Notes de programme

RAVEL, CONCERTO POUR LA MAIN GAUCHE

Sam. 22 avr. 2023

Retour au concert du samedi 22 avril 2023

Programme détaillé

Maurice Ravel (1875-1935)
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur («Concerto pour la main gauche»)

Lento – Andante – Allegro – Più vivo ed accellerando – Tempo I° – Allegro

[19 min]

--- Entracte ---

Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 10, en mi mineur, op. 93

I. Moderato
II. Allegro
III. Allegretto
IV. Andante – Allegro

[55 min]

Interprètes

Orchestre national de Lyon
David Afkham 
direction
Alexandre Tharaud piano

En partenariat avec France 3 Auvergne-Rhône-Alpes

Ravel, Concerto pour la main gauche

Composition : automne 1929, achevée en 1930.
Création : Vienne, Grosser Musikvereinsaal, 5 janvier 1932, par son commanditaire Paul Wittgenstein, sous la direction de Robert Heger.

La main gauche, au piano comme en toutes choses, a mauvaise réputation. Essentiellement vouée à l’accompagnement, elle se doit d’être efficace et discrète, sans céder pour autant à la paresse. Il convient donc de la stimuler par des exercices spécifiques dont l’ambition ne se limite pas à cela, car elle possède l’avantage, sur sa compagne, de disposer des deux doigts «forts» (le pouce et l’index) du côté droit pour chanter la mélodie, laissant aux doigts «faibles», à gauche du clavier, le soin de la soutenir. D’où l’existence d’œuvres d’envergure comme la transcription, par Brahms, de la Chaconne pour violon de Bach, les Six Études pour la main gauche de Saint-Saëns ou des pages isolées de Liszt, Bartók, Alkan, Scriabine, Reger…

Ainsi, le pianiste autrichien Paul Wittgenstein (1887-1961) amputé du bras droit lors de la Première Guerre mondiale, pouvait se prévaloir d’une tradition pour mettre sa fortune personnelle au service de la constitution d’un véritable répertoire dont il serait le premier interprète. Il passa ainsi commande à une vingtaine de compositeurs, parmi lesquels on ne compte rien de moins que Richard Strauss, Ravel, Prokofiev, Hindemith, Korngold, Franz Schmidt et Britten. Après lui, plusieurs pianistes privés de leur main droite ont sollicité à leur tour d’autres compositeurs mais, à ce jour, le Concerto pour la main gauche de Ravel est le seul qui se soit imposé au répertoire. Cela avait pourtant mal commencé quand Ravel découvrit que Wittgenstein, fort de son droit de propriétaire d’une partition qu’il avait payée, s’était permis d’introduire des modifications. Mais le pianiste finit par accepter les raisons du compositeur tandis qu’il ne se soucia jamais d’interpréter ce que Prokofiev ou Hindemith lui avaient envoyé.

«L’illusion d’une partition pour les deux mains»

Dans une interview accordée au Daily Telegraph, Ravel précisait : «Dans une œuvre de ce genre, l’essentiel est de donner, non pas l’impression d’un tissu léger mais celle d’une partie écrite pour les deux mains.» Et, en effet, certains passages assez chargés, notés sur deux portées, sont des défis auxquels l’utilisation subtile de la pédale permet de faire face. «Aussi, poursuit Ravel, ai-je eu recours à un style proche de celui, volontiers imposant, qu’affectionne le concerto traditionnel. Après une première partie [Lento] empreinte de cet esprit, apparaît un épisode dans le caractère d’une improvisation qui donne lieu à une musique de jazz.» Ravel veut sans doute parler de l’Allegro qui progresse sur une pulsation binaire implacable plus proche du ragtime que ce que nous entendons aujourd’hui par «jazz».

L’atmosphère abyssale du début, avec cette plainte du contrebasson qui s’élève jusqu’à l’explosion d’où sortira une marche tour à tour farouche et illuminée, est peut-être une résultante d’un projet de Jeanne d’Arc d’après Joseph Delteil : «Jeanne respire à plein poumons les lisses émanations du fumier […]. Elle va, allègre et sans souci parmi les canes barbotantes, parmi les poussins rigolos.»

– Gérard Condé

1 Groupe artistique français formé en 1900, ainsi nommé en référence aux bandes de voyous parisiens désignées alors sous ce nom [N. d. r.].

Chostakovitch, Symphonie n° 10

Composition : juillet-octobre 1953.
Création : Leningrad, 17 décembre 1953, Orchestre philharmonique de Leningrad, direction Evgueni Mravinski.

Parmi les quinze symphonies composées par Chostakovitch, la Dixième est particulièrement significative de son époque. Huit ans se sont écoulés depuis la symphonie précédente (1945). Entre-temps, Chostakovitch avait subi une censure sévère de la part des autorités staliniennes, lors du congrès de l’Union des compositeurs de 1948. Au motif que ses œuvres n’avaient pas le style adéquat pour porter l’enthousiasme des masses soviétiques, il fut démis de ses fonctions de professeur aux Conservatoires de Moscou et Leningrad pour «incompétence professionnelle». Sa musique disparut des programmes de concert, et il dut se résigner à gagner sa vie en produisant des compositions purement alimentaires, musiques de film ou pièces de circonstance montrant son allégeance apparente aux diktats esthétiques du Parti. Chostakovitch se replia sur lui-même, mais ne cessa pas de songer à des œuvres personnelles. Sans espoir de les faire jouer, il destina ces partitions «au tiroir».

«J’ai cherché à exprimer les sentiments et les passions de l’homme»

Ce n’est qu’après la mort de Staline (5 mars 1953) que Chostakovitch envisagea d’écrire de nouveau une symphonie, sans texte chanté, sans programme, sans sous-titres, comme pour mieux exprimer l’autonomie de sa pensée, sa liberté de créateur, en dépit des critiques pour «formalisme» dont il avait fait l’objet. Plus tard, quand on lui demanda ce que signifiait son œuvre, il se fendit d’un commentaire pour le moins sibyllin : «Les compositeurs aiment souvent à parler d’eux-mêmes : je me suis efforcé, j’ai essayé, etc. Tel n’est pas mon propos. J’aimerais mieux savoir ce qu’éprouvent les auditeurs, ce qu’ils pensent. Mais je souhaiterais encore ajouter autre chose : dans cette œuvre, j’ai cherché à exprimer les sentiments et les passions de l’homme

Chostakovitch n’avait pas pour autant retrouvé toute sa liberté d’artiste : sa symphonie, dont la création triomphale à Leningrad avait été un véritable événement, fut ensuite longuement analysée et discutée par un collège d’experts, critiques, compositeurs et mélomanes, pendant trois jours de débats à la Maison des compositeurs. Les conclusions furent partagées, mais l’accueil positif réservé en définitive à cette symphonie, dont l’auteur n’avait pas hésité à prendre ses distances avec les directives du régime, montrait que quelque chose commençait à bouger dans la vie musicale et culturelle de l’Union soviétique, en attendant des signes plus tangibles d’un «dégel» véritable.

Le premier mouvement est une construction extrêmement vaste, commençant dans une ambiance sombre et méditative, qui évolue par paliers successifs dans une tension continue. Chostakovitch est parvenu à intégrer des contrastes extrêmes dans une composition d’une grande rigueur, entre moments de désolation et paroxysmes déchirants. Ni les deux clarinettes qui chuchotent une valse triste, ni l’étrange lumière de deux piccolos qui résonnent dans un quasi-silence à la fin ne parviennent à éclairer cette vision pessimiste et même tragique de l’existence.

Le deuxième mouvement est un bref scherzo d’une violence implacable qui progresse à marche forcée vers on ne sait quel abîme. On peut sans doute voir dans cette vitalité brutale une évocation de «Staline et son époque», selon la confidence qu’aurait faite le compositeur au musicologue Solomon Volkov, qui a publié les prétendus mémoires de Chostakovitch (Témoignage, 1979).
 
En revanche, le compositeur n’a rien révélé sur le mouvement lent, qui pourtant recèle une signification cryptée. On y trouve la première occurrence du motif-signature de Chostakovitch DSCH (, mi bémol¸ do, si, selon la notation allemande) qui deviendra omniprésent dans certaines œuvres ultérieures. Un énigmatique et immuable motif de cor solo lui répond avec insistance. On a décrypté qu’il s’agissait d’un prénom féminin, Elmira, hypothèse confirmée en 1990 par l’intéressée elle-même, Elmira Nazirova, pianiste et disciple du compositeur qu’on avait remarquée à ses côtés lors de la création de la symphonie.

Après une longue introduction hésitante, le finale parvient enfin à une légèreté joyeuse qui augure d’un avenir plus souriant et d’une liberté ardemment désirée. 

– Isabelle Rouard
 

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