Notes de programme

Chostakovitch, Symphonie n° 8

Leonard Slatkin

Retour au concert du jeu. 21 oct. 2021

Générique détaillé

Dmitri Chostakovitch  (1906-1975)
Symphonie n° 8, en ut mineur, op. 65

I. Adagio
II. Allegretto
III. Allegro non troppo – attacca :
IV. Largo – attacca :
V. Allegretto

[60 min]

Orchestre national de Lyon
Leonard Slatkin direction

Introduction

Nous sommes très heureux de retrouver notre directeur musical honoraire Leonard Slatkin ! 

La Huitième Symphonie de Chostakovitch par Slatkin fait malheureusement partie des concerts que nous avons dû annuler pour cause de pandémie. Ceux d’entre vous qui ont assisté à nos concerts lorsque Slatkin était encore directeur musical de l’Orchestre national de Lyon savent à quel point la musique russe lui tient à cœur. Cela n’a rien d’étrange, sachant que son grand-oncle, le chef d’orchestre russe Modest Altschuler, a introduit aux États-Unis de nombreuses œuvres de compositeurs russes. 

Lorsqu’on lui a demandé quelles étaient les dix œuvres qu’il aimait le plus diriger, Slatkin n’a pas hésité longtemps avant de citer la Huitième Symphonie de Chostakovitch. Voici ce qu’il nous a écrit à son sujet : «[…] Pour moi, la Huitième ne ressemble à rien d’autre. Et pourtant, à certains égards, elle ressemble à tout le reste. […] Je ne me souviens pas de ma première rencontre avec cette œuvre. C’était probablement par le biais d’un enregistrement, car elle était rarement donnée pendant mes années d’études. Lorsque j’ai enfin pu étudier la pièce, son audace m’a littéralement sauté aux oreilles.

[…] À mon sens, c’est la coda qui est le moment le plus incroyable de toute la symphonie. Les cordes jouent l’un des accords de do majeur les plus longs jamais écrits. Diverses harmonies contrastées se heurtent à un pizzicato de trois notes dans les basses. C’est de loin l’utilisation la plus déprimante qui ait été faite de cette tonalité qui est habituellement réservée à la joie et au bonheur. Personne ne peut sortir indemne de cette heure de musique. Et moi, j’en sors épuisé

– Ronald Vermeulen
Délégué artistique
 

Chostakovitch, Symphonie n° 8

Composition : été 1943.
Dédicataire : Evgeni Mravinski.
Création : Leningrad, 4 novembre 1943, par l’Orchestre symphonique de l’URSS sous la direction d’Evgeni Mravinski.

«Un chant épique au contenu tragique»
(Boris Assafiev)

La création de la Septième Symphonie, en mars 1942, avait assuré un triomphe à Chostakovitch non seulement dans toute l’URSS, mais dans le monde entier, et chefs et orchestres se disputaient l’honneur de donner la nouvelle partition de celui qui était alors considéré comme le plus grand compositeur russe vivant. Chostakovitch traversa pourtant durant les mois qui suivirent une période un peu difficile, à laquelle la composition de la Huitième Symphonie, en l’espace de deux mois seulement, vint heureusement mettre un terme.

Si la Septième rendait hommage à la ville natale de Chostakovitch, Leningrad, alors assiégée par les troupes nazies, la Huitième naquit durant les mois qui suivirent la bataille de Stalingrad. Immense boucherie qui dura quelque six mois, celle-ci laissa la ville presque totalement détruite, tandis que les pertes humaines, de chaque côté, se comptèrent en centaines de mille, voire atteignirent le million. Tout comme la précédente, la Huitième Symphonie ne se contente pas pour autant d’évoquer les événements politiques qui affectaient l’URSS à cette époque, comme voulurent le considérer les détenteurs du pouvoir, mais témoigne d’une puissante émotion personnelle.

«Rendre la terrible tragédie de la guerre»

En 1956, alors que l’œuvre avait été mise à l’index par Jdanov quelques années plus tôt, Chostakovitch écrivait ainsi : «Je regrette beaucoup que la Huitième Symphonie, dans laquelle j’ai mis tant de cœur et de raison, n’ait pas été jouée chez nous depuis de longues années. J’ai voulu exprimer dans cette œuvre les expériences subies par le peuple et y rendre la terrible tragédie de la guerre. La Huitième Symphonie […] est une réponse aux événements de cette époque difficile.» À son propos, Antoine Goléa écrivait : «Il y a au XXe siècle un musicien qui est peut-être le seul à s’efforcer encore de représenter, à l’aide de moyens symphoniques, le drame humain le plus actuel, le plus brûlant. [D]ans ses gigantesques fresques symphoniques, on entend résonner le sanglot de douleur et le chant d’espoir de tout un peuple, et de l’humanité tout entière.» Krzysztof Meyer, dans la monographie qu’il consacre au compositeur chez Fayard, renchérit : «Cette musique nous livre l’une des confessions les plus intimes de l’artiste, une preuve bouleversante de son engagement évident face aux événements de la guerre, un cri de protestation contre le mal, la violence et la volonté de suprématie.»

La partition

Bien qu’attendue avec impatience par une grande partie du monde musical, la Huitième Symphonie dérouta par sa complexité et sa difficulté (dont on peut se faire une idée si l’on songe que le travail du chef et des interprètes sur la partition, avant la première, prit à peu près aussi longtemps… que la composition elle-même). Elle manifeste en outre une liberté à l’égard des canons formels qui ne fut pas du goût de certains : elle s’articule en cinq mouvements, et non plus en trois ou quatre comme la quasi-totalité des symphonies précédentes, et s’ouvre sur un Adagio qui représente presque la moitié de la durée totale de l’œuvre – architecture qui ne déstabilise plus l’auditeur d’aujourd’hui, tout familier qu’il est avec les symphonies mahlériennes, mais qui pouvait perturber celui de l’époque de la création. Empli d’hésitations, d’une grande richesse d’invention, ce premier mouvement représente un sommet expressif, où le langage sonore se met au service d’un chant de douleur aux multiples facettes.

L’Allegretto suivant renoue avec une ironie qui n’est jamais loin chez Chostakovitch : sa marche pseudo-héroïque, paraphrasant un fox-trot allemand, est tout infusée de grotesque.

L’Allegro non troppo qui ouvre le triptyque formé par les trois derniers mouvements, interprétés attacca (sans interruption), est une toccata sans répit portée par un inaltérable moteur de noires, sur lequel se pose un « thème » qui a tout du cri. Profondément tragique, la passacaille (variations sur une basse obstinée) suivante représente un nouvel avatar d’une forme particulièrement affectionnée par Chostakovitch, et donne lieu à un travail polyphonique d’une grande subtilité. De caractère pastoral, le dernier mouvement marque un allègement de l’expression, sans pour autant transiger sur la qualité de l’invention formelle, et clôt cette immense partition – l’un des chefs-d’œuvre de la musique symphonique du XXe siècle – sur une note plus légère.

– Angèle Leroy

LE PODCAST DE L’AO