Notes de programme

HOMMAGE À PIAZZOLLA

Ven. 19 mai | sam. 20 mai 2023

Retour au concert des vendredi 19 et samedi 20 mai 2023.

Programme détaillé

Astor Piazzolla (1921-1992)
– Tangazo (Variations sur Buenos Aires)
Pablo Ziegler (né en 1944)
– Asfalto
Astor Piazzolla
– Introducción al Angel*
– Imágenes 676*
Pablo Ziegler
– Milongueta
– La Rayuela
Astor Piazzolla
– Oblivion*
– Fuga y Misterio*

* Arrangements de Pablo Ziegler

Distribution

Orchestre national de Lyon
Miguel Harth-Bedoya 
direction
Pablo Ziegler piano
Quique Sinesi guitare
Martín Sued bandonéon

Concert sans entracte.

Astor Piazzolla et Pablo Ziegler

Tissant des liens entre les cultures, la musique d’Astor Piazzolla (1921-1992) témoigne de l’esprit cosmopolite qui a habité le compositeur sa vie durant. En effet, Piazzolla a bénéficié dès son enfance d’influences multiples qui ressurgissent dans son œuvre. Né en Argentine, c’est à New York, où sa famille s’est installée, que Piazzolla éprouve ses premières appétences pour la musique. Il fréquente alors les clubs de jazz de la grande métropole américaine qui le marquent durablement. À cette découverte s’adjoint celle du bandonéon*, grâce à son père qui lui offre un petit instrument. Par ce médium, le futur compositeur rencontre la musique populaire de l’Argentine. Le lien avec son pays natal s’enrichit alors de la proximité avec deux personnalités incontournables de la scène argentine: d’une part Carlos Gardel, que Piazzolla fréquente à New York alors que le mythique chanteur de tango est sur le tournage d’un film ; d’autre part, Alberto Ginastera qui, à l’instar de Villa-Lobos, associe dans son langage musical tant la modernité occidentale que l’esprit traditionnel argentin.

À l’image de la production de Piazzolla, ce programme articule des œuvres qui se déploient vers de multiples horizons. En effet, le compositeur est avant tout associé au renouveau du tango, incarné par le Quinteto Nuevo Tango qu’il fonde en 1960 en compagnie de Simón Bajour (violon), Jaime Gossis (piano), Jorge López Ruiz (guitare électrique) et Kicho Díaz (contrebasse). Pour autant, Piazzolla entreprend une œuvre qui bénéficie également de l’héritage du contrepoint baroque, de la musique concertante classique et romantique et qui s’incarne autant dans des pièces de concert que dans des musiques de films.

Au travers de cette œuvre protéiforme, le bandonéon représente une trame à laquelle Piazzolla retourne sans cesse. Grand bandonéiste, il a participé à modifier les modes de jeu de cet instrument. En effet, alors qu’on le joue traditionnellement assis, le compositeur a développé le jeu debout, particulièrement en concert. Grâce à un support, la jambe forme une équerre supportant le poids du bandonéon. Cette position permet de déployer une sonorité plus ample bien qu’elle rende plus difficile le contrôle du son.
Si Piazzolla a souvent eu recours au principe de la transcription, réécrivant ses œuvres pour des formations instrumentales diverses, le timbre du bandonéon irrigue la production du compositeur.

C’est pourtant par une œuvre pour orchestre que débute le programme. Tangazo, sous-titré «Variations sur Buenos Aires», est marqué de l’esprit du tango. Les lignes chromatiques initiales, qui émergent du grave de l’orchestre, installent un climat inquiétant laissant progressivement place à une effusion plus lyrique. Dans la section centrale, plus rapide, la signature rythmique caractéristique du tango se fait plus perceptible. D’autre part, Piazzolla accorde une place croissante aux vents, notamment au cor et au hautbois qui prennent en charge des thèmes d’une mélancolie pénétrante. En cela, il s’écarte des habituelles formations musicales dédiées au tango, dans lesquelles le bandonéon et les cordes sont primordiales. Nous percevons là un exemple des influences multiples dont le compositeur s’est nourri.

«Oblivion illustre la capacité de Piazzolla à parler un langage personnel en empruntant à des codes hérités de multiples cultures.»

Les autres pièces de Piazzolla s’inscrivent en revanche pleinement dans le courant du tango nuevo, qu’il a contribué à faire fleurir. Nous entendons dans Introducción al Angel toute la sensualité et la nostalgie caractéristiques du tango. L’ange dont il est question apparaît dans un immeuble de Buenos Aires afin de sauver l’âme de ses habitants. Inspirée d’images de la capitale argentine, cette pièce révèle l’attachement du musicien à ce lieu.

La Fuga y misterio est traversée de ce même lien à la ville puisqu’elle est extraite de l’opéra-tango intitulé Maria de Buenos Aires. Elle est également l’incarnation des très vastes connaissances musicales de Piazzolla. L’emprunt au terme «fugue» et à l’écriture contrapuntique au début de la pièce est une référence évidente au langage musical de l’Europe baroque. Néanmoins, en naviguant entre des ères qui pourraient paraître antinomiques, la deuxième section de l’œuvre, mobilisant tout l’orchestre, emprunte plutôt à l’univers du jazz. Enfin, l’atmosphère de mystère qui clôt la pièce est empreinte de la mélancolie du tango.

C’est ce même univers que Piazzolla convoque dans Oblivion, une œuvre de la dernière période du compositeur, datée de 1984 et destinée au film Henri IV de Marco Bellocchio. La tonalité mineure, l’emploi de valeurs longues ont fait de cette pièce une des plus fameuses du compositeur. Elle illustre la capacité de Piazzolla à parler un langage personnel en empruntant à des codes hérités de multiples cultures.

Artiste incontournable de la deuxième moitié du XXe siècle, Astor Piazzolla a initié toute une nouvelle génération de musiciens de tango. Pablo Ziegler appartient à la catégorie de ceux qui ont bénéficié d’échanges fournis avec le compositeur argentin. En effet, il a régulièrement été amené à jouer avec le maître du bandonéon au cours de sa dernière décennie d’activité, s’imprégnant ainsi d’une connaissance fine de son œuvre. En successeur de Piazzolla, il a poursuivi le développement du tango nuevo, en renforçant les liens entre tango et jazz. Cet aspect du style de Ziegler est particulièrement sensible dans La Rayuela, où il emploie un jeu de piano volontiers percussif.

Pour autant, l’héritage du tango argentin reste palpable dans l’ensemble de son œuvre, par des idiomes musicaux ainsi qu’à travers les titres de certaines pièces. Ainsi, Milongueta fait référence à la milonga, une des formes spécifiques du tango.

Piazzolla et Ziegler incarnent, chacun à leur manière, un syncrétisme musical fécond. En alliant langages savants et langages populaires, ils illustrent cette période lumineuse de la production artistique sud-américaine. Témoignage sensible du lien entre les cultures, leur musique, bien que profondément marquée par la tradition, atteint une forme d’universalisme.

– Claire Lapalu

* Bandonéon

Le son de cet instrument de la famille des aérophones est produit par des lames métalliques situées à l’intérieur de la caisse et mises en vibration par l’action des doigts sur les claviers. La plupart des bandonéons sont bi-sonores, ce qui signifie qu’un même bouton ne produit pas le même son lorsque l’on ouvre le soufflet et lorsqu’on le referme. Né dans l’Allemagne romantique et destiné à accompagner les musiques religieuses, il se déplace au gré des mouvements de population et devient emblématique du tango argentin. Il se différencie de l’accordéon notamment par son timbre, plus velouté, et par la disposition du clavier.

– C. L.

Le podcast de L’AO