Notes de programme

MENDELSSOHN, L’ÉCOSSAISE

Sam. 28 oct. 2023

Orchestre national de Lyon sur la scène de l'Auditorium

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programme détaillé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Fuga a tre soggetti, extraite de L’Art de la Fugue

[8 min]

Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Concerto pour violon et orchestre n° 2, en do dièse mineur, op. 129

I. Moderato
II. Adagio
III. Adagio – Allegro

[30 min]

 

--- Entracte ---

Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847)
Symphonie n° 3, en la mineur, op. 56, «Écossaise»

I. Andante con moto – Allegro un poco agitato
II. Vivace non troppo
III. Adagio
IV. Allegro vivacissimo – Allegro maestoso assai 

[30 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon
Gordan Nikolić 
violon et direction

Bach, Fuga a tre soggetti de L’Art de la Fugue

Composition de la Fuga a tre soggetti : 1748-1749 vraisemblablement.
Orchestration : Max Knigge.

Comme L’Offrande musicale, qui date sensiblement de la même époque (c’est-à-dire la dernière décennie de la vie de Bach), L’Art de la fugue est écrit pour un instrumentarium non précisé, chaque voix se voyant attribuer une portée. Le fait a généré bien des débats dans la communauté des musicologues : l’œuvre était-elle destinée à être jouée, ou bien s’agissait-il d’un exercice intellectuel de contrepoint écrit pour le «simple» enchantement de l’esprit ? Sur ce point, on s’accorde aujourd’hui à considérer que, comme le reste de la production de Bach, elle devait pouvoir être interprétée. Une forme de consensus s’est dessinée sur le fait que l’œuvre semble non seulement compatible avec le clavier, mais que certains détails pourraient laisser penser qu’elle a été élaborée pour le clavier (ce qui était déjà, malgré des recherches considérablement moins poussées, l’opinion au XIXe siècle, comme en témoignent les publications de l’époque). En orchestrant la fugue à trois sujets du recueil, le compositeur néerlandais Max Knigge s’insère dans une tradition qui compte d’illustres prédécesseurs, tel Anton Webern instrumentant le ricercare à six voix de L’Offrande musicale.

Apogée de l’art contrapuntique de Bach, émerveillement de nombreux compositeurs après lui, l’œuvre se fonde sur un sujet principal qui sert de matériau de base et que les pièces suivantes (nommées contrapunctus) vont retravailler sous différentes formes, variant le nombre de voix, les techniques (fugue ou canon) et les écarts entre les voix. Notée sur un autre manuscrit que le manuscrit principal, et traditionnellement interprétée à la fin du recueil, la fuga a tre soggetti est suprenante : d’une part, elle n’utilise pas le fameux sujet, mais trois autres (notamment la signature musicale du compositeur, BACH, c’est-à-dire en notation allemande si bémol, la, do, si bécarre) ; d’autre part, elle s’interrompt abruptement à la mesure 239. On lit juste après, de la main de son fils Carl Philipp Emanuel Bach : «Sur cette fugue où le nom de Bach est utilisé en contre-sujet, est mort l’auteur.» Affirmation vraisemblablement douteuse – l’écriture de la fugue, très assurée, laisse à penser que Bach lorsqu’il la nota était en pleine possession de ses moyens –, mais séduisante et romantique interprétation de ce brusque arrêt sur lequel nous en sommes encore réduits à spéculer, faute d’explication définitive.

– Angèle Leroy
 

Chostakovitch, Concerto pour violon n° 2

Composition : 1967.
Création : Moscou, 26 septembre 1967, par David Oïstrakh (violon), sous la direction de Kirill Kondrachine.
Dédicace : à David Oïstrakh.

Le corpus concertant de Chostakovitch (six partitions qui apportent une contribution notable à un répertoire riche d’histoire et de chefs-d’œuvre) s’étend sur la majeure partie de sa vie créatrice, depuis le Premier Concerto pour piano de 1933 jusqu’au Deuxième Concerto pour violon, écrit en 1967. Comme les symphonies ou les quatuors, ils offrent un témoignage des évolutions stylistiques du compositeur : ainsi, les deuxièmes concertos pour violoncelle et violon, nés à un an d’intervalle, sont marqués par un ton plus intérieur, plus dépouillé, assez caractéristique de la dernière période de Chostakovitch, qui s’ouvre à cette époque avec ces pièces ainsi qu’avec le Onzième Quatuor à cordes ou les Sept Romances sur des poèmes d’Alexander Blok. L’un comme l’autre ont d’ailleurs été accueillis plus tièdement que leurs prédécesseurs, précisément en raison de ce caractère. Ils conservent en revanche la même charge émotionnelle que ceux-ci : si les deux concertos pour piano sont des œuvres relativement légères, les pièces pour cordes sont portées par un souffle profondément expressif et une éloquence qui prend parfois des allures de confession (sans qu’elle soit pour autant associée à quoi que ce soit de programmatique). 

«Danser au bord d’un abîme»

Le Deuxième Concerto pour violon fut composé, comme le précédent, pour l’immense violoniste David Oïstrakh. Il avait été pensé comme un cadeau pour le soixantième anniversaire du musicien, mais Chostakovitch s’étant trompé d’un an (Oïstrakh n’avait que 59 ans en 1967), il récidiva l’année suivante avec la Sonate pour violon op. 134. En attendant, l’écriture du concerto marque un léger mieux chez Chostakovitch, diminué par des problèmes de santé depuis plusieurs années, qui avaient culminé avec sa première attaque cardiaque en 1966 ; mais les séjours à l’hôpital se multiplieront dans les années suivantes. Après un premier concerto passionné, d’une expressivité exacerbée aussi bien dans l’humour que la douleur, la nouvelle œuvre prend le parti d’une sorte de «pas en arrière». Formellement, elle fait le choix d’une forme de compacité en adoptant comme les deuxièmes concertos pour piano et violoncelle une forme en trois mouvements, ainsi qu’en recourant à un orchestre relativement réduit (bois par deux, mais avec piccolo et contrebasson, quatre cors, cordes, timbales et tom-tom) dont les timbres sont souvent clairement différenciés. Elle adopte la tonalité inusuelle (et relativement difficile pour le violon) de do dièse mineur, peut-être en référence au Quatuor op. 131 de Beethoven, compositeur particulièrement cher au cœur de Chostakovitch.

Le Moderato initial commence comme sur la pointe des pieds, avec le violon dans le médium de sa tessiture sur un fond sonore sinueux de violoncelles et de contrebasses. La conquête du registre aigu se fait petit à petit et l’expression devient plus extériorisée, mais l’atmosphère y reste plutôt grave, voire pesante. Une courte cadence qui explore les possibilités polyphoniques du violon ouvre à une conclusion mystérieuse. L’Adagio qui suit, tout imprégné de mystère, s’épanouit dans un temps étiré ; l’émotion y est palpable et plusieurs passages sont d’une touchante beauté. Introduit par un court dialogue du violon et des cors avec sourdines, l’Allegro final renoue avec un style extérieur, affirmatif, et des sonorités parfois presque acérées, dans un idiome caractéristique de Chostakovitch, avant de culminer sur une cadence d’une redoutable difficulté ; mais, comme le fait remarquer Malcolm MacDonald, «mêmes les passages les plus pleins de vivacité donnent l’impression de danser au bord d’un abîme».
    
– A. L.

Mendelssohn, Symphonie «Écossaise»

Composition : 1829-1842.
Création : Leipzig, 3 mars 1842, par l’Orchestre du Gewandhaus.
Dédicace : à la reine Victoria.

En 1829, comme nombre d’autres jeunes hommes de son milieu à l’époque, soucieux de parfaire leur éducation en découvrant d’autres pays, langues et manières de vivre, Mendelssohn entreprit son «Grand Tour» à travers l’Europe. Le voyage le mena d’abord en Angleterre et en Écosse, qui lui fit la plus grande impression. Il écrivit ainsi à sa famille, à l’occasion de sa visite du palais de Holyrood à Édimbourg : «Dans le sombre crépuscule, nous nous sommes rendus […] au palais où la reine Marie a vécu et aimé. […] C’est devant l’autel écroulé que Marie fut couronnée reine d’Écosse. Là tout n’est que ruine et pourriture, et au-dessus plane le ciel serein. Je crois avoir trouvé aujourd’hui le début de ma symphonie écossaise.» Les premières esquisses furent cependant interrompues par le voyage suivant de Mendelssohn, en Italie cette fois (qui inspira la Symphonie «italienne»), et la magnifique ouverture Les Hébrides (La Grotte de Fingal) resta durant plus d’une décennie le seul témoignage musical du périple écossais du compositeur. 

À l’hiver 1841-1842 cependant, il trouva le temps de reprendre ses notes et d’achever sa partition. Ce fut la dernière de ses cinq symphonies de maturité, contrairement à ce que suggère la numérotation : celle-ci est liée aux dates d’édition (Mendelssohn, toujours très critique de ses propres œuvres, ne fit publier ni la Quatrième Symphonie ni la Cinquième, qui parurent donc après sa mort). De ce travail en deux temps, il résulte une œuvre superbe, portée d’un bout à l’autre par un souffle romantique où l’Écosse tient lieu d’inspiration mais non de support musical à proprement parler (la phrase de Beethoven à propos de sa Pastorale s’applique ici très bien : «Plutôt expression du sentiment que peinture») – ce qui est aussi le cas des autres partitions évocatrices de Mendelssohn, dans lesquelles on ne trouve pas de programme à proprement parler. Comme l’ouverture Les Hébrides, avec laquelle elle présente bien des ressemblances musicales, la Symphonie en la mineur témoigne de ce que l’on pourrait nommer la «manière ossianique»* de Mendelssohn.

«Mendelssohn fut un paysagiste de premier ordre»
(Richard Wagner)

Une introduction aux sonorités de ballade, qui contient en germe nombre des thèmes suivants, ouvre à une quarantaine de minutes de musique ininterrompue, un geste rare pour une symphonie. Les deux mouvements externes étant divisés en deux, il en résulte une architecture en six pans enchaînés où Mendelssohn a pris soin d’éviter les résolutions trop marquées. Les Vivace ma non troppo et Adagio centraux, dans l’esprit des pièces de caractère, sont flanqués de deux morceaux développés et multivoques aux allures de poèmes symphoniques. L’inspiration écossaise imprègne un certain nombre de thèmes (notamment celui, bondissant, qui ouvre l’Allegro un poco agitato, mais aussi celui de la clarinette dans le Vivace) et de rythmes (Vivace également). L’inimitable patte mendelssohnienne se reconnaît particulièrement dans les mélodies harmonisées aux allures de chorals (introduction et finale, cette fois dans le mode majeur), comme dans le scherzo tourbillonnant du deuxième mouvement ou dans les passages que l’on pourrait qualifier d’atmosphériques (la tempête allegro un poco agitato du premier mouvement, l’allegro vivacissimo du dernier, décrit par le compositeur, dans la courte note parue en tête de la partition, comme un allegro guerriero). Dans ce dernier ouvrage symphonique, Mendelssohn confirme non seulement qu’il est «un paysagiste de premier ordre» (Wagner dans une conversation avec le pianiste et musicologue Edward Dannreuther en 1877), mais aussi un compositeur au sommet de son art.

– A. L.

* En référence au barde légendaire Ossian, dont les poèmes prétendument traduits par Macpherson connurent un retentissement considérable dans l’Europe de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle. Fingal était l’un des plus connus, et il sert de référence à Mendelssohn pour son ouverture Les Hébrides, inspirée par la visite de la grotte de Fingal.

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