Notes de programme

Mahler, Résurrection

Jeu. 16 et sam. 18 juin 2022

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Programme détaillé

Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 2, en ut mineur, «Résurrection»

I. Allegro maestoso. Mit durchaus ernstem und feierlichem Ausdruck [Avec une expression tout à fait sérieuse et solennelle]
II. Andante moderato. Sehr gemächlich [Très modéré]
III. [Scherzo] In ruhig fließender Bewegung [Dans un mouvement calme et fluide]
IV. «Urlicht» [La Lumière originelle]. Sehr feierlich, aber schlicht (Choralmässig) [Très solennel, mais simple, comme un choral]
V. Im Tempo des Scherzos. Wild herausfahrend [Dans le tempo du Scherzo. Explosion sauvage] – Der grosse Appel [Le Grand Appel]

[80 min]

Télérama partenaire de l’événement.

Distribution

Orchestre national de Lyon
Spirito

(Préparation Nicole Corti)
Jeune Chœur symphonique
(Préparation Pascal Adoumbou et Tanguy Bouvet)
Chœur d’oratorio de Lyon
(Préparation Catherine Molmerret)
Thibaut Louppe préparation des chœurs

Nikolaj Szeps-Znaider direction

Miah Persson soprano
Anna Larsson mezzo-soprano

Mahler, Symphonie n° 2

Composition : 1888-1894.
Textes : anonyme, extrait de Des Knaben Wunderhorn (4e mouvement) ; Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803) et Gustav Mahler (5e mouvement).
Création des trois premiers mouvements : Berlin, 4 mars 1895, par les Berliner Philharmoniker, sous la direction du compositeur.
Création de l’œuvre entière : Berlin, 13 décembre 1895, par  les Berliner Philharmoniker sous la direction du compositeur.

Au moment de l’achèvement de la composition de sa Première Symphonie, Mahler entreprit en 1888 la composition d’un vaste mouvement symphonique d’une expression grandiose et lugubre, qui deviendrait plus tard le premier mouvement de sa Deuxième Symphonie. Il n’en avait pas encore à cette époque conçu le projet et ce Totenfeier [Célébration funèbre] devait être, selon lui, un poème symphonique autonome. À cette époque, il était fort absorbé par son travail de chef d’orchestre, gagnant de poste en poste (Cassel, Leipzig, Budapest), saison après saison, les étapes successives d’une célébrité naissante. C’est pourquoi il n’avait guère que l’été pour travailler à ses propres compositions, ce qui explique en partie leur longue genèse. 

Nommé premier chef d’orchestre à l’Opéra de Hambourg en 1891, il eut l’occasion d’y côtoyer le célèbre chef d’orchestre Hans von Bülow, qui dirigeait les concerts philharmoniques et dont il avait sollicité plusieurs années auparavant, dans une lettre date enthousiaste, l’honneur de devenir son disciple. Bülow estimait fort son jeune collègue en tant que chef, mais, semble-t-il, pas comme compositeur. Mahler, venu lui jouer son Totenfeier, reçut de sa part une appréciation fort négative : en comparaison, Tristan ne serait qu’une symphonie de Haydn ! Bülow se serait même écrié : «Si c’est encore de la musique, je ne comprends rien à la musique !» Quelque temps plus tard, Bülow tomba malade et dut abandonner la direction des concerts philharmoniques. C’est Mahler qui le remplaça à partir de décembre 1892, sur la recommandation de Bülow. 

Pendant l’été 1893, Mahler eut l’idée de reprendre Totenfeier et de lui associer un Andante moderato et un Scherzo pour en faire les trois premiers mouvements d’une nouvelle symphonie. Pour son finale, il souhaitait, à l’instar de la Neuvième Symphonie de Beethoven, introduire les voix humaines, et pour cela se mit en quête d’un texte poétique. 

J’ai véritablement cherché dans toute la littérature mondiale, Bible y compris, pour trouver la parole rédemptrice… C’est alors que Bülow mourut et j’assistai à son service commémoratif. L’état d’esprit dans lequel j’étais là, pensant au défunt, correspondait exactement à celui de l’œuvre qui me préoccupait sans relâche. Le chœur à ce moment précis entonna le choral de Klopstock Résurrection ! J’en fus frappé comme d’un éclair, tout était devenu limpide, évident. Le créateur vit dans l’attente de cet éclair : c’est son «Annonciation». Il me restait à transposer en musique cette expérience. Et pourtant, si je m’avais déjà porté cette œuvre en moi, comment aurais-je pu la vivre ?
(Gustav Mahler, 17/02/1897)

Il semble que la mort du «père» musical de Mahler, le 12 février 1894, ait été pour lui à la fois une révélation et une libération de ses forces créatrices. La symphonie avait désormais son architecture définitive et son argument philosophique : la question de la vie et de la mort, résolue et transcendée par la résurrection. L’été suivant, il composa alors très rapidement son grand final choral, avant lequel il intercala un lied qui lui sert d’annonce : «Urlicht». Le 18 décembre 1894, l’œuvre était terminée. 

J’ai appelé le premier mouvement «Totenfeier» ; si vous tenez à la savoir, c’est le héros de ma [Première] Symphonie en ré que je mène au tombeau […]. Parallèlement se pose la question centrale : Pourquoi as-tu vécu ? Pourquoi as-tu souffert ? Tout n’est-il en définitive qu’énorme et tragique plaisanterie ? Nous devons d’une façon ou d’un autre résoudre cette question pour pouvoir continuer à vivre, ou même à mourir ! Celui qui, ne serait-ce qu’une fois, a perçu cette question, est à même d’y répondre : et cette réponse, je la donne dans le dernier mouvement […]. Le deuxième mouvement, un souvenir ! Un rayon de soleil dans la vie de ce héros […]. La vie vous reprend ; il arrive que, dans sa vaine agitation, elle vous fasse horreur ; ainsi, dans une salle de bal bien éclairée, des silhouettes mobiles et dansantes que vous-même, caché dans la nuit, observez de loin sans entendre la musique ! La vie alors apparait sans objet, répugnante ! Tel est le troisième mouvement ! Ce qui suit alors vous est connu.
(Gustav Mahler, 26/03/1896, lettre à Max Marschalk)

Totenfeier 

Le premier mouvement déploie en une vaste architecture une abondance de thèmes et ambiances contrastés, donnant lieu à de vastes développements dramatiques, et laissant parfois entrevoir des épisodes de calme idyllique, comme un rêve de bonheur enfui. L’ambiance dominante est cependant d’une violence exacerbée (pour Mahler, la vie est un combat), culminant avant la réexposition du thème initial en une sorte de «catastrophe» âprement dissonante et lourdement martelée. 

Souvenirs

Les second et troisième mouvements sont conçus comme des intermezzi, sorte de visions rétrospective de la vie du héros. L’Andante moderato est un mouvement dansant, dans une rythme de ländler. 

[C’est] un souvenir, un rayon de soleil, pur et serein, de la vie de ce héros. Il nous est déjà arrivé de porter en terre un être aimé, et ensuite, peut-être sur le chemin du retour, une image soudain se lève d’une heure de bonheur dès longtemps passée, qui maintenant vous baigne l’âme comme un rayon de soleil.
(Mahler, ibid.). 

Mouvement perpétuel 

Le troisième mouvement est un scherzo qui constitue une version développée du lied Des Antonius von Padua Fischpredigt, dépourvue de sa mélodie vocale (ce Prêche de saint Antoine de Padoue aux poissons fait partie des lieder que Mahler a composés sur les poèmes d’origine populaire du recueil Des Knaben Wunderhorn [Le Cor merveilleux de l’enfant]). Mahler en retient presque exclusivement l’accompagnement instrumental, trame autonome aux allures de mouvement perpétuel fluide et sarcastique qui symbolise le cours monotone de la vie et ses vaines agitations. L’ironie de Mahler s’y déploie en parodiant de manière grinçante des musiques populaires de sa Bohême natale. 

Lorsque vous vous éveillez ensuite de ce rêve mélancolique, et que vous devez rentrer dans la confusion de la vie, il peut facilement vous arriver que le train sans cesse agité, jamais en repos, jamais compréhensible, de la vie devienne pour vous une chose affreuse […]. Dénuée de tout sens est alors pour vous la vie, et une affreuse plaisanterie qui vous fait peut être sursauter, avec un cri de dégoût !
(Mahler, ibid.) 

Ce «cri de dégoût» retentit en un point culminant déchirant qui se retrouvera exactement cité au début du finale.

Lumière originelle 

L’intervention de la voix chantée prend place sans aucune introduction dans le quatrième mouvement, ce qui produit un effet de rupture saisissant. C’est un chant recueilli aux allures de choral, aussi dépouillé vocalement qu’orchestralement, dont le poème est tiré du recueil Des Knaben Wunderhorn. Il exprime le désir de l’âme humaine de retourner au Ciel, dans la lumière originelle d’où elle est née. 

Résurrection ! 

Le vaste final renoue d’abord avec la violence désespérée de la fin du troisième mouvement, en citant le «cri de dégoût» qui devient ici «explosion sauvage» (peut-être une allusion au début du finale de la Neuvième Symphonie de Beethoven qui commence de même par une déflagration dissonante). Dans ce tableau d’apocalypse passent une profusion de motifs : des appels de cors que Mahler a intitulés «le crieur dans le désert» dans le programme qu’il avait rédigé à l’intention des premiers auditeurs de la symphonie, un choral funèbre évoquant le Dies iræ (séquence de la Messe des morts grégorienne), un récitatif haletant (préfigurant l’entrée de la voix d’alto), une fanfare grandiose annonçant l’accomplissement de la promesse… Les éléments funestes se réveillent brusquement et entament une marche énergique où l’on imagine défiler, selon Mahler, «tous les morts, mendiants et riches, l’Église militante et les papes» sortant des tombeaux ouverts. 

Mais bientôt tout s’éteint, et l’on entend résonner dans le lointain (4 cors et 4 trompettes en coulisses) le «Grand appel» du Jugement, alors que les roulements de timbales et le doux gazouillis des flûtes font ressentir l’immensité de l’espace sonore. Le chœur a cappella entre alors pianissimo pour annoncer la résurrection à la vie éternelle, sur les paroles de Klopstock. L’alto solo puis la soprano répondent aux questions existentielles posées dès le début de la symphonie : «Oh, crois ! Tu n’es pas né en vain ! Tu n’as pas vécu, souffert en vain !» L’œuvre se termine dans une apothéose grandiose qui convoque le tutti, renforcé par les accords puissants de l’orgue et la résonance profonde des cloches. 

– Isabelle Rouard

Pour aller plus loin

En plus des ouvrages généraux sur Mahler, on pourra lire l’essai Variations psychanalytiques sur un thème de Gustav Mahler, par un disciple de Freud, Theodor Reik (Denoël, 1972). Il y est beaucoup question de la Deuxième Symphonie et du processus créateur à l’œuvre dans la composition du finale. 

Dans sa Sinfonia (1968), le compositeur italien Luciano Berio (1925-2003) a réutilisé l’intégralité du troisième mouvement de la Deuxième Symphonie comme une trame sous-jacente, enrichie de citations littéraires et musicales, slogans et extraits de discours révolutionnaires : une symphonie au sens propre, qui rassemble tous les sons et voix du monde. 

Cliquez pour l’écouter sur YouTube (New Swingle Singers, Orchestre national de France, direction Pierre Boulez) 
 

Urlicht

Alt
O Röschen rot! 
Der Mensch liegt in größter Not! 
Der Mensch liegt in größter Pein! 
Je lieber möcht ich im Himmel sein! 
Da kam ich auf einen breiten Weg; 
Da kam ein Engelein und wollt mich abweisen. 
Ach nein! Ich ließ mich nicht abweisen! 
Ich bin von Gott und will wieder zu Gott! 
Der liebe Gott wird mir ein Lichtchen geben, 
Wird leuchten mir bis in das ewig selig Leben! 

– Aus Des Knaben Wunderhorn

Lumière originelle

Alto
Ô petite rose rouge !
L’homme est en grande détresse !
L’homme est en grand tourment !
J’aimerais mieux être au ciel !
Je suis arrivé à un large chemin,
et un angelot est venu qui voulait m’en détourner.
Ah, non ! Je ne me suis pas laissé détourner !
Je viens de Dieu et je veux retourner à Dieu !
Le bon Dieu me donnera une petite lumière
qui m’éclairera jusqu’à la vie éternelle bienheureuse !

– Extrait de Des Knaben Wunderhorn [Le Cor merveilleux de l’enfant]

Der grosse Appel

Sopran und Chor
Aufersteh’n, ja aufersteh’n wirst du, 
mein Staub, nach kurzer Ruh!
Unsterblich Leben! Unsterblich Leben
wird der dich rief, dir geben!

Wieder aufzublüh’n wirst du gesä’t!
Der Herr der Ernte geht 
und sammelt Garben
uns ein, die starben. 

Alt
O glaube, mein Herz, o glaube:
Es geht dir nichts verloren!
Dein ist, ja Dein, was du gesehnt!
Dein, was du geliebt, was du gestritten! 

Sopran
O glaube: Du wardst nicht umsonst geboren!
Hast nicht umsonst gelebt, gelitten! 

Chor
Was entstanden ist, das muss vergehen!
Was vergangen, auferstehen! 

Chor und Alt
Hör’ auf zu beben! 
Bereite dich zu leben! 

Sopran und Alt
O Schmerz! Du Alldurchdringer!
Dir bin ich entrungen!
O Tod! Du Allbezwinger!
Nun bist du bezwungen!

Mit Flügeln, die ich mir errungen,
in heissem Liebesstreben
werd’ ich entschweben 
zum Licht,
zu dem kein Aug’ gedrungen! 

Chor
Mit Flügeln, die ich mir errungen,
werde ich entschweben!
Sterben werd’ ich, um zu leben!
Aufersteh’n, ja aufersteh’n 
wirst du, mein Herz, in einem Nu!
Was du geschlagen, 
zu Gott wird es dich tragen!

– Gustav Mahler nach Friedrich Gottlieb Klopstock

Le Grand Appel

Soprano et chœur
Tu ressusciteras, oui, tu ressusciteras,
ma poussière, après un bref repos !
Vie immortelle ! Vie immortelle
te donnera celui qui t’a appelée !

Tu es semée pour refleurir !
Le Seigneur de la moisson va
nous cueillir par gerbes –
nous, qui sommes morts !

Alto
Oh, crois, mon cœur, crois :
tu ne perdras rien !
Ce que tu as désiré est à toi, oui, à toi !
À toi, ce que tu as aimé, ce pour quoi tu t’es battu !

Soprano
Oh, crois : tu n’es pas né en vain !
Tu n’as pas vécu, souffert en vain !

Chœur 
Ce qui est advenu doit passer !
Ce qui est passé doit ressusciter !

Chœur et alto
Cesse de trembler !
Prépare-toi à vivre !

Soprano et alto
Ô douleur ! Toi qui pénètres en tout !
J’ai rompu avec toi !
Ô mort ! Toi qui conquiers tout !
C’est toi qui maintenant es conquise !

Avec des ailes que j’ai gagnées
dans le feu de l’élan amoureux,
je vais m’envoler
jusqu’à la lumière 
que nul œil ne peut percevoir !

Chœur
Avec des ailes que j’ai gagnées
je vais m’envoler !
Je mourrai afin de vivre !
Tu ressusciteras, oui, tu ressusciteras,
mon cœur, en un instant !
Ce que tu as conquis
te portera jusqu’à Dieu !

– Gustav Mahler d’après Friedrich Gottlieb Klopstock

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