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Notes de programme

Beethoven / Elgar

jeu. 12 juin 2025

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Programme détaillé

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 1, en ut majeur, op. 15

I. Allegro con brio
II. Largo
III. Rondo : Allegro scherzando

[40 min]

 

--- Entracte ---

Edward Elgar (1857-1934)
Variations sur un thème original (« Variations Enigma »), op. 36

Thème (Andante)
Variation I : L’istesso tempo, «C. A. E.»
Variation II : Allegro, «H. D. S.-P.»
Variation III : Allegretto, «R. B. T.»
Variation IV : Allegro di molto, «W. M. B.»
Variation V : Moderato, «R. P. A.»
Variation VI : Andantino, «Ysobel»
Variation VII : Presto, «Troyte»
Variation VIII : Allegretto, «W. N.»
Variation IX : Adagio, «Nimrod»
Variation X : Intermezzo (Allegretto), «Dorabella»
Variation XI : Intermezzo (Allegro di molto), «G. R. S.»
Variation XII : Andante, «B. G. N.»
Variation XIII : Romanza (Moderato), «***»
Variation XIV : Finale (Allegro presto), «E. D. U.»

[35 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Piotr Anderszewski piano

Introduction

Tant de mystères entourent Beethoven : la date exacte de sa naissance, l’identité de l’Immortelle Bien-Aimée, le testament livré à ses frères, les causes de sa surdité. C’est toutefois sous le signe de la clarté que s’inscrit son Premier Concerto pour piano (1898), plein d’esprit et de verve. Si Piotr Anderszewski entrevoit dans la musique de Beethoven «une droiture, la puissance d’une quête et une soif d’idéal», ce concerto témoigne surtout du souhait beethovénien de briller en public comme compositeur et comme pianiste. Le mystère se nichera donc plutôt dans les Variations Enigma (1899). Là encore Beethoven apparaît en filigrane, puisque la variation la plus célèbre, «Nimrod», est dédiée au meilleur ami d’Elgar, August Jaeger, lequel tentait de remonter le moral du compositeur anglais en lui rappelant que les soucis croissants de Beethoven lui avaient inspiré une musique de plus en plus belle. À chaque auditeur d’essayer de résoudre l’«énigme», ce thème crypté en écho duquel le thème principal des variations a été construit. Un musicologue y voit le mouvement lent de la Sonate «pathétique» : Beethoven, encore. Mais le plus beau secret de cette partition, c’est une vie jalonnée d’amour et d’amitié qui défile en musique.

Texte : Auditorium-Orchestre national de Lyon

Beethoven Concerto pour piano n° 1

Composition : fin 1795 ou 1796, achevée en 1798 ; cadence du 1er mouvement ajoutée en 1809. 
Création : Prague, 1797, avec le compositeur au piano. 
Dédicace : à Barbara (Babette) von Keglevics, princesse Odescalchi.

Quand il compose ce concerto, Beethoven est un jeune homme de 25 ans décidé à conquérir la faveur du public, à Vienne où il est installé depuis la fin de l’année 1792, ou à l’occasion de ses tournées de concerts. Il a écrit ses deux premiers concertos dans les années 1795-1796 à cette intention, et n’a pas souhaité les publier immédiatement pour ne pas dévoiler prématurément ces œuvres qu’il se réservait comme interprète. En effet les pianistes virtuoses venaient nombreux faire carrière à Vienne et la concurrence était rude, mais fort stimulante au demeurant.

Beethoven n’était pas encore reconnu comme compositeur. Venu de Bonn à Vienne grâce au parrainage du comte Waldstein, avec l’injonction de recevoir «des mains de Haydn l’esprit de Mozart», il se produisait dans les salons de la haute société essentiellement comme improvisateur au piano. Il étonnait ses auditeurs par l’originalité et la profusion de ses idées musicales, son habileté à les combiner et la puissance expressive qui s’en dégageait, souvent marquée d’une étrangeté qui reflétait le caractère ombrageux et fantasque de l’artiste. 

Il donnait également quelques leçons, sans grande conviction, mais quand les élèves étaient de séduisantes jeunes filles, son cœur s’enflammait volontiers. Ainsi Babette von Keglevics, dédicataire de ce concerto, fut-elle quelque temps avant son mariage l’élève de Beethoven, et semble-t-elle bien avoir partagé avec lui un tendre sentiment, sans lendemain (le fougueux Beethoven avait alors la réputation d’être volage et inconstant).

Le Premier Concerto est en fait le second composé (le Deuxième Concerto, en mi bémol, op. 19, le précède de quelques mois), et quand Beethoven se décide enfin à faire graver ces deux partitions, en 1800, il prévient ses éditeurs qu’il ne les tient pas en grande estime, ayant depuis lors radicalement progressé dans un style plus personnel.

Remède à la mélancolie 

Le premier mouvement est pourtant fort séduisant, d’une richesse musicale remarquable, avec son instrumentation fournie permettant de donner une puissance majestueuse aux tutti d’orchestre, et pas moins de trois thèmes principaux. Ceux-ci sont annoncés dans la préexposition de l’orchestre puis librement paraphrasés par le soliste qui les agrémente de traits brillants. Le développement central prend l’allure d’une improvisation romantique aux détours inattendus. La réexposition retrouve un ton objectif et culmine avec la traditionnelle cadence soliste qui précède une énergique péroraison orchestrale.

Après l’énergie de l’Allegro con brio, le mouvement lent nous plonge dans une paisible rêverie nocturne. Une ample cantilène très ornementée au piano solo est bientôt relayée par la première clarinette, qui joue un rôle particulier dans tout ce mouvement, lui conférant une couleur mozartienne et une nostalgie pénétrante.

Sans transition, le finale entraîne l’auditeur dans un véritable tourbillon. Il s’agit d’un rondo qui fait alterner un refrain plein de verve avec de multiples épisodes où la truculence et l’humour beethovéniens s’en donnent à cœur joie : accents exagérément déhanchés, «grosse voix» du piano dans le grave, galipettes désinvoltes… Tout est réuni pour faire de ce finale un parfait remède à la mélancolie !

– Isabelle Rouard

Elgar, Variations Enigma

Composition : 1899.
Création : Londres, Saint-James Hall, 19 juin 1899, sous la direction de Hans Richter.
Dédicace : «To my friends pictured within» [À mes amis dont je fais ici le portrait].

Les œuvres musicales regorgent de messages cachés, délivrés de façon plus ou moins maligne par leur auteur. En retranscrivant certains motifs musicaux dans la notation allemande ou anglo-saxonne, qui utilise des lettres pour qualifier les notes de la gamme, on retrouve ainsi le nom de Bach (B-A-C-H) ou les initiales de Chostakovitch (D-S-C-H) dans des pièces de ces compositeurs.

Toutefois, ces pratiques tiennent du clin d’œil pour les happy few, ou d’une signature à la fois plus abstraite et plus profonde que celle apposée au bas de la dernière mesure du manuscrit, plus que d’un réel jeu. Le titre Enigma Variations d’Edward Elgar vient au contraire chatouiller l’imaginaire de l’auditeur, intrigué et évidemment soucieux d’en découvrir la clef.

Elgar écrivit le mot Enigma sur la partition au-dessus du célèbre thème, mélancolique et passionné. La dédicace du compositeur «À mes amis dont je fais ici le portrait» permet ensuite de deviner que chaque variation brossera le portrait d’un proche. En dévoilant les initiales ou le surnom des dédicataires sur la partition, le compositeur semble presque trop peu joueur : comment ne pas reconnaître, par exemple, sous le paraphe C. A. E. de la première variation, son épouse Caroline Alice Elgar ? Mais il ne s’agit pas seulement de trouver «qui est là» : le «comment x est là» est en réalité l’élément le plus intéressant à deviner.

La musique représente parfois une caractéristique de la personne décrite. Aussi la variation X, sous-titrée «Dorabella», désigne-t-elle Dora Penny, proche amie d’Elgar, en faisant entendre son rire, donné dans l’orchestre par les bois.

Elgar nomme parfois la variation en raison d’une association d’idées : la variation IX, peut-être la plus fameuse, s’intitule «Nimrod», du nom du «roi-chasseur» de la Bible. Le mot «chasseur» se traduit Jäger en allemand, or le meilleur ami d’Elgar s’appelait Jaeger.

Dans d’autres cas, la variation fait référence à un événement particulier vécu par le compositeur avec la personne en question. Aussi la tumultueuse variation VI, d’une trentaine de secondes seulement, évoque-t-elle l’énergique William Meath Baker, dont Elgar raconte qu’il quitta un jour un salon de musique en en claquant (involontairement) la porte avec force. La variation XII rappelle quant à elle la chute du chien de George Robertson Sinclair («G. R. S.») dans une rivière lors d’une promenade, et de son aboiement joyeux au moment de retrouver la rive.

Le mystère devient plus difficile à percer pour la variation XIII, où la personne n’est qualifiée que par un astéronyme (succession d’astérisques dissimulant les lettres de leur nom). Une telle discrétion de la part d’Elgar et l’atmosphère de cette «Romanza» aiguillent vers quelque histoire galante, tandis que la citation de Mer calme et heureux voyage de Mendelssohn semble désigner une femme ayant effectué un périple en mer. Plusieurs proches d’Elgar pourraient correspondre à ce portrait, notamment un ancien amour ayant émigré en Nouvelle-Zélande.

L’ultime variation représente quant à elle le compositeur, dont le prénom, Edward, fut tendrement transformé en «Edu» par son épouse.

Ces devinettes plaisantes dissimulent une autre énigme, plus complexe et d’ailleurs irrésolue. Elgar fit mention à plusieurs reprises d’un thème connu qui servirait de charpente à l’ensemble de ces variations sans jamais y apparaître explicitement. Certains songent à un mélange de thèmes de Beethoven, d’autres encore au God Save the Queen. Cette dernière suggestion permet en tout cas de souligner l’imprégnation forte de l’œuvre d’Elgar dans la culture britannique, et son grand patriotisme qu’il exprima souvent en musique. La variation «Nimrod» est traditionnellement jouée à Londres lors du Remembrance Sunday, jour de commémoration proche du 11 novembre. Une autre de ses pièces devint un chant patriotique de son vivant : particulièrement fier d’une mélodie tirée du recueil de marches militaires de sa composition Pomp and Circumstance, Elgar la reprit dans une version chantée (Land of Hope and Glory) qui fait désormais office d’hymne national anglais complémentaire au God Save the Queen, hymne du Royaume-Uni mais pas de l’Angleterre en particulier.

– Mathilde Serraille