Notes de programme

Eastwood symphonic

Mer. 19 oct. 2022

Retour au concert du mercredi 19 octobre 2022

Programme détaillé

Eastwood’s Ouverture
Compositeurs : Ennio Morricone, John Williams, Clint Eastwood, Michael Stevens, Kyle Eastwood / Arrangeur : Jean-Jacques Mailliet

Magnum Force (1973)
Réalisateur :
Don Siegel / Compositeur : Lalo Schifrin / Acteur : C. Eastwood

L’Inspecteur Harry (1971)
[Dirty Harry]
Réalisateur :
Don Siegel / Compositeur : Lalo Schifrin / Acteur : C. Eastwood

La Sanction (1975)
[The Eiger Sanction]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : John Williams / Acteur : C. Eastwood

Sur la route de Madison (1995)
[The Bridges of Madison County]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : Lennie Niehaus / Acteur : C. Eastwood

Mémoire de nos pères (2006)
[Flags of Our Fathers]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : C. Eastwood / Arrangeur : Kyle Eastwood

Lettres d’Iwo Jima (2006)
[Letters From Iwo Jima]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeurs : Kyle Eastwood et Michael Stevens

Bird (1988)*
Réalisateur :
Clint Eastwood / Musique : Lennie Niehaus

L’Échange (2008)
[Changeling]
Réalisateur et compositeur :
C. Eastwood / Arrangeur : Kyle Eastwood

Gran Torino (2008)
Réalisateur et acteur :
C. Eastwood / Compositeurs : Kyle Eastwood et Michael Stevens

Impitoyable (1992)
[Unforgiven]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : Lennie Niehaus / Acteur : C. Eastwood

Pour une poignée de dollars (1964)
[Per un pugno di dollari]

Réalisateur : Sergio Leone / Compositeur : Ennio Morricone / Acteur : C. Eastwood

Le Bon, la Brute et le Truand (1966)
[Il buono, il brutto, il cattivo]

Réalisateur : Sergio Leone / Compositeur : Ennio Morricone / Acteur : C. Eastwood

* Joué par le quintette.

Concert sans entracte.

Distribution

Orchestre national de Lyon

Stephen Bell direction

Quintette
Kyle Eastwood
contrebasse et basse
Andrew McCormack piano
Chris Higginbottom batterie
Quentin Collins trompette et bugle
Brandon Allen saxophones

Kyle Eastwood direction artistique
Gast Waltzing mise en scène symphonique et arrangements
Fred Gluzman production exécutive

En coproduction avec l’Institut Lumière, dans le cadre du festival Lumière.
Un concert produit par V.O. Music.

Clint Eastwood et la musique

Il a été l’Homme sans nom puis le Bon dans la «Trilogie du dollar», Blondin selon le surnom que lui a prêté le Truand. Il a été Harry Callahan, Dirty Harry ou Harry le Charognard en version française, inspecteur obstiné, raciste et violent, chargé des affaires les plus répugnantes, incarnation d’une Amérique qui prônait le vigilantisme et l’autodéfense. Héros ou antihéros, Clint Eastwood crève l’écran d’un simple regard. Considéré par John Wayne comme son successeur, il n’est pas seulement un acteur, mais aussi un réalisateur et producteur averti, maintes fois oscarisé et césarisé, récompensé par de multiples palmes et golden globes, sans oublier le premier prix Lumière, décerné en 2009 à Lyon pour l’ensemble de sa carrière. Aussi à l’aise dans le western que dans le film noir, le film policier ou le film d’action, il s’est essayé avec succès à la comédie, aux genres romanesques ou historiques. Et parce que le cinéma appelle une bande son, la musique n’a cessé de rythmer ce parcours exceptionnel.

En 1964 déjà, lors de son apparition à cheval, de dos et vêtu d’un large poncho, tête basse sous son chapeau comme pour retarder les présentations, la musique faisait sentir son incroyable présence. Pour une maigre poignée de dollars... 

La musique est d’autant plus essentielle dans l’œuvre de Clint Eastwood que l’homme de cinéma est aussi chanteur. Si sa voix fait merveille dans la country de la série Rawhide, il enregistre un album complet de chansons de cowboy. Mais c’est le jazz qu’il préfère, notamment celui de Fats Waller que lui faisait écouter sa mère. Il apprend à jouer du piano. En autodidacte. Il joue avec des amis. Dans Un frisson dans la nuit, son premier film en tant que réalisateur, il utilise le standard Misty d’Erroll Garner. Un choix sur lequel insiste le titre original du film : Play Misty For Me. En 1980, le revoici en duo avec Ray Charles dans Any Which Way You Can, et huit ans plus tard, auteur d’un magnifique hommage à Charlie Parker avec Bird. Dans ses films, la musique ne se contente pas de souligner l’action ou de traduire les sentiments des personnages, elle se fait aussi l’écho d’un pays et de son histoire. Dans son documentaire Piano Blues, Clint Eastwood déclare : «Je crois que la musique joue un rôle très important dans un film en ponctuant l’action. Le silence peut aussi jouer un rôle crucial. J’ai fait beaucoup de film où j’ai eu la chance de pouvoir incorporer du jazz et du blues – deux des plus grandes formes artistiques de l’Amérique

Dans la peau d’un flic avec Lalo Schifrin

Magnum Force (1973)
Réalisateur :
Don Siegel / Compositeur : Lalo Schifrin / Acteur : C. Eastwood

L’Inspecteur Harry (1971)
[Dirty Harry]
Réalisateur
: Don Siegel / Compositeur : Lalo Schifrin / Acteur : C. Eastwood

San Francisco, 1970s. Sous les tout nouveaux gratte-ciel, dans cette ville pluriculturelle désormais qualifiée de capitale de la pornographie, dealers, prostitués et criminels en tout genre occupent le bitume. Trois séquences au tout début du premier opus consacré à l’inspecteur Harry. Tout d’abord une sorte de plain-chant de carillon tandis que défilent, sur une pierre tombale, les noms de policiers tombés dans l’exercice de leur fonction. Puis un enchaînement harmonique ambigu, des accords cristallins, une section rythmique jazz et des vocalises pour suivre les mouvements d’un fusil et la nage insouciante d’une jeune femme dans une piscine. Une sirène et le bruissement urbain industriel tranchent avec le bleu et le clapotis de l’eau, jusqu’au coup étouffé de l’arme, l’emblématique 30-06 Springfield. Vient enfin le thème principal pour l’entrée en scène de l’inspecteur, de face désormais. Introduit par une basse arpégée, il se caractérise par ses brèves interventions de piano et des réponses de contrebasse. Très jazz.

Avec Don Siegel et Lalo Schifrin, les présentations sont immédiates mais toujours aussi taciturnes. La musique paraît remplacer la parole tout du long des six premières minutes du film, sage précaution car les dialogues ultérieurs seront emplis de vulgarités et de gros mots. D’ailleurs, la musique l’emportera encore sur les mots lorsque le policier solitaire, à la fin, jettera sa plaque dans la rivière où flotte le cadavre du meurtrier, retour au liquide sous une longue tenue de cordes et les sons synthétiques de clavier.

Né à Buenos Aires dans une famille de musiciens, Lalo Schifrin a été élevé au tango et à la musique classique. Ancien élève d’Enrique Barenboim, père du célèbre pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboim, puis d’Olivier Messiaen à Paris, il a payé ses études en jouant du jazz dans les clubs, a rencontré Dizzy Gillespie, finalement a excellé dans le mélange des styles : «Nous avions une vraie complicité, Don Siegel et moi. Deux choses dont je me souviens sur ce film : j’avais décidé d’utiliser des voix de femmes hystériques. Et pour le thème de Scorpio des distorsions de guitares électriques. On était en plein dans Acid Rock et ça correspondait assez bien à la folie du personnage. Au début, Don Siegel m’a demandé pourquoi les femmes criaient et je lui ai dit : “Ce type est fou ; il entend des voix.” Il a aimé […]. Siegel faisait un film plein de contradictions et j’ai essayé de le faire avec la musique… La contradiction, la folie, c’était l’idée. J’ai fait beaucoup de musiques pour Don Siegel et Clint Eastwood. Deux amateurs de jazz

Dans Magnum Force, deuxième aventure de l’inspecteur Harry, sa musique aura une couleur plus rock. Mais on y retrouvera les voix comme un fil conducteur de la série. De grands intervalles et des glissements chromatiques avec toujours la folie en ligne de mire.

De l’autre côté de la caméra

La Sanction (1975)
[The Eiger Sanction]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : John Williams / Acteur : C. Eastwood

Sur la route de Madison (1995)
[The Bridges of Madison County]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : Lennie Niehaus / Acteur : C. Eastwood

Si Clint Eastwood remplace ponctuellement Don Siegel grippé sur le tournage de L’Inspecteur Harry, c’est bien sûr Un frisson dans la nuit qui révèle ses qualités de réalisateur. Pour La Sanction, son premier film d’action, il a pensé confier la réalisation à son ami avant de passer derrière la caméra.

Dans ses films précédents, il a collaboré avec Dee Barton et Michel Legrand ; cette fois-ci, c’est John Williams, récemment remarqué grâce aux Dents de la mer, qui a été retenu par la production. On lui doit une jolie mélodie de générique alternant cordes et piano sur le jeu glissando de harpe, puis après l’ascension d’un sombre escalier sur le Deuxième Nocturne de Chopin, des harmonies atonales et dissonantes ponctuant une scène de lutte d’inquiétantes interventions de piano et de cuivres.

John Williams n’a signé qu’une seule partition pour Clint Eastwood, qui demeurera par la suite assez fidèle à Jerry Fielding puis Lennie Haus. Formidable jazzman, le second jouait régulièrement en trio dans un club de sous-officiers où Clint Eastwood servait comme barman dans les années cinquante. Ils se sont retrouvés bien plus tard, aux côtés du compositeur Jerry Fielding. Lennie Haus est un homme discret. Il exploite au mieux les procédés de narration et de flash-back prisés par le réalisateur. Au début de Sur la route de Madison, ce ne sont que les bruits du vent, d’un moteur de voiture et de roues qui crissent sur le gravier, de voix et de portières qui claquent. Quelques échos de Saint-Saëns et de Bellini, une chanson pour une danse et une étreinte, du jazz dans un bar. La musique se réserve pour clore le film, aboutissement en voix off d’un long et silencieux crescendo.

Dans Impitoyable, le thème de Claudia, à la guitare puis à l’orchestre, tranche avec la violence de l’intrigue sur fond de vengeance. En fait, c’est Clint Eastwood lui-même qui a inventé ce thème : «J’ai écrit un thème sur le chemin du lieu et j’ai dit [à Lennie Haus] : “J’ai ce thème. Pourquoi n’orchestrez-vous pas cela ?” Je voulais un sentiment de guitare solitaire, et je voulais que Laurindo Almeida le fasse. Il y avait quelque chose dans sa façon de jouer qui n’était pas compliqué, mais il avait toujours un bon feeling. Je sentais juste qu’il ferait ce morceau. J’ai dit : “Vous arrangez cela ; Je vais vous donner la moitié de la mélodie.” Nous avions une bonne relation. Il a toujours été fiable et malléable. Les musiciens l’aimaient et je l’aimais.»

Une affaire de famille

Mémoire de nos pères (2006)
[Flags of Our Fathers]
Réalisateur
: C. Eastwood / Compositeur : C. Eastwood / Arrangeur : Kyle Eastwood

Lettres d’Iwo Jima (2006)
[Letters From Iwo Jima]
Réalisateur : C. Eastwood
/ Compositeurs : Kyle Eastwood et Michael Stevens

Bird (1988)
Réalisateur :
Clint Eastwwod / Musique : Lennie Niehaus

L’Échange (2008)
[Changeling]

Réalisateur et compositeur : C. Eastwood / Arrangeur : Kyle Eastwood

Gran Torino (2008)
Réalisateur et acteur :
C. Eastwood / Compositeurs : Kyle Eastwood et Michael Stevens

Impitoyable (1992)
[Unforgiven]
Réalisateur :
C. Eastwood / Compositeur : Lennie Niehaus / Acteur : C. Eastwood

Dans Impitoyable, le thème de Claudia, à la guitare puis à l’orchestre, tranche avec la violence de l’intrigue sur fond de vengeance. En fait, c’est Clint Eastwood lui-même qui a inventé ce thème : «J’ai écrit un thème sur le chemin du lieu et j’ai dit [à Lennie Niehaus] : “J’ai ce thème. Pourquoi n’orchestrez-vous pas cela ?” Je voulais un sentiment de guitare solitaire, et je voulais que Laurindo Almeida le fasse. Il y avait quelque chose dans sa façon de jouer qui n’était pas compliqué, mais il avait toujours un bon feeling. Je sentais juste qu’il ferait ce morceau. J’ai dit : “Vous arrangez cela ; Je vais vous donner la moitié de la mélodie.” Nous avions une bonne relation. Il a toujours été fiable et malléable. Les musiciens l’aimaient et je l’aimais.»

Compositeur anonyme dans Impitoyable, Clint Eastwood décide d’écrire ses propres musiques. Non sans l’aide de son ami Lennie Niehaus comme chef d’orchestre ou orchestrateur, et souvent associé à son fils Kyle, qui a opté pour le jazz. Très jeune, Kyle Eastwood est apparu dans ses films. Acteur non crédité dans Josey Wales hors-la-loi et dans Bronco Billy, il a participé dans Honkytonk Man à la célébration de la country, puis a incarné un musicien dans Sur la route de Madison.

Avec ses contributions aux bandes originales, cinéma et musique deviennent une affaire de famille. Pour la musique du diptyque consacré à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, père et fils se partagent le travail. Du premier la partition de Mémoire de nos pères, du second celle des Lettres d’Iwo Jima, avec la collaboration de Michael Stevens toutefois. Les deux films s’inspirent des mêmes événements, mais les présentent sous des angles différents, du côté américain ou du côté japonais. Et la musique de nouveau s’attache à la temporalité du souvenir. Dans Mémoire de nos pères avec des soldats qui commémorent le souvenir de la guerre : chant a cappella, cris et souffle surgissent d’un cauchemar, alors que le piano de nouveau accompagne la voix off. Dans les Lettres d’Iwo Jima, des images de canons, de blockhaus, et des archéologues qui creusent dans le passé comme les soldats ont autrefois creusé les galeries et leurs propres tombes. La musique structure les glissements de temporalités, fait le lien entre le présent et le passé.

Sans doute est-il naturel que les souvenirs prennent, au fil des années, de plus en plus de place. Avec ces remords qui rongent Walt Kowalski, Gran Torino est un film sur la rédemption. Vétéran de la guerre de Corée, veuf peu aimable, l’homme deviendra un véritable héros. Par son sacrifice et l’abandon des armes, il expiera ses anciens crimes. Un beau thème de piano accompagné d’arpèges, suivi de cordes et de trompette ; serait-ce l’image du nouveau Kowalski en rupture avec le jazz d’autrefois ? Dans le cinéma de Clint Eastwood, on se promène d’une époque à l’autre, d’un lieu à l’autre, sans jamais perdre le contact avec le réel. Mais dans L’Échange, la réalité dépasse la fiction la plus sordide. Pédophilie, violences machistes, médicales et policières : le scénario s’inspire des meurtres de Wineville qui ont défrayé la chronique à la fin des années 1920. Du jazz donc, mais aussi des voix pour remonter le temps jusqu’au meurtre des enfants. La folie encore, pour le pire.

Avec Bird, Clint Eastwood se met en retrait. Absent de l’écran, mais derrière la caméra. Son fils non plus n’est pas là. Mais le jazz est un héritage familial, et rien c’est plus personnel que cette exploration du be-bop doublée d’un hommage à Charlie Parker. Avec Lennie Niehaus, Clint Eastwood a remixé des solos de Charlie Parker, puis a invité des musiciens, Monty Alexander (piano), Ray Brown (contrebasse) et John Guerin (batterie), à jouer autour. À défaut de pouvoir prendre la place de l’Oiseau, on peut réaliser ce vieux rêve de s’envoler avec lui le temps d’une session imaginaire. Tout est musique dans Bird, le blues du trompettiste Red Rodney, les confidences de Dizzy Gillespie, une cymbale jetée avec mépris pour interrompre le jeune saxophoniste. Et Clint Eastwood de prévenir : «Mais comment peut-on comprendre et aimer Parker si on n’a pas le temps de s’imprégner de sa musique ? Je déteste les prétendus films de jazz où il n’y a que deux mesures à la fin. Au milieu, les gens parlent, parlent. Ce n’est pas le cas dans Bird, je crois. Mais la musique, sans doute, pénètre en vous moins vite que les mots.»

Ennio Morricone ou le son de l’Ouest

Pour une poignée de dollars (1964)
[Per un pugno di dollari]
Réalisateur :
Sergio Leone / Compositeur : Ennio Morricone / Acteur : C. Eastwood

Le Bon, la Brute et le Truand (1966)
[Il buono, il brutto, il cattivo]
Réalisateur :
Sergio Leone / Compositeur : Ennio Morricone / Acteur : C. Eastwood

Né avec le jazz, Clint Eastwood n’en est pas moins révélé par Ennio Morricone. C’est ce dernier qui, avec Sergio Leone, donne vie à l’acteur. Pour sa première poignée de dollars, quelque chose de répétitif à la guitare, ainsi qu’un bref dessin de flûte s’obstinant à descendre. Un claquement de woodblock, ou de fouet peut-être, puis des tintements de triangle ou de clochette. Une cloche aussi, et des voix sur de simples onomatopées, entre le chant et l’aboiement. Un superbe sifflement, et c’est alors que la trompette entre, magnifique, pour un de ces longs mélismes dont le compositeur a le secret, sur les chœurs en arrière-plan. «Sa musique, explique Clint Eastwood, était très novatrice. Elle était déjà moderne à l’époque, et elle l’est toujours.» Passé derrière la caméra, Clint Eastwood aurait voulu collaborer avec Ennio Morricone, mais celui-ci a refusé «par respect pour Sergio Leone» ; il confiera plus tard avoir «raté une grande opportunité».

Lorsqu’il tourne Pour une poignée de dollars, Sergio Leone souhaite renouveler sa collaboration avec Franco Lavagnino. Soucieux de limiter les frais, ses producteurs s’y opposent et lui déniche un inconnu moins onéreux, Ennio Morricone : «À peine entré chez lui qu’il m’annonce que nous avions été à l’école ensemble. J’ai cru qu’il bluffait. Pas du tout. Il me montre une photo de la classe de 5e élémentaire et je constate que nous figurons tous les deux.» Enfants, ils ne partageaient pas les mêmes goûts ni la même culture. L’un le cinéma, les gendarmes et les voleurs, l’autre la musique et le football. Peu enthousiaste de prime abord, Sergio Leone se laisse convaincre : «C’était insuffisant pour que je l’engage. Et je dis franchement : “Ta musique pour Duel au Texas c’est archi-nul. Du très mauvais Dimitri Tiomkin” [auteur notamment de la partition de Rio Bravo]. À mon grand étonnement, il approuve : “Je suis entièrement d’accord avec toi. Mais on m’avait demandé de faire du mauvais Dimitri Tiomkin. Je l’ai fait. Il faut bien vivre.” Je lui donnai une autre chance.»

Il y a du Woody Guthrie dans Pour une poignée de dollars ; l’art de ce chanteur et guitariste folk plait bien plus à Sergio Leone que les envolées hollywoodiennes habituelles. Boudé par les critiques, le film est un succès populaire. Il réclame une suite, Et pour quelques dollars de plus avec son énigmatique guimbarde en tête de générique, puis Le Bon, la Brute et le Truand, avec son motif principal rappelant un hurlement de loup et ses coups de revolver. Avec Ennio Morricone toujours. Des musiques inoubliables qui sortiront rapidement des salles noires, sur les ondes et au concert. En 2007, Clint Eastwood remettra un Oscar honorifique au compositeur pour «ses contributions magnifiques et multiformes à l’art de la musique de film».

– François-Gildas Tual