◁ Retour au concert des vendredi 26 et samedi 27 mai 2023
Programme détaillé
Water Music
Suite n° 1, en fa majeur, HWV 348
I. Ouverture : Largo – Allegro
II. Adagio e staccato
III. [Sans indication de tempo]
IV. Andante
V. [Sans indication de tempo]
VI. Air
VII. Minuet
VIII. Bourrée
IX. Hornpipe
X. [Sans indication de tempo]
[32 min]
Suite n° 2, en ré majeur, HWV 349
I. [Sans indication de tempo]
II. Alla Hornpipe
III. Minuet
IV. Lentement
V. Bourrée
[12 min]
I. Ouverture : Adagio – Allegro – Lentement – Allegro)
II. Bourrée
III. La Paix : Largo alla siciliana
IV. La Réjouissance : Allegro
V. Menuets I et II : Allegro
[19 min]
Concert sans entracte.
Distribution
Orchestre national de Lyon
Ton Koopman direction
Water Music, suites 1 et 2
Création : Londres, 17 juillet 1717.
Water Music et Music for the Royal Fireworks figurent parmi les plus célèbres musiques de circonstances jamais composées, célébrité amplement justifiée par leur effet festif et jubilatoire, leur style combinant la pompe aristocratique et une franche simplicité populaire. Les caractères contrastés des pièces de ces suites, leurs rythmes de danses, leurs couleurs orchestrales qui s’opposent en groupes concertants, faisant dialoguer les cordes avec les anches et les cuivres, exaltent la gloire de la Couronne britannique en une fête sonore qui nous réjouit encore aujourd’hui.
En 1717, le roi Georges Ier, de la maison de Hanovre, qui avait pris la succession de sa cousine la reine Anne après le décès de celle-ci en 1714, exprima le désir d’organiser une grande fête nocturne sur la Tamise. Il s’agissait à la fois de divertir la cour et de rehausser sa popularité auprès du peuple de Londres, qui considérait ce souverain parlant très mal la langue anglaise comme un étranger. Pour la musique, on fit naturellement appel à Händel, qui avait déjà reçu les faveurs de la reine Anne, et que le roi Georges Ier avait confirmé dans des fonctions de compositeur officiel de la cour (il faut noter que Händel, dès 1710, était déjà au service du souverain, quand celui-ci était encore électeur de Hanovre).
À la belle saison, le 17 juillet 1717, le roi et sa suite prirent place dans de grandes barges. La barque d’apparat du roi était suivie par une embarcation où avaient pris place pas moins d’une cinquantaine de musiciens. Remontant le fleuve de Whitehall à Chelsea, où il devait souper dans la demeure de Lord Ranelagh, puis regagnant son palais par le même moyen à une heure avancée de la nuit, le roi apprécia fort la musique de Händel. L’œuvre, jouée trois fois durant cette parade nautique, fut acclamée par le peuple de Londres, dont les barques suivaient en flottille la barque royale.
Water music ne fut pourtant pas édité immédiatement, et on ne sait pas exactement l’ordre des pièces exécutées ce soir-là. Il semble que seules furent jouées les deux suites données lors du présent concert, la Première, en fa, et la Deuxième, en ré ; une troisième suite (en sol, HWV 350), de caractère plus intime (dépourvue de cuivres), fut ajoutée plus tardivement, sans doute à l’occasion du mariage, le 26 avril 1736, du prince Frédéric de Galles avec la princesse Augusta de Saxe-Gotha-Altenbourg.
Le modèle musical de ces suites est à rechercher dans les musiques de cour françaises : Versailles donnait alors le ton à toute l’Europe. Lully, Delalande et bien d’autres ont composé ainsi des musiques d’apparat pour le plein air, riches en instruments à vent, pour agrémenter les défilés, retour de chasses et réceptions solennelles, jouées notamment par les musiciens de la «Grande Écurie». La présence la plus marquante du style français dans Water music se trouve dans la première pièce de la suite en fa, qui est une «ouverture à la française» typique : un premier mouvement lent et majestueux, aux rythmes pointés saccadés et aux «fusées» énergiques, dans l’orchestration typique où les hautbois doublent les premiers violons, est suivi d’un fugato rapide. Cependant, dès ce mouvement Allegro, c’est l’influence italienne des concerti grossi de Corelli (compositeur avec qui Händel s’était lié d’amitié lors de son séjour à Rome en 1707) qui prend le dessus, avec un dialogue entre un concertino soliste (deux violons solos et hautbois) et le reste de l’orchestre (ripieno). Cette influence italienne reste très présente dans de nombreuses pièces, comme par exemple l’Adagio e staccato suivant, qui ressemble à un mouvement lent de concerto pour hautbois (à orner ad libitum), ou encore l’écriture contrapuntique travaillée de l’Andante, avec sa basse en rythme de croches régulières.
Mais une autre influence vient contrebalancer ces modèles étrangers : Händel a adopté des éléments de la langue musicale de son nouveau pays, et relève le flambeau de la musique britannique, qui après la mort de Purcell était dépourvue de talent de premier plan pour prendre le relais. Händel introduit par exemple dans ses suites des hornpipes, danses populaires typiques des îles britanniques, à l’origine dansées par des marins, et qui même dans le cadre d’une suite de cour conservent un fond populaire, avec leurs rythmes syncopés et leur entrain communicatif.
Les rythmes de danses – bourrées alertes, menuets enjoués – sont soulignés par les couleurs instrumentales qui font une place importante aux vents, instruments dont la puissance est adaptée à une acoustique de plein air et qui permettent une démultiplication des plans sonores, des dialogues, des reprises variées, des effets d’échos. Au trio d’anches (deux hautbois et un basson) s’ajoutent bientôt deux parties de cors dans la Première Suite, évoquant des fastes cynégétiques. Dans la Deuxième Suite, les glorieuses trompettes (accompagnées traditionnellement par les timbales), dont la symbolique est associée aux triomphes guerriers, se joignent à l’orchestre et dialoguent avec les cors qui jouent souvent à l’octave inférieure.
– Isabelle Rouard
Music for the Royal Fireworks
Création : Londres, 23 et 27 avril 1749.
«Je suis arrivé à cette conviction que c’est par le côté pittoresque et descriptif, alors tout à fait nouveau et inattendu, que Händel a conquis l’étonnante faveur dont il a joui. […]. Ce qu’il a apporté, c’est la couleur, l’élément moderne, que nous ne savons plus voir en lui.»
Camille Saint-Saëns, lettre à Camille Bellaigue
Les effets sonores de Water Music seront encore renforcés dans la majestueuse Music for the Royal Fireworks [Musique pour les feux d’artifice royaux], composée en 1749 pour répondre à une commande du roi Georges II, fils du précédent souverain Georges Ier. Il s’agissait d’organiser une fête splendide pour célébrer le traité de paix d’Aix-la-Chapelle (octobre 1748), qui avait mis fin à la guerre de Succession d’Autriche, où deux coalitions d’États européens s’étaient affrontées sur divers théâtres d’opérations de 1740 à 1748 (la Grande-Bretagne y ayant pris part à partir de 1743, aux côtés de l’Autriche).
Pour cette occasion, les artificiers de la cour de Louis XV étaient spécialement venus de France, sous la direction de Gaetano Ruggieri qui s’était illustré avec ses frères à Versailles depuis 1739 dans d’extraordinaires spectacles pyrotechniques. De plus, on avait commandé au célèbre architecte et décorateur de théâtre Giovanni Niccolò Servandoni (qui avait en France rehaussé de ses machines et décors somptueux les spectacles d’opéra de l’Académie royale de musique de 1724 à 1742), un gigantesque castelet, ouvrage de charpenterie, stucs et toiles peintes orné de statues mythologiques à la gloire de la Couronne britannique. Une galerie en hauteur était prévue pour pouvoir accueillir un orchestre d’une centaine de musiciens.
Händel a en effet renforcé ses effectifs orchestraux : 28 hautbois, répartis en 3 groupes, 12 bassons (en 2 groupes), un contrebasson, 9 cors (en 3 groupes), 9 trompettes (en 3 groupes), timbales et cordes à proportion !
Évidemment, on peut de nos jours jouer l’œuvre en formation plus réduite, mais avec cet effectif grandiose et tout à fait inhabituel à l’époque, son effet en plein air devait être extraordinaire. Et il fallait bien tout cela pour couvrir le bruit des explosions des feux d’artifice !
Le 23 avril 1749, le public londonien fut convié à une répétition publique dans le parc de Vauxhall, lieu de récréation populaire très prisé au sud de la Tamise. Le spectacle attira, d’après la presse londonienne, quelque 12 000 personnes, et «l’affluence causa un tel embarras sur le pont de Londres que pendant trois heures aucun carrosse ne put passer». La fête officielle eut lieu quelques jours plus tard dans Green Park, près du palais royal Saint James, où le castelet de Servandoni avait été construit. Mais le temps tourna à la pluie, et le spectacle pyrotechnique se grippa, les roues de feu cessèrent de tourner et un incendie se déclara sur l’un des flancs du castelet. La déroute qui en résulta frappa les esprits, et il ne fut aucunement question de la musique dans la presse. Heureusement la gloire en est revenue finalement à Händel, qui est l’un des rares compositeurs de l’époque baroque dont le rayonnement ne s’est jamais éclipsé depuis son temps jusqu’à nos jours.
– I. R.