Notes de programme

HOLLYWOOD : L’ÂGE D’OR

Ven. 29 déc. | sam. 30 déc. | dim. 31 déc. 2023 | lun. 1er jan. 2024

Retour aux concerts des ven. 29, sam. 30, dim. 31 déc. 2023  et lun. 1er jan. 2024

Programme détaillé

Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
L’Aigle des mers

[The Sea Hawk]
Film de Frank Lloyd, 1924

Hugh Martin (1914-2011)
Le Chant du Missouri

[Meet Me in Saint Louis]
Film de Vincente Minnelli, 1944

– «The Trolley Song»

Sigmund Romberg (1887-1951)
The New Moon

Opérette, livret et paroles d’Oscar Hammerstein II, 1928

«Softly as in a Morning Sunrise» 

Richard Rodgers (1902-1979)
Carousel

Film de Henry King, 1956

– «Valse»

Franz Waxman (1906-1967)
Rebecca

Film d’Alfred Hitchcock, 1940

– Suite

Jerry Herman (1931-2019)
Hello, Dolly !

Film de Gene Kelly, 1969

– «Love Is Only Love » 

George Gershwin (1898-1937)
Un Américain à Paris

[An American in Paris]
Film de Vincente Minnelli, 1951

– «I Got Rhythm»

John Williams (né en 1932)
E. T., l’extra-terrestre

[E.T. the Extra-Terrestrial]
Film de Steven Spielberg, 1982

– «Aventures sur Terre» [«Adventures on Earth»]

 

--- Entracte ---

Jerome Moross (1913-1983)
Les Grands Espaces

[The Big Country]
Film de William Wyler, 1958

– Thème principal

Max Steiner (1888-1971) 
Autant en emporte le vent

[Gone With The Wind]
Film de Victor Fleming, 1939

– Suite

Richard Rodgers (1902-1979)
La Mélodie du Bonheur

[The Sound of Music]
Film de Robert Wise, 1965

– Thème principal – «I Have Confidence»

Jerome Kern (1885-1945)
Show Boat

Film de George Sidney, 1951

– «Can’t Help Lovin’ Dat Man»

Scott Bradley (1891–1977)
Tom et Jerry à la MGM

[Tom and Jerry at MGM]
(Pot-pourri de musiques des dessins animés Tom et Jerry des années 1940 et 1950)

Miklós Rózsa (1907-1995)
Ben-Hur

Film de William Wyler, 1959

– «Défilé des chars» [«Parade of the Charioteers»]

Distribution

Orchestre national de Lyon
John Wilson 
direction
Kim Criswell voix
Matt Skelton percussions

Durée : 1h35 + entracte (20 min).

Télérama partenaire de l’événement.

La musique

Voudrions-nous raconter l’histoire de la musique de film hollywoodienne qu’il nous faudrait commencer notre récit en Europe. Né en 1887 à Nagykanizsa, en Hongrie, Sigmund Romberg s’est installé aux États-Unis dès 1909. Avec sa double formation de musicien et d’ingénieur, il a fait ses débuts dans une usine de crayons tout en pianotant dans les cafés, a été remarqué par des producteurs de Broadway, et s’est tout naturellement consacré à la comédie musicale. L’Autrichien Erich Wolfgang Korngold recevait les éloges de Gustav Mahler avant même de célébrer son dixième anniversaire ; avec ses opéras, il a compté parmi les compositeurs les plus joués en Allemagne après Richard Strauss. En 1934, Max Reinhardt lui a proposé d’adapter pour sa production du Songe d’une nuit d’été la musique homonyme de Mendelssohn. En Europe, ils avaient déjà collaboré à des arrangements d’opérettes avant que le metteur en scène ne doive fuir outre-Atlantique. Korngold s’est donc rendu à Hollywood, pendant quelques années a fait des allers-retours entre les deux continents, puis il s’est installé à son tour en Amérique afin d’y débuter une seconde carrière ; c’était en 1936, triste année de l’Anschluss. Né à Budapest, Miklós Rózsa est passé par le Conservatoire de Leipzig avant de côtoyer Honegger à Paris puis de traverser l’océan. Trois Oscars et un César en poche, il n’a pas démérité même si Ben Hur, à lui seul, a engrangé onze Oscars. Franz Waxman : l’Allemagne de L’Ange bleu, un séjour en France et la Californie pour Rebecca. Et le même constat vaut pour Max Steiner, né à Vienne, filleul de Richard Strauss et élève de Mahler et de Brahms ; sans doute ses maîtres n’avaient-il jamais présagé son changement de cap avec King Kong, Casablanca et Autant en emporte le vent, le compositeur ayant même pris la tête des productions musicales de la RKO et de la Warner. Certes, les crises et le chômage en vieille Europe, les conflits internationaux et les exactions raciales ont forcé de nombreux artistes à s’exiler ; le développement des majors américaines était synonyme de belles opportunités financières. Mais ces compositeurs étaient particulièrement bien préparés à leur rencontre avec le septième art hollywoodien avec, à l’oreille, les plus belles pages wagnériennes. Marqués par le postromantisme germanique, ils avaient de quoi satisfaire les attentes des réalisateurs, et offrir à Ben Hur un contrepoint digne de ses orages, pluies et tremblements de terre miraculeux, propices aux effusions orchestrales.

De l’orchestre, il en faut à Korngold pour peindre la fresque sonore de L’Aigle des mers. En contrat avec la Warner Bros, il a enchaîné les succès avec Les Aventures de Robin des Bois et Capitaine Blood. Sa nouvelle contribution au cinéma de Michael Curtiz lui promet la plus belle des affiches : Errol Flynn dans le rôle du capitaine corsaire Geoffrey Thorpe, Brenda Marshall dans celui de Doña Maria Alvarez de Cordoba. Au XVIe siècle, l’Angleterre et l’Espagne en guerre aspirent à la maîtrise de la mer. Des costumes et des voiliers magnifiques, de bruyantes batailles et de l’amour, l’essentiel est là pour Korngold qui peut enchaîner les thèmes contrastés, tutti martiaux et mélodies émouvantes.

Quatre ans plus tard, Le Chant du Missouri est projeté sur les écrans. Natif de l’Alabama, Hugh Martin a déjà fait ses débuts à Broadway ; typiquement américaine, cette comédie musicale de Vincente Minnelli raconte l’histoire d’une famille obligée de s’installer à New York au début du XXe siècle. «Have Yourself a Merry Little Christmas», chante Judy Garland pour consoler la petite Margaret O’Brien. Il est dit que le réalisateur, au moment de tourner la scène, a menacé de s’en prendre au chien de la jeune actrice pour faire pleurer cette dernière. Après avoir séduit les troupes en pleine guerre, le numéro est devenu un standard. Plus joyeuse, la Chanson des trolleys a concouru pour un Oscar. L’anecdote veut que l’auteur, peinant à en trouver les paroles, aurait trouvé l’inspiration à la lecture d’un livre pour enfant. Sous l’illustration d’un tramway de Saint-Louis, la légende «Clang, clang, clang went the jolly little trolley». Au rythme de la sonnette, le véhicule se balance comme un carrousel. Tandis qu’un jeune homme court à perdre haleine afin d’attraper son tramway, tout le monde chante et le voyage se transforme en véritable fête.

C’est le propre de ces films que de jouer sur tous les tableaux afin de faire rire et pleurer à la fois. Et Carousel de Rodgers et Hammerstein est encore plus difficile : un homme rustre qui s’occupe d’un manège, un couple qui s’aime malgré une réalité sociale difficile, le chômage et le vol pour s’en sortir, de la violence conjugale et une enfant orpheline de père, comment serait-il possible de faire rire ? Pourtant, il y a beaucoup de lumière dans la musique de Richard Rodgers ; la vie tourne comme une valse à s’effondrer par terre, mais la magie d’un retour sur Terre rendra à chacun un peu de paix.

Autre drame conjugal avec Rebecca, premier film américain d’Alfred Hitchcock, très anglais dans son sujet. «C’est l’histoire d’une maison», expliquait le réalisateur. Le titre est le prénom d’une épouse déjà morte, «la naissance, l’esprit et la beauté» dénuées de bonté si l’on en croit son assassin. Son fantôme plane sur la bâtisse mais l’amour renaît quand une jeune fille apparaît. Il fallait tout l’art de Daphné du Maurier pour imaginer une histoire si terrible, aux limites de la moralité et pourtant si déchirante. Admettrions-nous aujourd’hui l’excuse de l’accident ? En une simple suite d’orchestre, le film tout entier défile : introduction, ouverture, manœuvre tennistique sautant du coq à l’âne, mariage puis arrivée à Manderley, chambre mi-inquiétante, mi-merveilleuse de Rebecca, nouvelle robe, présence de la sombre gouvernante Madame Danvers, confession, incendie et épilogue. Le mal n’était pas là où on le croyait. Cuivres lointains et irisations de harpe accompagnent les aveux de l’époux trompé : il y a dans cette page un troublant mélange de douceur et de noirceur. 

«Les poissons doivent nager et les oiseaux doivent voler» : on ne peut s’empêcher d’aimer l’élu de notre cœur, affirment Oscar Hammerstein II et Jerome Kern dans Show Boat. On aurait tort de ne voir en la comédie musicale ou en le cinéma américain qu’un divertissement gratuit. On y décèle souvent un regard d’une cruelle perspicacité sur la société du XXe siècle. Bien sûr, les comédies de Rodgers et Hammerstein n’auraient probablement pas remporté leurs trente-cinq quinze Oscars ainsi que leurs Pulitzer, Tony, Grammy et Emmy Awards si les auteurs n’avaient pas fait certaines concessions, notamment au début des années 1950 quand le parolier a été accusé de précédentes accointances avec la gauche et le libéralisme. Ainsi Show Boat dénonce-t-il les inconstances masculines autant que les préjugés racistes. Rien de plus triste que la déchéance de Julie incarnée par Ava Gartner, pour la simple raison que du sang noir coule dans ses veines. Quant au pardon au bout de l’aventure, sans doute témoigne-t-il d’une autre époque où les liens du mariage étaient indéfectibles. 

Même La Mélodie du bonheur est marquée par les horreurs de l’Anschluss, imposant aux Van Trapp de fuir à pieds à travers les montagnes pour quitter leur Autriche natale et gagner la Suisse. Mais si les livrets d’Oscar Hammerstein II ont eu une réception si heureuse jusque dans leurs reprises cinématographiques des années cinquante, c’est que parolier et musiciens n’ont pas tout à fait tourné le dos aux conventions. En jouant des stéréotypes, ils étaient pour les Américains un miroir rassurant, satisfaisant car apparemment exigeant mais teinté d’idéalisme, de pruderie et de conformisme pour montrer le chemin vers une certaine forme de réussite. Mais la comédie musicale a aussi mis fin à une précédente époque ; créée en 1928 et racontant la rencontre d’un jeune aristocrate français et d’une fille de propriétaire de La Nouvelle-Orléans, La Nouvelle Lune a souvent été qualifiée de dernière opérette à Broadway…

Si les chansons du cinéma américain sont devenues des chansons populaires, sans doute est-ce dû en partie à leurs compositeurs. Né au cœur des classes moyennes du New-Jersey, Jerry Herman a appris à jouer du piano en autodidacte, ayant eu envie de composer des comédies musicales après avoir assisté à une représentation avec ses parents. Il sait ce que le public souhaite : des chansons que chacun aimerait avoir imaginées lui-même pour dire ce qu’il a sur le cœur, d’autres plus simples pouvant être chantonnées dès la sortie de salle. «L’amour est seulement l’amour», fait-il chanter à Barbra Streisand dans Hello, Dolly ! : qui ne voudrait un jour s’en convaincre ? 

Quant à George Gershwin, il a tiré ses premières mélodies du piano familial comme s’il avait toujours su jouer. Associé à son frère Ira pour les paroles, il n’a eu guère de mal à imposer ses thèmes. Son succès n’a jamais été aussi complet que lorsque les numéros poursuivaient leur carrière en tant que morceaux isolés, sur les scènes de music-hall comme sur les gramophones, voire sous les doigts des jeunes demoiselles. Pure musique : «I Got Rythm…» (J’ai du rythme / J’ai de la musique / J’ai ma chérie / Que demander de plus ?), scande-t-il dans Un Américain à Paris de Vincente Minnelli.

Probablement John Williams a-t-il hérité de cette aisance et de ce goût pour le naturel. À la fin des années 1970, il a remplacé Arthur Fiedler à la tête du Boston Pops Orchestra. Gershwin était au programme. Sur un ostinato strident de cordes et de vents, les cuivres éclatent ; E.T., l’extra-terrestre peut retrouver sa maison. Bien sûr, l’harmonie s’extrait des carcans du jazz, mais les mélodies de cordes tirent le fil postromantique presque à l’excès, sur un accompagnement symphonique qui leur confère une énergie incomparable. Au fil des ans, le rêve américain s’enrichit de nouveaux imaginaires : on lève les yeux vers le ciel et l’on croit dur comme fer à la conquête spatiale. Musicien avant tout, John Williams réunit ses thèmes dans de véritables suites, voire poèmes symphoniques. Au moment de la sortie de la bande originale, la musique est déjà indépendante du film. Même si, finalement, ses plus célèbres thèmes s’inscrivent eux aussi dans une certaine continuité de la musique de film américaine. 

Ne soyons pas surpris d’en trouver les prémisses chez Jerome Moross pour Les Grands Espaces de William Wyler. Déserts à perte de vue, chevauchées sous les Rocheuses et dans leurs canyons : les personnages sont minuscules dans des décors immenses, proportions très américaines et colorées d’une modalité typique du western. 

Et plus tôt encore, en 1939, Max Steiner compose la musique d’Autant en emporte le vent. Vivien Leigh et Clark Gable, ou plutôt Scarlett O’Hara et Rhett Butler. Une histoire d’amour sur fond de guerre de Sécession, alors que la Seconde Guerre mondiale s’apprête à éclater. La suite de Steiner a l’ampleur du long-métrage : après le prélude, nous voici à la propriété des Wilkes, Twelve Oakes (Douze Chênes). Arrivée avec Ashley Wilkes en tête, Scarlett est déterminée à le séduire bien que celui-ci soit promis à la vertueuse Melanie. Mais un autre homme surgit : Rhett Butler, d’un caractère opposé. Pour rappel, Ashley épouse Melanie, et Scarlett se reporte sur son frère pour le rendre jaloux. Retour à la propriété des O’Hara, Tara, portrait de Mamma, la servante noire de Scarlett. Le mari décédé à la guerre, Scarlett se retrouve entre Ashley et Rhett. Le Sud perd la guerre, Scarlett marche parmi les blessés, Rhett est décidé à partir tandis que Melanie rend son dernier souffle. Ashley libre, c’est bien Rhett qu’elle aime. Le mauvais garçon qui désormais s’en va sans se retourner. Final. Des grands sentiments, de vastes étendues, des motifs pour chaque personnage, voire plusieurs selon le degré et la nature des passions : l’amour et ses baisers en Technicolor et en gros-plan.

Avant de clore ce programme, assurons-nous de notre bonne humeur avec Tom et Jerry. Chat et souris jouent de tous les instruments, dirigent l’orchestre, chantent Le Barbier de Séville à l’Opéra, courent sur les touches et manipulent les marteaux d’un piano sur la Deuxième Rhapsodie hongroise de Liszt. Mais les animaux ennemis ont aussi leurs propres musiques signées Scott Bradley, compositeur attaché aux studios de Tex Avery qui a prêté aux premiers cartoons de la Metro Goldwin Mayer leur identité sonore. Non seulement à Tom et Jerry, mais aussi à Droopy : Are you happy ? 

Mais puisqu’il s’agit de parler de l’âge d’or d’Hollywood, impossible de se quitter sans avoir pris le temps de regarder un péplum. Peut-être certains se demandent-ils pourquoi les programmes télévisés reprennent ces invraisemblables spectacles à chaque fin d’année. Grandioses, ils fantasment l’Antiquité mais n’ont rien d’hivernaux. Comme les comédies musicales, ils ont toutefois réuni agréablement les familles à l’occasion des fêtes, et bien que la majesté de Ben Hur (film de William Wyler d’après le roman de Lewis Wallace) ne corresponde pas vraiment à la féerie d’un réveillon, sa brillante fanfare s’est progressivement imposée au point, le temps passant, de devenir une sorte de symbole de l’entrée dans une nouvelle année. Meilleurs vœux !

– François-Gildas Tual

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