Notes de programme

Symphonie pastorale

Sam. 10 déc. 2022

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Programme détaillé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Ricercare de L’Offrande musicale

Orchestration d’Anton Webern (1883-1945)

[8 min]

Sofia Goubaïdoulina (née en 1931) 
Offertorium, pour violon et orchestre 

[40 min]

--- Entracte ---

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie n° 6, en fa majeur, op. 68, «Pastorale»

I. Erwachen heiterer Gefühle bei der Ankunft auf dem Lande [Éveil de sentiments de contentement en arrivant à la campagne] : Allegro ma non troppo
II. Szene am Bach [Scène au bord du ruisseau] : Andante meno mosso
III. Lustiges Zusammensein der Landleute [Joie d’être ensemble des gens de la campagne] : Allegro – In tempo d’allegro – Presto 
IV. Gewitter, Sturm [Orage, tempête] : Allegro
V. Hirtengesang. Frohe dankbare Gefühle nach dem Sturm [Chant de bergers. Sentiments de joie et de reconnaissance après la tempête] : Allegretto

[38 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Gidon Kremer violon

Avec le soutien de la Maison de la musique contemporaine.

Bach/Webern, Ricercare de L’Offrande musicale

Composition : commencée le 7 mai 1747 puis achevée au cours de l’été ; œuvre envoyée le 7 juillet 1747 à son dédicataire.
Dédicace : à Frédéric II de Prusse.
Publication : automne 1747.
Orchestration d’Anton Webern : (1883-1945) décembre 1934-janvier 1935.
Création : Londres, 25 avril 1935 à Londres, par l’Orchestre de la BBC.

Au printemps 1747, Jean-Sébastien Bach partit à Potsdam rendre visite à son fils Carl Philipp Emanuel, alors claveciniste de la cour du roi Frédéric II de Prusse. Mélomane et lui-même compositeur, le souverain avait en effet manifesté à plusieurs reprises le désir de faire la connaissance du père du jeune musicien. Réticent au départ, Jean-Sébastien Bach finit par accepter l’invitation et fut introduit le 7 mai 1747 en présence de Frédéric le Grand. 

Après avoir admiré ses nouveaux pianos-forte Silbermann, le compositeur proposa au roi de s’essayer à une improvisation sur un thème de son choix.

Déployant son immense science contrapuntique, il imagina une série de variations savantes ainsi qu’une fugue à trois voix sur un thème proposé par Frédéric II. Long et complexe, ce thème rendait cependant impossible une improvisation plus vaste ; selon divers témoignages, Bach aurait alors joué, pour terminer la soirée, une magistrale improvisation à six voix sur un thème de sa propre composition. Il promit néanmoins, pour obliger son auditeur, d’étudier le thème royal et d’en explorer à la table toutes les possibilités. 

Rentré à Leipzig, il s’attela rapidement à la tâche et envoya au roi cette Offrande musicale sous la forme d’une série de cahiers précédée d’une longue dédicace passablement flagorneuse – et sans doute assez ironique, quand on sait le peu de crédit que Bach accordait aux goûts musicaux du jeune souverain.

À l’image des fugues et canons de L’Art de la fugue, presque contemporains, les treize pièces qui composent L’Offrande musicale ne comportent pas d’indications instrumentales précises, à l’exception de la sonate en trio qui clôt l’œuvre. Canons, fugue et ricercares sont donc conçus de manière abstraite, miniatures pour ravir l’esprit plus que les sens – ce qui n’empêche bien évidemment pas de les jouer ou chanter pour en apprécier toute la saveur. 

Ainsi, entre décembre 1934 et janvier 1935, Anton Webern (1883-1945) instrumenta-t-il le plus grand des deux ricercares de L’Offrande musicale, dont il dirigea lui-même la création le 25 avril 1935 à Londres. 

Son travail ne cherche pas à évoquer le style instrumental baroque, mais propose au contraire une véritable réécriture de la pièce, mettant en œuvre les principes de la mélodie de timbre [Klangfarbenmelodie] chers aux compositeurs de la seconde école de Vienne : au lieu de confier à un instrument ou groupe d’instruments une ligne mélodique entière, Webern fragmente le trait mélodique en motifs minuscules, apposant sur la pièce une dramaturgie nouvelle née de la brève apparition des différents timbres instrumentaux. Il met ainsi en relief les relations internes existant entre les différents motifs, ordinairement dissimulées dans la complexité de la texture lorsque qu’un instrument joue in extenso l’une des six lignes mélodiques, et crée un kaléidoscope pointilliste qui redessine complètement les contours de l’œuvre. 

– Coline Miallier

Contrepoint, travail contrapuntique, ricercare

Le contrepoint est l’art de superposer des lignes musicales ; il atteint des sommets de complexité dans le domaine de la fugue, forme structurée à partir d’un contrepoint imitatif, c’est-à-dire, superposant à différentes hauteurs et de manière décalée un même thème musical. Plus libre que la fugue, le ricercare, qui lui préexiste, utilise lui aussi le contrepoint imitatif.  
 

Goubaïdoulina, Offertorium

Composition : 1979-1980, révision en 1982 et 1986. 
Création : Vienne, 30 mai 1981, par Gidon Kremer et l’Orchestre symphonique de la Radio autrichienne (ORF) sous la direction de Leif Segerstam.
Création des version révisées : Berlin, 24 septembre 1982, par Gidon Kremer et la Junge Deutsche Philharmonie sous la direction de Charles Dutoit ; Londres, 2 novembre 1986, par Gidon Kremer et l’Orchestre symphonique de la BBC sous la direction de Guennadi Rojdestvenski. 
Commande : de Gidon Kremer. 
Dédicace : à Gidon Kremer. 

Compositrice russe d’origine tatare, Sofia Goubaïdoulina est née en URSS en 1931. Après des études de piano et composition au Conservatoire de Kazan, elle se perfectionna au Conservatoire de Moscou, avant de rejoindre l’Union des compositeurs soviétiques en 1961. 

Irriguée d’une forme de mysticisme, son œuvre fut rapidement critiquée au sein de l’institution musicale soviétique, qui considérait son non-conformisme comme un «chemin d’erreur». La jeune musicienne reçut cependant le soutien chaleureux de Dmitri Chostakovitch (1906-1975), qui l’encouragea à creuser ce sillon singulier, ce qu’elle fit tout au long de sa vie dans un corpus qui comprend de nombreuses pièces chorales, orchestrales et de musique de chambre, ainsi qu’une vingtaine de musiques de film. 

Marqué par une grande liberté, son travail mêle de nombreuses techniques de composition empruntées aux traditions savantes occidentales comme aux musiques traditionnelles de l’est et aux cultures orientales et tatares. Elle utilise ainsi un large éventail de systèmes rythmiques, de structures d’articulations et de modes de jeux, et synthétise dans son langage harmonique diatonisme, chromatisme et micro-intervalles. 

Si l’œuvre de Sofia Goubaïdoulina n’est pas directement religieuse, elle n’est dit-elle «jamais profane», mais toujours baignée d’une profonde spiritualité qui s’exprime par une forme d’hyper-expressivité. Par-delà les considérations techniques, la compositrice s’attache en effet avant tout à l’expressivité du discours, qui devient une sorte de paramètre compositionnel à part entière*, au centre de son travail. Modes d’articulations, jeux de textures et même éléments mélodiques, harmoniques et rythmiques s’allient ainsi pour créer dans sa musique différentes formes d’expression, tantôt consonantes, tantôt dissonantes, nourries de toutes les formes possibles de contrastes.

D’apparence profane, Offertorium s’inscrit dans la tradition du concerto de soliste mais s’en émancipe largement pour embrasser les nombreuses connotations contenues dans le terme «offrande», et notamment celle de «sacrifice». 

Pensé pour Gidon Kremer, ce concerto pour violon est constitué d’une série de variations libres sur L’Offrande musicale, imaginées comme un hommage aux deux compositeurs que Sofia Goubaïdoulina admire par-dessus tout, Jean-Sébastien Bach et Anton Webern. 

Conçue en trois parties enchaînées – souvenir du concerto traditionnel –, l’œuvre s’ouvre ainsi sur le fameux thème du roi Frédéric II de Prusse, joué à nu dans une instrumentation fragmentée évoquant la mélodie de timbre de Webern. Trombone, basson, trompette, cor et flûte égrainent ainsi lentement chacune des notes du thèmes à l’exception de la dernière, , jusqu’à un long trille de cor repris en écho par le violon, qui amplifie progressivement le geste et précipite l’entrée de l’orchestre sur un glissando soyeux. La compositrice crée alors une texture orchestrale très unitaire, mais paradoxalement difractée en de nombreux modes de jeux – glissandos, tremolos, trilles – et éclatée en agrégats résonants. Au centre de ces soubresauts, le violon déroule une longue cantilène affirmant sans ambiguïté son rôle soliste. 

Le thème ancien réapparaît alors, coloré de timbres nouveaux, renversé et surtout, progressivement amputé de ses premières et dernières notes, initiant à chaque fois une série de variations modelées à partir du dernier intervalle apparu dans ce thème tronqué, sacrifié, jusqu’à sa disparation quasi-complète – la dernière variation ne se déploie que sur une unique note. Après une partie centrale libre, le thème réapparaît dans la dernière partie, réémergeant progressivement à partir de ses notes centrales, jusqu’à son énoncé complet en rétrograde. L’œuvre s’achève sur la note énoncée comme en extase par le violon dans le registre suraigu, réminiscence de la première note disparue. 

Si l’œuvre déploie des couleurs orchestrales très contrastantes, tant sur le plan harmonique (passages diatoniques presque tonals, passages chromatiques, éléments modaux, accords de résonance, éléments de micro tonalité), que dynamique (large palette de nuances, emploi expressif du silence), timbral (par ses modes de jeux diaprés et sa grande variété d’articulations) et rythmique, elle n’en possède pas moins une grande cohérence, née de son architecture rigoureuse baignée par la présence fantomatique de L’Offrande musicale

– C. M.

* Véritable «paramètre d’expression» pour la musicologue Valentina Nikolaïevna Kholopova.

Beethoven, Symphonie n° 6, «Pastorale»

Composition : 1803-1808.
Création : Vienne, Theater an der Wien, 22 décembre 1808, sous la direction du compositeur.

Beethoven se trouvait en pleine composition de sa Sinfonia eroica, en 1803, lorsqu’il jeta les premières idées thématiques de la Symphonie «Pastorale». Son cahier d’esquisses contient, outre le thème initial et celui du trio du troisième mouvement, deux fragments préfigurant la future «Scène au bord du ruisseau» et parés de charmants intitulés : respectivement «Murmeln der Bäche» [Murmures des ruisseaux] et «Je grösser der Bach, je tiefer der Ton» [Plus gros est le ruisseau, plus grave est le son]. Il ne poursuivit cependant le projet de la «Pastorale» qu’en 1808, après la composition des sonates pour piano «Waldstein» et «Appassionata», de l’opéra Fidelio et des Quatuors «Razoumovski», comme un divertissement à la titanesque Cinquième Symphonie contemporaine. En décembre 1808, la «Pastorale» fut présentée au public viennois lors d’un concert de charité, dans des conditions qui paraissent aujourd’hui bien indignes du génie de l’auteur. Outre la longueur du concert (on donna également la Cinquième Symphonie, le Quatrième Concerto pour piano, la Fantaisie chorale op. 80 et des extraits de la Messe en ut !), la salle n’était pas chauffée et les répétitions avaient été pour le moins rapides.

«Expression des sentiments plutôt que peinture»

Après, cela, on s’écharpa pour savoir si Beethoven, étant donné le caractère descriptif de l’œuvre, n’aurait pas dû l’intituler fantaisie plutôt que symphonie. Le compositeur avait pourtant pris soin de devancer un tel débat. Outre le sous-titre donné à l’œuvre de «Errinerung an das Landleben» [Souvenir de la vie à la campagne], qui place le discours dans une certaine abstraction, Beethoven parsema les esquisses d’annotations telles que «Man überlaßt es dem Zuhörer sich selbst die Situation zu finden» [Laissons le soin à l’auditeur de découvrir la situation par ses propres moyens]. Mais surtout, il fit inscrire cette phrase révélatrice sur le programme de concert et dans les différentes parties instrumentales du matériel d’orchestre : «Mehr Ausdruck der Empfindung als Malerei» [Expression des sentiments plutôt que peinture].

Soulignons enfin que la «Pastorale», quelles que soient l’originalité et la liberté apparentes de sa structure, quel que soit également le caractère pittoresque et populaire de son imagerie sonore (cris d’oiseaux, danses rurales, jodel,…), possède la même cohérence musicale, la même ingéniosité structurelle que n’importe quelle symphonie beethovénienne. La surprise provient plutôt de ce ton inhabituellement ample, lent, serein dans la période «héroïque» du compositeur. La musique n’y est plus propulsée par le conflit des idées, mais ouvre au contraire d’immenses horizons sonores ; lieux où habituellement le drame s’intensifie, les développements paressent davantage qu’à l’accoutumée, et les rares modulations y tiennent plus du changement d’éclairage que d’un véritable travail sur les motifs. Seul l’«Orage» vient rompre véritablement cette quiétude : timbales, trombones et piccolo font une irruption soudaine, l’harmonie est envahie par le chromatisme, les septièmes diminuées et les tonalités mineures, et c’est en fait tout le discours qui devient instable, module sans prévenir, vrombit en fortissimos inconnus dans les mouvements précédents, fuit les cadences harmoniques et plus généralement tout repos (Beethoven développe ici l’introduction de son ballet Les Créatures de Prométhée de 1801, intitulée «La tempesta»).

C’est pourtant le thème principal de ce cataclysme qui, progressivement désamorcé, conduit au finale bucolique dont l’«Orage» apparaît, a posteriori, n’être que la longue introduction : dernier tour de passe-passe du magicien Beethoven.

– Claire Delamarche

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