Programme détaillé
«Danse», extraite des Trois Poèmes juifs
[8 min]
Fidl-Fantazye, un concerto klezmer
Orchestration de Samuel Adler
I. Khosidl – Doina – Balkan Dance [Danse des Balkans] – Sam’s Syrtos [Le Syrtos de Sam] – attacca :
II. Doina – Lied [Chanson] (Nigun) – Hora – attacca :
III. Doina – Freylekhs
[22 min]
--- Entracte ---
Symphonie n° 4, en sol majeur
I. Bedächtig. Nicht eilen [Circonspect. Sans presser]
II. In gemächlicher Bewegung. Ohne Hast [Dans un mouvement modéré. Sans hâte]
III. Ruhevoll [Tranquille]
IV. Sehr behaglich [Très à l’aise] : Das himmlische Leben [La Vie céleste]
[54 min]
Distribution
Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider direction
Noah Bendix-Balgley violon
Louise Alder soprano
Introduction
Dans sa Quatrième Symphonie (1900), Mahler associe la voix à l’orchestre, trouvant à nouveau l’inspiration dans un recueil poétique qui lui est cher : Le Cor merveilleux de l’enfant. «La Vie céleste» : telle est la promesse du finale. Mais pour goûter les joies du Paradis, encore faut-il s’extraire de l’existence terrestre, oublier la valse colorée par les flûtes et les grelots, se moquer du scherzo grotesque d’un «violon de la mort». C’est à ce prix que la musique livrera son message d’espoir… De son propre aveu, Gustav Mahler était trois fois étranger sur terre : «comme natif de Bohême en Autriche, comme Autrichien en Allemagne, comme juif dans le monde entier». Pour obtenir le poste de directeur musical de l’Opéra de la Cour, à Vienne, il dut tourner le dos à ses origines juives et se convertir au catholicisme. Noah Bendix-Balgley, qui a baigné depuis l’enfance dans la musique klezmer (tradition musicale des juifs ashkénazes) revendique au contraire ses origines dans sa Fidl-Fantazye : fidl pour le nom yiddish du violon, Fantazye pour ces motifs d’Europe centrale qui s’enchaînent jusqu’à l’ivresse. Aujourd’hui Konzertmeister (premier violon solo) de l’Orchestre philharmonique de Berlin, il a composé et créé cette pièce alors qu’il occupait encore le même poste à l’Orchestre symphonique de Pittsburgh. Ernest Bloch inventa lui aussi ses propres mélodies dans ses Trois Poèmes juifs (1913), se défendant de vouloir travailler à la restauration de la musique juive. «Je ne suis pas un archéologue», aimait-il à répéter.
Bloch, Danse
Composition : 1913, à Satigny, près de Genève.
Création : Boston, mars 1917, sous la direction du compositeur.
Les Trois Poèmes juifs pour grand orchestre constituent la première œuvre dans laquelle le compositeur suisse naturalisé américain Ernest Bloch manifeste son indenté hébraïque. Elle a été composée avant son départ pour les États-Unis en 1916. À l’écoute, elle révèle d’emblée une personnalité originale : son style mêle, avec un sens dramatique puissant, une orchestration virtuose aux sonorités parfois mahlériennes, des harmonies modernes, des intonations orientalisantes et des rythmes envoutants. Bloch ne cherche pas à citer précisément des thèmes populaires juifs, ni à restaurer une musique juive ancestrale («Je ne suis pas un archéologue», disait-il). Il recrée une couleur hébraïque avec des tournures mélodiques modales caractéristiques, en une sorte de «folklore imaginaire» au pouvoir évocateur pénétrant. Ce triptyque (Danse, Rite et Cortège funèbre) trace le portrait spirituel d’un peuple, avec sa vitalité, ses rituels anciens, sa souffrance et sa résilience.
La Danse initiale regorge d’arabesques incantatoires, de rythmes en ostinato, et de magnifiques thèmes lyriques portés par une orchestration luxuriante jusqu’à leur plus grande incandescence, culminant dans le tourbillon final.
– Isabelle Rouard
Bendix-Balgley, Fidl-Fantazye
Composition : 2015-2016.
Création : Pittsburgh, 17 juin 2016, par l’auteur en soliste, le Pittsburgh Symphony Orchestra dirigé par Manfred Honeck.
Commande : Pittsburgh Symphony Orchestra.
Noah Bendix-Balgley a commencé à jouer du violon à l’âge de 4 ans et s’est hissé à l’un des postes d’orchestre les plus estimés au monde, celui de Konzermeister (premier violon solo) de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Alors qu’il était précédemment premier violon solo de l’Orchestre symphonique de Pittsburgh, il a composé et créé cette Fidl-Fantazye, ancrée dans la tradition klezmer (tradition musicale des juifs ashkénazes) dans laquelle il baigne depuis l’enfance.
J’ai grandi entouré de musique klezmer et cela a exercé une influence significative sur mon éducation musicale. Mon père, Erik Bendix, est un professeur de danse qui s’est spécialisé dans les danses folkloriques d’Europe de l’Est. C’est un expert en danse yiddish, si bien qu’enfant j’écoutais souvent des enregistrements de musique klezmer, voire des groupes qui jouaient en concert. J’ai ainsi commencé à mémoriser des mélodies klezmer peu après avoir commencé à jouer du violon. À ce jour, jouer du klezmer est un merveilleux contrepoids à ma carrière classique, car cette musique permet à l’interprète d’improviser et d’ornementer sur le moment.
J’avais en tête depuis un moment de composer un concerto pour violon klezmer car j’étais en quête d’une pièce virtuose dans le style klezmer à jouer avec orchestre. J’ai décidé d’écrire une fantaisie virtuose pour un violon soliste accompagné d’un grand orchestre, composant mes propres mélodies dans le style de celles que j’avais apprises au fil des ans. Je suis extrêmement reconnaissant au merveilleux compositeur Samuel Adler d’avoir bien voulu orchestrer la pièce pour moi, à partir de ma partition pour violon et piano.
La pièce est construite en trois mouvements enchaînés sans interruption. Après une courte introduction orchestrale, le violon entre seul, jouant un simple «Khosidl» – une danse lente et pesante dans le vieux style hassidique. Cet épisode est suivi par une «Doina», improvisation de style roumain, la première de trois sections de «Doina» qui, dans la pièce, servent de transitions. La mélodie de la section suivante repose sur ma traduction musicale du nom Samuel : mi bémol (eS en allemand), la (A en allemand), mi naturel, do (ut), mi (E en allemand), la. Mon deuxième prénom est Samuel et je l’ai reçu en souvenir de mon arrière-grand-père, Samuel Leventhal, qui était violoniste. En raison de ce lien avec lui, ainsi que de la jolie coïncidence qui fait de Samuel Adler l’orchestrateur de cette œuvre, la version musicale du nom me semblait être un bel hommage à double entrée.
Le «Syrtos de Sam», à la fin du premier mouvement, est une danse dans une mesure complexe (7/8) et fait référence à la musique syrtos des îles grecques, qui a été absorbée dans la musique klezmer. Le deuxième mouvement s’ouvre avec une autre «Doina» qui mène à un «Nigun» ou «Lied» lent, une chanson sans paroles qui se transforme ensuite en «Hora», une danse lente ternaire. Ici, j’incorpore de petits extraits de la Cinquième Symphonie de Mahler. Le troisième mouvement est un pot-pourri de morceaux rapides, où alternent l’orchestre au complet et des ensembles plus petits qui en sont issus. À la fin, l’orchestre se rassemble et se lance dans une course sauvage vers la ligne d’arrivée.
– Noah Bendix-Balgley (traduction Auditorium-Orchestre national de Lyon)
Mahler, Symphonie n° 4
Composition : 1892 (version initiale du 4e mouvement) et 1899-1900 (achevé le 6 août 1900).
Création : Munich, 25 novembre 1901, par l’Orchestre Kaim, avec Margarete Michalek (soprano), sous la direction de Gustav Mahler.
Il est rare de se trouver face à une création portant en soi des fragments esthétiques de l’œuvre entière d’un artiste. La Quatrième Symphonie de Gustav Mahler est pourtant de cet ordre, puisqu’elle fournit une sorte de synthèse des différents styles mahlériens. Et pourtant, elle se révèle être dans le même temps l’une des œuvres les plus accessibles du compositeur autrichien, d’une facilité d’écoute déroutante, relativement aux œuvres antérieures. C’est bien là ce qui surprit le public munichois lors de la création, le 25 novembre 1901. L’incompréhension dicta à la presse d’acerbes critiques, lorsque l’œuvre fut jouée pour la première fois et reprise les mois qui suivirent dans une dizaine de localités allemandes et enfin à Berlin sous la baguette de Felix Weingartner. Comparée aux premières symphonies à l’architecture colossale et au style grandiose, la Quatrième a pu passer pour mièvre, ou tout du moins d’un esprit assez naïf. Elle est plus courte, d’une orchestration épurée – trombones et tuba ont été écartés ; de surcroît, le sujet en est manichéen, fondé sur la dualité fondamentale du couple vie/mort, déclinée dans une opposition entre la terre et le ciel.
Mahler a en effet choisi de construire sa symphonie à partir du poème populaire Das himmlische Leben [La Vie céleste], extrait du recueil Des Knaben Wunderhorn [Le Cor merveilleux de l’enfant], poème à partir duquel il avait composé en 1892 un lied qui figurait dans son petit recueil d’Humoresken. Ce lied sera orchestré pour servir de finale à l’œuvre. Le texte met en scène les saints dans un paradis terrestre. Ce dernier apparaît dans sa conception moyenâgeuse, celle d’un jardin d’abondance, où abondent fruits et légumes, gibiers et poissons et où règnent la musique et la danse, tout ceci sous le regard divin. La Quatrième Symphonie se distingue encore des précédentes puisque Mahler, pourtant volubile et loquace lorsqu’il s’agit d’expliquer le sens de ses œuvres symphoniques, ne charge la partition d’aucun paratexte, ne l’accompagne d’aucun programme et livre relativement peu de commentaires dans ses écrits.
L’œuvre prône une évidente innocence, une sorte d’état enfantin, tel qu’il s’affirme dans le premier mouvement. La référence au caractère viennois s’y impose comme un manifeste, ce pourquoi Henry-Louis de La Grange qualifiera la Quatrième de la plus viennoise des symphonies. Le second mouvement prend des allures de danse macabre, de marche lancinante désarticulée. Le violon solo est à cet effet désaccordé, chaque corde étant accordée un ton au-dessus de sa hauteur habituelle, ce qui entraîne, grâce au jeu des harmoniques, une sonorité étrange, presque ironique. Le troisième mouvement, par son ampleur à laquelle participe la profondeur des cordes et par l’aboutissement de son écriture, est l’un des sommets de l’œuvre de Mahler : véritable résurrection – marquée à sa fin par un triple forte martelé par les timbales avant que ne se tuilent des accords angéliques –, il préfigure la vision céleste du dernier mouvement. Dernier mouvement dans lequel c’est le chant qui offre la rédemption, dans le lied confié à une voix de soprano chargée d’enfance et d’angélisme.
Bénédicte Hertz
Texte chanté allemand
Gesangstext im 4. Satz
Das himmlische Leben
Aus »Des Knaben Wunderhorn«
Wir genießen die himmlischen Freuden,
D’rum tun wir das Irdische meiden.
Kein weltlich’ Getümmel
Hört man nicht im Himmel!
Lebt alles in sanftester Ruh’.
Wir führen ein englisches Leben,
Sind dennoch ganz lustig daneben;
Wir tanzen und springen,
Wir hüpfen und singen.
Sanct Peter im Himmel sieht zu.
Johannes das Lämmlein auslasset,
Der Metzger Herodes d’rauf passet.
Wir führen ein geduldig’s,
Unschuldig’s, geduldig’s,
Ein liebliches Lämmlein zu Tod.
Sanct Lucas den Ochsen tät schlachten
Ohn’ einig’s Bedenken und Achten.
Der Wein kost’ kein Heller
Im himmlischen Keller;
Die Englein, die backen das Brot.
Gut’ Kräuter von allerhand Arten,
Die wachsen im himmlischen Garten,
Gut’ Spargel, Fisolen
Und was wir nur wollen.
Ganze Schüsseln voll sind uns bereit!
Gut’ Apfel, gut’ Birn’ und gut’ Trauben
Die Gärtner, die alles erlauben.
Willst Rehbock, willst Hasen,
Auf offener Straßen
Sie laufen herbei!
Sollt’ ein Fasttag etwa kommen,
Alle Fische gleich mit Freuden angeschwommen!
Dort läuft schon Sanct Peter
Mit Netz und mit Köder
Zum himmlischen Weiher hinein.
Sanct Martha die Köchin muß sein.
Kein’ Musik ist ja nicht auf Erden,
Die unsrer verglichen kann werden.
Elftausend Jungfrauen
Zu tanzen sich trauen.
Sanct Ursula selbst dazu lacht.
Cäcilia mit ihren Verwandten
Sind treffliche Hofmusikanten!
Die englischen Stimmen
Ermuntern die Sinnen,
Daß alles für Freuden erwacht.
Texte chanté français
Symphonie n° 4
Texte chanté dans le 4e mouvement
La Vie céleste,
extrait du Cor merveilleux de l’enfant
Nous jouissons des joies célestes
Et c’est pourquoi nous fuyons ce qui est d’ici-bas,
On n’entend pas dans le ciel
Le tumulte de ce monde !
Tout vit dans la plus douce paix ;
Nous menons une vie angélique
Et sommes pourtant remplis de joie ;
Nous dansons et bondissons,
Sautillons et chantons,
Saint Pierre dans le ciel nous observe.
Saint Jean fait sortir l’agnelet,
Hérode le boucher le guette.
Nous menons un patient,
Innocent et patient,
Un aimable agnelet à la mort.
Saint Luc abat le bœuf
Sans hésiter une seconde.
Le vin ne coûte rien
Dans les caves célestes ;
Ce sont les anges qui font le pain.
De bonnes herbes de toutes espèces
Poussent dans le jardin céleste,
La bonne asperge, la fève
Et tout ce que nous voulons.
Nous avons tout à profusion !
Bonnes pommes, délicieuses poires et superbes grappes,
Les jardiniers permettent tout.
Veux-tu du chevreuil, veux-tu du lièvre ?
Dans la rue
Ils accourent !
Y a-t-il un jour de jeûne,
Tous les poissons arrivent joyeusement à la nage !
Saint Pierre se rend déjà
Avec un filet et des appâts
À l’étang céleste.
Sainte Marthe fait office de cuisinière.
Aucune musique ici-bas
Ne saurait égaler la nôtre.
Onze mille vierges
Se risquent à danser,
Sainte Ursule elle-même rit à ce spectacle,
Cécile et ses proches
Sont d’excellents musiciens,
Les voix angéliques
Réchauffent les cœurs
Et tout s’éveille à la joie !
Traduction ONL
PODCAST C’EST DANS LA POCHE !
Si la musique grince parfois, elle est vite emportée par une joie naïve et pure qui, dans la période troublée qui est la nôtre, se révèle immensément précieuse.
Clément Rochefort (France Musique) nous invite à plonger dans cet univers de grâce et de paix.