Notes de Programme

Orchestre national de France

Alexandre Kantorow

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Programme détaillé

Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Danse macabre, op. 40 

[7 min]

Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour piano et orchestre n° 5, en fa majeur, op. 103, «L’Égyptien»

I. Allegro animato
II. Andante – Allegretto quasi andantino
III. Molto allegro

[30 min]

 

-- Entracte --

Ernest Chausson (1855-1899)
Symphonie en si bémol majeur, op. 20

I. Lent – Allegro molto
II. Très lent
III. Animé – Très animé

[33 min]

Orchestre national de France
Kazuki Yamada 
direction
Alexandre Kantorow piano

Avec le soutien de la Fondation Musique & Radio (Radio France – Institut de France) et de Covéa Finance.

Saint-Saëns, Danse macabre

Composition : 1874, d’après la mélodie homonyme de 1872 sur un poème d’Henri Cazalis.
Création : Paris, 24 janvier 1875, sous la direction d'Édouard Colonne.
Publication : 1875, chez Durand.

Composée en 1874 et publiée l’année suivante, la Danse macabre est le troisième des quatre poèmes symphoniques de Saint-Saëns. C’est le développement orchestral de la mélodie homonyme de Saint-Saëns (1872) sur un poème d’Henri Cazalis (alias Jean Lahor) : «Zig et zig et zag, la mort en cadence / Frappant une tombe avec son talon / La mort à minuit joue un air de danse / Zig et zig et zag, sur son violon…» L’œuvre débute par les douze coups de minuit. Puis la Mort, représentée par le violon solo, s’accorde – non pas sur les quintes habituelles, mais sur un intervalle dissonant, la quarte augmentée ou triton, qui passait au Moyen Âge pour l’intervalle du diable, le «diabolus in musica». Elle entame une valse langoureuse, tandis que les squelettes s’entrechoquent au son du xylophone (instrument encore inusité à l’orchestre) ; ce thème célèbre, parodie du Dies iræ grégorien (la séquence apocalyptique de la Messe des morts), a été caricaturé par Saint-Saëns lui-même dans son Carnaval des animaux (les «Fossiles») avec l’indication «Allegro ridicolo» ! La danse vire à un sabbat démoniaque, que dispersent le chant du coq et le lever du jour. 

– Claire Delamarche

Saint-Saëns, Concerto pour piano n° 5

Composition : Le Caire, du 22 mars au 15 avril 1896.
Création : Paris, salle Pleyel, 2 juin 1896, par Saint-Saëns au piano, accompagné de 43 membres de la Société des Concerts du Conservatoire dirigés par Paul Taffanel.
Dédicace : à Louis Diémer.

Pianiste virtuose, Camille Saint-Saëns a dédié cinq concertos à son instrument. Près de vingt années s’écoulèrent entre le quatrième et le dernier ; habitué qu’il était à chercher chaque hiver un soleil plus chaud qu’à Paris, c’est lors d’un séjour à Louqsor en 1895 qu’il en esquissa les grandes lignes. À part cela, on ignore presque tout de la genèse de cette œuvre créée le 2 juin 1896 salle Pleyel. Mais cette création prenait place dans un concert célébrant le cinquantenaire de sa première apparition en public et, aux côté de sa nouvelle œuvre, il y rejoua le même concerto de Mozart (KV 238) qu’à dix ans.

Sur l’édition, le concerto sera dédié au plus grand pianiste français de l’époque, un ami proche auquel le liait une affinité de style et d’intérêt pour la musique des maîtres anciens que Louis Diémer (1843-1919) interprétait au clavecin. Cela peut donner une idée non seulement du jeu net et perlé requis, mais aussi de l’esthétique qui a présidé à la composition de cette œuvre trop souvent réduite à l’orientalisme éclectique de son mouvement central.

Rien d’oriental dans l’Allegro animato initial (malgré les glissements chromatiques d’un motif de transition qui peuvent rappeler le grand air de Dalila, dans Samson et Dalila) placé sous le signe austère d’un choral bientôt orné d’arabesques virtuoses ; leurs progressions mènent au second thème (au ton relatif de mineur) aussi chaloupé rythmiquement que le premier était strict. Les compositeurs de chansons sentimentales du XXe siècle s’en sont tellement inspirés qu’il a perdu sa fraîcheur native. Pour recentrer régulièrement l’attention de l’auditeur que les vastes dimensions de ce mouvement peuvent égarer, Saint-Saëns l’a ponctué d’un effet suspensif de notes répétées.

«Un tourbillon d’octaves crépitantes»

L’abondance des idées, la souplesse de leurs enchaînements, qui confère à l’œuvre des allures d’improvisation, est plus sensible encore dans l’Andante où, au fil d’un «quasi recitativo», on passe des mélismes arabo-andalous à la gamme pentatonique de l’Extrême-Orient (ponctuée par le tam-tam et les sons lugubres de la clarinette) avec un détour, selon l’auteur, par «un chant d’amour nubien que j’ai entendu chanter par des bateliers sur le Nil» d’une mélancolie toute française cependant.

Le Molto allegro, plus concis que les mouvements précédents, évite le piège de l’essoufflement redondant qui a gâté tant de finales du XIXe siècle. Saint-Saëns, renouant avec la légèreté brillante et alerte de Weber, y conjugue le mordant et l’éclat dans la partie pianistique, faisant plutôt chanter les bois et les cordes pour finir, selon Cortot, dans un «tourbillon d’octaves crépitantes».

– Gérard Condé

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Chausson, Symphonie en si bémol

Composition : de septembre 1889 à décembre 1890.
Création : Paris, salle Érard, 18 avril 1891, sous la direction de l’auteur.

Ernest Chausson, sur lequel a lourdement pesé l’influence flamande de César Franck, était un des artistes les plus délicats de notre temps. Si l’influence du maître de Liège a pu servir, indéniablement, quelques musiciens contemporains, elle semble avoir plutôt desservi Chausson, dans ce sens qu’à des dons naturels d’élégance et de clarté, elle opposait cette rigueur sentimentale qui est à la base de l’esthétique franckiste.
Claude Debussy

Le jugement de Claude Debussy, émis en 1913 – soit quatorze ans après la mort prématurée de Chausson, victime d’un stupide accident de vélo – traduit le relatif dédain dans lequel le compositeur fut tenu par ses contemporains comme par ses successeurs. Né en 1855, Ernest-Amédée Chausson voyait l’avenir lui sourire. Issu d’une famille aisée, il partageait sa vie entre un hôtel particulier parisien et une villa à la campagne, brillant d’un côté dans les salons les plus en vue, jouissant de l’autre d’une quiétude très profitable à son activité de compositeur. Il fut l’un des disciples les plus aimés et les plus aimants de Franck, et certainement cette étiquette l’encombra-t-il plus souvent qu’il ne l’aurait souhaité.

Il est difficile, en effet, de ne pas juger sa Symphonie en si bémol, composée de septembre 1889 à décembre 1890, à l’aune de la Symphonie en ré mineur de Franck, achevée deux ans plus tôt et qui, avec la Troisième Symphonie de Saint-Saëns, «avec orgue» (1885), la Symphonie en sol mineur d’Édouard Lalo et la Symphonie cévenole de Vincent d’Indy (1886), signait le renouveau de la symphonie française.

L’influence de Franck et Wagner

L’influence de Franck se traduit dans la couleur orchestrale, dans le chromatisme, dans l’écriture en choral, dans la conduite d’amples mélodies à la tonalité changeante ; mais elle innerve également les strates plus secrètes de la symphonie : le recours à des thèmes cycliques (thèmes récurrents qui traversent les trois mouvements de l’œuvre) et la manière dont ces thèmes se métamorphosent pour engendrer de nouvelles idées, de nouveaux climats. La symphonie entière prend germe, en effet, dans le thème angoissé et sombre déployé dans les mesures initiales (clarinette, cor et cordes graves).

L’ombre de Wagner plane également sur cette partition. Comme tant de musiciens de sa génération, Chausson s’était rendu à Bayreuth et avait été envoûté. L’été 1889, quelques semaines avant de se mettre à sa symphonie, il avait entendu Tristan, Parsifal et Les Maîtres chanteurs.

Pour autant, Chausson ne fait pas œuvre d’épigone. Le lyrisme élégiaque qui imprègne sa symphonie n’appartient qu’à lui, et l’orchestration (plus transparente que celle de son maître), tout comme certaines harmonies hardies, font de cette œuvre un trait d’union entre Franck et les pages orchestrales de Debussy – dont Chausson soutint le talent et qu’il aida financièrement à certains moments.   

L’œuvre pas à pas

Les premières mesures de l’introduction lente, aux inflexions wagnériennes, placent l’auditeur dans un ailleurs indéterminé et lointain, dont on ressent le mystère autant que le caractère tragique. La musique se déploie, de plus en plus intense, jusqu’à l’irruption joyeuse de l’Allegro molto, saluée par une grande glissade de bois et de violons. L’énoncé du premier thème témoigne du soin méticuleux que Chausson apporte à l’orchestration : cor et basson solos sur les bruissements de seconds violons et d’altos, puis hautbois solo sur les trémolos des premiers violons, les volutes de clarinettes, les arpèges et accords de harpe. Tout, ici, est séduction sonore, et ce caractère s’intensifie à l’énoncé du second thème, au lyrisme lumineux. L’atmosphère évoque plutôt une journée de printemps ensoleillée en Provence que les rivages du Rhin. Mais le développement se montre plus inquiet, avec de nombreuses sautes d’humeur.

L’intensité émotionnelle perçue dans la coda de l’Allegro vivo se prolonge dans le mouvement central, Très lent, remarquable par la beauté de son expression autant que par la conduite magistrale en un ample crescendo.

Le finale commence dans une explosion d’énergie, fanfare cuivrée sur les vagues impétueuses de cordes. Après cette introduction notée «Animé», le tempo s’élève encore («Très animé») et le premier thème proprement dit, très franckiste, est présenté aux violoncelles, puis aux violons. Comme le premier mouvement, celui-ci est d’humeur changeante, les grosses masses orchestrales s’opposent aux solos délicats, et certaines sections ont un raffinement orchestral presque debussyste. Le sens du rythme est aussi remarquable que celui de la couleur : l’auditeur est pris dans un tourbillon qui lui laisse peu de répit. La réexposition, commencée avec une impétuosité intacte, mène toutefois à une conclusion apaisée introduite par la trompette solo – le passage le plus wagnérien de la partition, avec des références évidentes au Ring.

Chausson dédia sa symphonie à son beau-frère, le peintre Henri Lerolle, et en dirigea lui-même la création, le 18 avril 1891, salle Érard à Paris. Le succès fut au rendez-vous, mais c’est un véritable triomphe qui l’accueillit sept ans plus tard, lors d’un concert parisien de l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Artúr Nikisch.

En 1899, une seconde symphonie resta à l’état d’esquisse. La Symphonie en si bémol reste donc l’un des très rares témoignages du talent orchestral de Chausson, aux côtés du poème symphonique de jeunesse Viviane et du cycle pour voix et orchestre Poème de l’amour et de la mer, commencé en 1882 mais achevé en 1893 seulement, deux ans après la symphonie.

– Claire Delamarche