Notes de programme

CONCERT D’OUVERTURE

Pinchas Zukerman / Nikolaj Szeps-Znaider

Programme détaillé

Giuseppe Verdi (1813-1901)
La forza del destino
[La Force du destin]

Ouverture
[8 min]

Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon n° 1, en sol mineur, op. 26

I. Prélude : Allegro moderato
II. Adagio
III. Finale : Allegro energico
[25 min]

 

-- Entracte --

Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n° 4, en fa mineur, op. 36

I. Andante sostenuto – Moderato con anima (In movimento di valse)
II. Andantino in modo di canzona – Più mosso – Tempo primo
III. Scherzo (Pizzicato ostinato) : Allegro – Meno mosso – Tempo I°
IV. Finale : Allegro con fuoco – Andante – Tempo I°
[44 min]

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Pinchas Zukerman violon


En partenariat avec France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.


 

Introduction

Bienvenue dans cette nouvelle saison de l’Orchestre national de Lyon ! C’est un plaisir de vous retrouver à l’Auditorium. Alors que débute cette saison plus ou moins «normale», j’aimerais profiter de cet espace pour vous donner quelques indications sur le programme de ce soir. 

Nous vivons à une époque où tout le monde semble être en quête de «sens». Au musée, nous lisons le cartel pour analyser le symbolisme d’une nature morte du XVIIe siècle. Nous feuilletons des dictionnaires pour comprendre la langue d’une pièce de Shakespeare. Et nos notes de programme sont conçues pour aiguillonner votre imagination et ouvrir vos oreilles à la musique que nous vous présentons. 

Nombre des chefs-d’œuvre que nous jouerons pour vous cette saison posent des questions. Elles traitent de la vie et de la mort, ainsi que du temps que nous passons dans l’intervalle sur cette planète. Nous espérons pouvoir terminer notre saison avec la Deuxième Symphonie de Mahler, une affirmation de la vie : «Sterben werd ich um zu leben !» [Je mourrai afin de vivre !] Nous donnerons également, en première mondiale, la Cantate de l’évolution de Brett Dean, une contribution artistique aux discussions sur l’avenir de notre planète. Et même une opérette enjouée comme La Chauve-Souris, notre spectacle de Nouvel An, est le miroir d’une société qui danse sur un volcan. 

Mais parfois... Parfois, tout ce que nous attendons de l’art, c’est la beauté. C’est aussi simple que cela. L’écrivain et musicologue néerlandais Bas van Putten a récemment publié un puissant plaidoyer pour que l’on cesse de chercher sans relâche un sens à l’art et que l’on commence à embrasser sa beauté pure. À propos de la musique, il écrit : «La musique est le miracle le plus banal de tous les temps. On chante une chanson et voilà que le temps s’évanouit, que le ciel s’éclaircit ou s’assombrit, sans que l’on sache comment ni pourquoi, personne ne le sait en détail. Beethoven se fait comprendre clairement sans le truchement du langage. Son attrait irrésistible ne peut se résumer par des mots. Il est juste immense et d’une séduction incroyable. Il est inutile d’avoir une opinion à son sujet ou d’y réfléchir ; la musique se joue de vous. Le grand plan derrière tout ça ? Aucune idée. Mais pourquoi voudriez-vous connaître le secret d’une beauté reposant sur l’abandon ?»

Pour ce premier concert nous permettant à nouveau de partager notre amour de la musique, abandonnons-nous à l’incroyable puissance de Verdi, Bruch et Tchaïkovski. Vivons pendant deux heures dans un monde sonore d’une beauté inexplicable, impossible à saisir par des mots. C’est ce dont le monde a besoin et ce qu’il mérite en ce moment.

– Ronald Vermeulen
Délégué artistique de l’Auditorium-Orchestre national de Lyon 

Verdi, Ouverture de La Force du destin

Composition de l’opéra : 1861, sur un livret de Francesco Maria .Piave, d’après la pièce de théâtre d’Ángel de Saavedra, duc de Rivas, Don Alvaro, o la fuerza del sino (1835) ; le livret inclut également des scènes tirées de la pièce de Schiller Le Camp de Wallenstein (1799).
Première représentation : Saint-Pétersbourg, Théâtre Mariinski, 10 novembre 1862.
Version révisée avec remaniement du livret par Alessandro Ghislanzoni : 1869.
Première exécution de la version révisée, contenant l’ouverture actuelle : Milan, Teatro alla Scala, 27 février 1869.

Créé à Saint-Pétersbourg en 1861 par un Verdi au faîte de sa gloire internationale, La Force du destin appartient à la dernière période créatrice du compositeur italien, où se réconcilient les deux tendances apparemment contradictoires qui avaient jusque-là gouverné son œuvre : les ouvrages historiques des premières années, qui accompagnèrent la montée en puissance du Risorgimento (à partir de Nabucco, créé en 1842) ; puis les drames intimes des années 1850, qui plongent dans l’âme humaine (La traviata, Le Trouvère et Rigoletto notamment). Dans La Force du destin, le particulier est pris au piège du général, le couple enferré dans des considérations politiques, familiales et sociales qui le dépassent. 

À Saint-Pétersbourg, l’opéra débutait par un court prélude s’enchaînant directement avec la première scène. Verdi le rallongea pour la reprise de l’ouvrage à la Scala de Milan en 1869, lui conférant les dimensions d’un véritable petit morceau de concert. La nouvelle ouverture place l’auditeur dans un état de tension émotionnelle qui ne faiblira plus jusqu’au dénouement de l’opéra. Ce morceau admirable, l’une des pages symphoniques les plus connues de Verdi, est un exemple parlant de la puissance expressive croissante que le compositeur a confiée à l’orchestre : quel trajet a été parcouru depuis la sinfonia un peu gauche de Nabucco !

L’ouverture marque la prépondérance du personnage de Leonora, puisque, sur les cinq thèmes présentés, quatre lui seront associés dans l’ouvrage. Les deux sonneries de cuivres initiales, répétant la note mi, symbolisent la force implacable du destin. Elles engendrent un thème convulsif que l’on retrouvera à plusieurs endroits de l’opéra, notamment en introduction de la Prière de Leonora à l’acte II. Ses doubles croches obsessionnelles hanteront ou interrompront les quatre thèmes à venir : une douce cantilène de hautbois, flûte et clarinette (le duo entre Alvaro et Carlo à l’acte IV), le vibrant thème final de la Prière de Leonora, une mélodie enjouée de clarinette (autre thème de Leonora à l’acte II) et une hymne religieuse aux cuivres (chantée par le Père supérieur dans son duo avec Leonora à l’acte II). Le retour grandiose du thème de la Prière n’empêche pas l’omniprésence du thème du destin, mais le désamorce quelque peu : l’ouverture se conclut par une brillante coda.

Claire Delamarche

Bruch, Concerto pour violon n° 1

Composition : 1864-1866, puis révision de 1866 à 1868.
Création : Coblence, 24 avril 1866, par Otto von Königslow, sous la direction de Max Bruch (première version) ; Brême, 7 janvier 1868, par Joseph Joachim, sous la direction de Carl Martin Reinthaler (version définitive).
Dédicace : à Joseph Joachim.

Dans une lettre à l’éditeur Simrock datée de 1887, Max Bruch se plaint de ce que son Premier Concerto pour violon supplante ses deux autres : «Tous les quinze jours, il y en a un qui vient pour me jouer le premier concerto ; j’ai fini par me montrer impoli et je leur ai dit : “Je ne supporte plus d’entendre ce concerto ; est-ce peut-être le seul concerto que j’ai écrit ?”» Une quinzaine d’années plus tard, une lettre adressée à sa famille montre une exaspération toujours aussi vive : «Que le diable les emporte tous ! Comme si je n’avais pas écrit d’autres concertos, tout aussi bons !» La postérité n’a pas changé la donne, et le Premier Concerto fait presque oublier tout le reste de l’œuvre de Bruch, hormis Kol Nidrei pour violoncelle et orchestre et la Fantaisie écossaise pour violon et orchestre.

«Ne trouvez-vous pas très téméraire de composer un concerto pour violon ?»

Ce succès vient couronner des années de travail acharné de la part de Bruch. L’écriture se déroule dans l’inquiétude («Ne trouvez-vous pas qu’il soit en fait très téméraire de composer un concerto pour violon ?», demande-t-il à son ancien maître Hiller), et le compositeur baisse les bras à plusieurs reprises. Suite à une première création qui ne lui apporte pas pleine satisfaction, il reprend son ouvrage et s’y consacre pendant deux nouvelles années. Comme Bruch éprouve une certaine difficulté à rendre son œuvre «violonistique», du fait de sa formation de pianiste, il sollicite pour cette révision les lumières du virtuose Joseph Joachim, qui contribue à la fois par ses précieux conseils et son interprétation au triomphe de la version révisée.

Malgré sa conception difficile, aucune trace de labeur dans ce concerto où la virtuosité soutient un chant exalté. Le découpage en trois mouvements ressemble à celui d’un concerto classique, mais Bruch le transforme de façon peu académique. Le premier mouvement est en effet qualifié de «prélude» (Vorspiel). Il progresse peu à peu vers un pic dramatique, avant de s’apaiser pour amener sans transition vers l’Adagio central. Dans ce mouvement, un thème revient au cours de diverses variations, aux courbes mélodiques toujours plus envoûtantes. Le finale, Allegro energico, puise aux sources tsiganes une virtuosité ébouriffante et une énergie débridée. Il dut ravir Joachim, né en Hongrie, et préfigure le fameux finale du concerto de Brahms, de dix ans postérieur à celui de Bruch.

Mathilde Serraille

Joseph Joachim

Si Nicolò Paganini (1782-1840) demeure sans conteste le plus célèbre violoniste des siècles passés, d’autres noms sont à retenir, comme celui de Joseph (József) Joachim (1831-1907). La contribution du musicien hongrois à l’histoire des chefs-d’œuvre dédiés à son instrument ne manque d’impressionner. Le Concerto pour violon de Beethoven, composé et créé bien avant sa naissance, lui doit sa remise en lumière : c’est en effet lui, à 13 ans, qui tient la partie soliste lors du concert qui fait redécouvrir l’œuvre en 1844. La représentation est placée sous la baguette de Felix Mendelssohn, auteur la même année du célèbre Concerto en mi mineur, que Joachim donne en concert de façon mémorable trois ans plus tard. Joachim a par ailleurs considérablement aidé à l’écriture des autres sommets du genre que représentent les concertos de Bruch et Brahms. Il devient dont tout naturellement leur dédicataire et leur premier interprète. On lui attribue ces mots : «Les Allemands ont quatre concertos pour violon. Le plus grand, le plus libre de concessions, est celui de Beethoven. Celui de Brahms, par son sérieux, s’inscrit dans la lignée de Beethoven. Le plus riche, le plus envoûtant, fut écrit par Max Bruch. Mais le plus intérieur, le joyau du cœur, nous vient de Mendelssohn.» Une branche de son arbre généalogique pointe vers une autre page de l’histoire du violon : dédicataires et créatrices du Double Concerto de Holst, ses petites-nièces Jelly Arányi et Adila Fachiri furent à l’origine de la redécouverte rocambolesque du concerto de Schumann, écrit pour Joachim qui le refusa. Pour Jelly, Ravel composa en outre Tzigane, Bartók ses deux sonates pour violon et piano et Vaughan Williams son Concerto academico.

M. S.

Tchaïkovski, Symphonie n° 4

Composition : commencée à Moscou durant l’hiver 1876-1877, achevée à San Remo en décembre 1877 et janvier 1878.
Création : Moscou, 10 février 1878, dans le cadre de la Société musicale russe, sous la direction de Nikolaï Rubinstein.

Comme la Sixième, la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski est particulièrement marquée par le fatum, la soudba russe, qui représente non une forme d’adversité que la volonté peut surmonter (telle que Beethoven la met en scène dans son œuvre) mais, selon les termes du compositeur, «cette force inéluctable qui empêche l’aboutissement de l’élan vers le bonheur». La symphonie entière est construite comme une œuvre cyclique, qui, en réintroduisant dans son cours les deux thèmes du premier mouvement, attachés au destin et à la tristesse, marque leur suprématie.

Comme la Cinquième Symphonie de Beethoven, la Quatrième de Tchaïkovski témoigne d’une expérience vitale, traduite dans la dramaturgie musicale. Aucun programme littéraire ne figure dans les deux partitions, mais Tchaïkovski, dans une lettre à sa bienfaitrice, Madame von Meck, s’explique longuement sur la signification de son œuvre et sur son caractère profondément autobiographique. Nous citerons plus loin des extraits de cette confession, d’une troublante sincérité, dans la traduction d’André Lischke, spécialiste du compositeur.

Composée après Le Lac des cygnes et contemporaine d’Eugène Onéguine, la Quatrième Symphonie voit le jour dans une période de grand travail et d’épanouissement artistique, mais aussi de difficultés personnelles et de profond désarroi liés à l’échec retentissant du mariage du compositeur. Décidée de façon quelque peu précipitée, et célébrée en juillet 1877, cette union avec une jeune fille, Antonina Milioukova, qui avait été brièvement son élève au Conservatoire de Moscou lui est immédiatement une torture et se solde par une fuite au bout de trois semaines de vie commune, suivie d’une séparation. Ces événements interrompent l’orchestration de la symphonie, que Tchaïkovski reprend l’hiver suivant. La création à Moscou se solde par un demi-échec, conséquence d’un travail insuffisant de l’orchestre, mais la première audition à Saint-Pétersbourg, sous la direction d’Édouard Napravnik, connaît un vif succès, début d’une popularité qui ne s’est jamais démentie par la suite.

I. Andante sostenuto – Moderato con anima (In movimento di valse)

L’introduction en fa mineur, «germe de toute la symphonie» selon le compositeur, fait entendre dans une impérieuse et sinistre fanfare la voix du fatum, qui, comme l’explique Tchaïkovski à Madame von Meck, «reste suspendu au dessus de notre tête comme une épée de Damoclès et empoisonne constamment notre âme». On songe aux trompettes de La forza del destino de Verdi, opéra qui avait été représenté à Saint-Pétersbourg en 1862, ainsi qu’à la déclamation des trombones ouvrant la Dante-Symphonie de Liszt, accompagnée dans la partition par la célèbre citation tirée de la Divine Comédie : «Vous qui entrez, abandonnez tout espérance.» L’inquiétante descente des basses, les silences spectaculaires qui ponctuent la fracassante déclaration rendent cette dramatique entrée en matière encore plus accablante que les deux «modèles» cités plus haut.

À cette introduction fait suite un mouvement de forme sonate, dont la dialectique et les contrastes s’adaptent parfaitement aux tensions qui agitent le musicien. 

Un mouvement de valse emporte dans son inexorable tourbillon l’être humain, jouet de la destinée. Ici encore surgit le souvenir de La forza del destino, avec son tournoiement de doubles croches, mais le dessin mélodique est plus crispé et sombre chez Tchaïkovski. Ce thème de valse tragique, développé et amplifié, conduit à un épisode de transition (en la bémol mineur) qui, dans une douce grisaille rehaussée des arabesques des bois, évoque, selon le musicien, la fuite dans le rêve. Le second thème principal, d’abord timide contrechant, s’impose progressivement en tierces généreuses (en si majeur). Le thème de valse réapparaît, alangui : «Quel bonheur ! L’obsédant thème de l’Allegro ne s’entend maintenant que de loin. […]. Tout ce qui était maintenant sombre et triste est oublié.» La conclusion de l’exposition, exaltée, se charge d’accents conflictuels, annonciateurs des forces orageuses du développement. Celui-ci s’ouvre par l’irruption du thème du fatum. La réexposition est introduite par un tutti paroxystique déclamant le premier thème. Elle conduit à une coda qui fait réapparaître les arabesques de l’épisode «du rêve», maintenant prises dans le tourbillon de la valse, mené jusqu’à la frénésie dans le stretto final : «Et c’est ainsi que toute la vie humaine est une alternance perpétuelle entre une réalité pénible et des rêves de bonheur fugitifs. Il n’y a pas de havre de paix. Il faut naviguer sur cette mer jusqu’à ce qu’elle vous saisisse et vous engloutisse dans ses profondeurs

II. Andantino in modo di canzona – Più mosso – Tempo primo

Après les déflagrations sonores du premier mouvement, l’Andantino in modo di canzona déploie un paysage automnal et minimaliste dans lequel un hautbois solitaire déroule sa cantilène (en si bémol mineur). «C’est cet état mélancolique que l’on éprouve le soir, lorsqu’on est seul, fatigué après le travail. […]. On regrette le passé, mais on n’a pas envie de recommencer à vivre. On est fatigué par la vie.» On peut s’imaginer l’influence d’une telle page sur Mahler (troisième lied des Kindertotenlieder, deuxième lied du Chant de la terre). Les violons réchauffent l’atmosphère par un thème d’une généreuse rusticité, un peu pesant avec son harmonisation en accords parallèles.

Le volet central, en fa majeur, est construit sur le début du thème de valse du premier mouvement, dans une atmosphère idyllique, puis de plus en plus passionnée jusqu’au sommet marqué par des sonneries rappelant celles du fatum. Le retour du thème initial, cette fois aux violons, est auréolé de lignes mystérieuses et évanescentes aux bois, recréant l’atmosphère nocturne et onirique du Lac des cygnes.

III. Scherzo (Pizzicato ostinato) : Allegro – Meno mosso – Tempo I°

«Le troisième mouvement n’exprime pas de sentiments définis. Ce sont des arabesques capricieuses, des images insaisissables qui passent dans l’imagination lorsqu’on a bu un peu de vin et qu’on entre dans la première phase de l’ivresse. On ne se sent pas gai, mais pas triste non plus. On laisse libre cours à l’imagination qui s’est mise à tracer d’étranges dessins. Parmi eux, on reconnaît soudain une scène de moujiks légèrement éméchés, et une chanson de rue. Puis un défilé passe dans le lointain

Tchaïkovski se montre visionnaire dans ce scherzo, tant par les sonorités irréelles, à la fois sèches et feutrées, des cordes qui jouent en pizzicatos tout au long de la pièce, qu’à l’inspiration quasi inconsciente, faisant défiler un monde d’images, qui le nourrit. «Ce sont des images totalement incohérentes qui passent dans le lointain quand on s’endort. Elles n’ont rien à voir avec la réalité. Elles sont étranges, absurdes et décousues.» Dans cette perspective, ce scherzo annonce «Fêtes», deuxième mouvement des Nocturnes de Debussy, traversé lui aussi par un cortège d’idées musicales et notamment l’évocation d’un défilé militaire. On peut imaginer également une influence de ce mouvement sur le Stravinsky de Petrouchka, avec son jaillissement d’idées et sa verve populaire.

La partie «scherzo» proprement dite, en fa majeur, fait entendre un mouvement perpétuel aux cordes seules en pizzicatos, essaim bourdonnant dont la matière se distend peu à peu. Le trio est caractérisé par une élégante mélodie en la majeur, au charme rustique, jouée par le hautbois, sur un robuste bourdon du basson. Puis, aux cuivres pianissimo, s’annonce le défilé militaire, sur lequel se greffe la mélodie du trio ; le compositeur y réintroduit progressivement des éléments du scherzo. Synthétique, le retour de ce dernier intègre des réminiscences du thème du trio et du défilé miliaire.

«Si tu ne trouves aucun motif de joie en toi-même, regarde vivre les autres. Va dans le peuple. […]. C’est le tableau d’une grande fête populaire. Mais à peine as-tu cessé de penser à toi et t’es-tu laissé captiver par le spectacle du bonheur d’autrui que l’implacable fatum revient et se rappelle à ton souvenir.»

IV. Finale : Allegro con fuoco – Andante – Tempo I°

La joie populaire, débordante et orageuse, éclate dès les premières mesures du finale en un flot torrentueux de doubles croches (en fa majeur). Créant un fort contraste, les bois, indifférents aux grondements des violons, énoncent le second thème, en la mineur, qui cite la chanson populaire Dans un champ se dressait un bouleau, déjà employée par Balakirev dans son Ouverture sur trois chansons russes (1858). D’une manière originale, le compositeur fait alterner ces deux thèmes, dont l’un est traité en un développement dramatique, tandis que l’autre est soumis à des variations. Le premier thème est repris et développé dans un épisode aux accents violents et tragiques conduisant en fa mineur. La tonalité majeure est restaurée in extremis dans une hâtive conclusion. Le second thème réapparaît (en si bémol mineur), varié et amplifié par des gammes issues du début. Le premier thème et son développement sont réexposés, suivis d’une seconde variation du deuxième thème, aux inflexions langoureuses (en mineur). Les premières notes de la chanson sont reprises dans une progression dense qui conduit au retour du thème du fatum, qui se prolonge par une méditative descente des cordes graves. La brève réexposition (du premier thème seulement) prépare la coda tonitruante, qui ne trompe personne ; elle ne parvient pas à masquer une forme de résignation : «On peut quand même vivre.»

Anne Rousselin

Notre partenaire