux arias. La première est l’unique duo de l’oratorio. Quant à la seconde, la très belle aria pour alto avec violon obligé, c’est la seule que Bach ait composé pour cette œuvre, renonçant à l’usage de la parodie.

La quatrième cantate se distingue par une instrumentation colorée de deux cors naturels – ou de chasse –, aux côtés des hautbois et des cordes. Plus brève des six cantates, elle se construit quasiment en miroir autour de la fameuse aria pour soprano avec écho : «Flößt, mein Heiland, flößt dein Namen» [«Inspire-t-il, mon Sauveur, inspire-t-il, ton nom»].

La cinquième cantate s’ouvre quant à elle par un chœur affirmant une tonalité franche de la majeur, qui n’est pas sans rappeler la Messe en si mineur. La trame narrative des onze numéros est habile, les sections majestueuses alternant avec les dialogues ou des numéros plus introspectifs, ainsi du délicat trio «Ach ! wann wird die Zeit erscheinen ?» [«Ah, quand l’heure arrivera-t-elle ?»].

La sixième cantate, refermant la partition, reprend à nouveau l’instrumentation de la première, flûtes exceptées. C’est une véritable synthèse, un terme au cycle entier. Ici encore sont présents mouvements de danses et style concertant amené par le chœur d’ouverture.

La volonté didactique est loin d’être évincée par le caractère narratif de l’œuvre. Tout se résumerait ainsi dans le choral final. Cette mélodie populaire composée en 1601 par Hans Leo Hassler, Herzlich thut mich verlangenArdemment j’aspire à une fin heureuse»], sert de thème aux premier et dernier numéros de l’oratorio. Il apparaît d’abord dénudé et intériorisé, dans un douloureux chromatisme exprimant l’attente de la venue du Messie : «Wie soll ich dich empfangen und wie begegn’ ich dir ?» [«Comment te recevrai-je et comment aller à ta rencontre ?»]. La reprise dans la dernière cantate est tout autre : «Nun seid ihr wohl gerochen an eurer Feinde Schar» [«Maintenant vous êtes bien vengés de la multitude de vos ennemis»]. Le passage du mode mineur au mode majeur annonce un changement résolu, empreint de joie, de vie et de triomphe, renforcé par la puissance des solos de trompette. D’ordinaire, un choral dépouillé achève la cantate. Ici, la polyphonie concertante de l’orchestre intercale régulièrement les strophes du choral dont les paroles de Georg Werner (1648) annoncent la victoire du Christ sur ses ennemis que sont «la mort, le diable, le péché et l’enfer». Est-il anodin que cette mélodie soit aussi celle du célèbre choral du librettiste Paul Gerhardt évoquant la Passion du Christ, O Haupt voll Blut und Wunden [Ô front couvert de plaies et de sang], dont Bach usera dans sa Passion selon saint Matthieu ? Tout s’éclaire, tout devient certitude. Dieu s’est incarné, mais c’est par ses souffrances qu’il triomphera de la mort ; la naissance est associée au chemin de croix, au sacrifice divin. L’évidence d’une rédemption s’affirme au début et à la fin de ce cycle musical. Le piétisme ambiant de Leipzig, dont Bach a longtemps été considéré comme un défenseur, est en fait clairement dépassé dans l’Oratorio de Noël par un profond mysticisme, affirmant un respect intime de l’orthodoxie luthérienne.

– Bénédicte Hertz

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