EMANUEL AX

Jeu. 4 mai | sam. 6 mai 2023

Retour au concert des jeudi 4 et samedi 6 mai 2023

Programme détaillé

Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847)
Ouverture Les Hébrides (La Grotte de Fingal), op. 26

[11 min]

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano n° 4, en sol majeur, op. 58

I. Allegro moderato
II. Andante con moto
III. Rondo : Vivace

 [34 min]

 

--- Entracte ---

Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie n° 2, en ré majeur, op. 73

I. Allegro non troppo
II. Adagio non troppo – L’istesso tempo, ma grazioso
III. Allegretto grazioso (Quasi andantino) – Presto, ma non assai – Tempo primo – Presto, ma non assai – Tempo primo
IV. Allegro con spirito

[50 min]

Distribution

Orchestre national de Lyon 
Nikolaj Szeps-Znaider 
direction
Anton Holmer direction
Emanuel Ax piano

Mendelssohn, Ouverture Les Hébrides

Composition : commencée en 1829, achevée à Rome en décembre 1830, sous le titre de Ouvertüre zu der einsame Insel [Ouverture de l’île solitaire]. Multiples révisions jusqu’en 1835, sous le titre de Ouverture to the Isles of Fingal [Ouverture des îles de Fingal] puis sous le titre définitif.
Création : Londres, 10 janvier 1832, par l’orchestre de la Philharmonic Society, sous la direction de l’auteur.

Au XIXe siècle, il était de bon ton, pour un jeune homme de bonne famille, d’entreprendre un périple européen, à la découverte de langues, de cultures et de paysages étrangers. Mendelssohn voyagea ainsi pendant quatre ans et fit étape tout d’abord en Angleterre, en 1829. De là, il fit en Écosse le séjour qui devait inspirer deux de ses œuvres les plus frappantes : la Troisième Symphonie, dite «Écossaise», et l’ouverture Les Hébrides. Édimbourg lui fit forte impression, surtout le palais de Holyrood : cette visite déclencha l’idée de la symphonie, qui attendit cependant douze années avant de se concrétiser.

L’ouverture naquit dans un délai beaucoup plus bref. Mendelssohn en acheva les grandes lignes en décembre 1830, à Rome, sous le titre de Die einsame Insel [L’Île solitaire]. Il la révisa à Paris en 1832, sous le titre des Hébrides, avec en sous-titre Fingalshöhle [La Grotte de Fingal]. Le sous-titre traduit l’impression extraordinaire que produisit sur le jeune homme (il avait vingt ans) cette grotte de l’île de Staffa, dans les Hébrides, avec ses monumentales colonnes basaltiques : un site grandiose, envahi à chaque marée par les flots furieux. Le soir même de la visite, Mendelssohn envoyait à sa sœur une lettre enthousiaste, où il lui exposait le premier thème de sa future ouverture. Bien qu’on puisse lui reprocher d’avoir débaptisé Uamh-Binn (la grotte de la Mélodie), le compositeur fut à l’origine de sa popularité, notamment durant l’époque victorienne : trois cents touristes débarquaient alors chaque jour sur l’île. 

Après ces débuts fulgurants, l’histoire de l’ouverture fit quelques méandres. Comme à son habitude, Mendelssohn toucha et retoucha son œuvre au fil des exécutions et jusque dans les dernières épreuves d’impression, si bien que de nombreuses divergences apparaissent même entre les parties d’orchestres séparées (publiées en 1834) et la partition d’orchestre (parue deux ans plus tard). Le chef d’orchestre Christopher Hogwood, qui a mis son talent d’archéologue de la musique au service de cet écheveau emmêlé, distingue pas moins de six états différents de l’œuvre : la version romaine de 1830 (autographe daté du 16 décembre 1830) ; les corrections apportées par la suite sur ce manuscrit ; la version créée à Londres en mai 1832, dont on retrouve la trace dans une copie du manuscrit conservée par la Philharmonic Society ; le manuscrit autographe du 20 juin 1832, qui reprend la précédente avec quelques corrections, à la lumière notamment d’une audition de l’œuvre réduite pour piano à quatre mains et donnée la veille – réduction publiée dans les mois suivants sous le titre franco-allemand de Ouverture aux Hébrides (Fingals Höhle) ; le matériel d’orchestre publié par Breitkopf & Härtel en 1834, d’après un troisième autographe aujourd’hui perdu ; la partition d’orchestre publiée par les mêmes en 1835. À cela s’ajoutent divers fragments d’autographes, copies manuscrites d’autres mains mais portant quelques indications de la main de Mendelssohn, manuscrits et éditions de transcriptions faites par Mendelssohn ou autorisées par lui... L’imbroglio a de quoi passionner les musicologues autant que de les dérouter. Il livre un témoignage passionnant de l’évolution stylistique et de sa méthode de composition.

«Mendelssohn fut un paysagiste de premier ordre.»
Richard Wagner

Bien plus qu’une ouverture, Mendelssohn composa un petit poème symphonique, très classique dans sa forme (un allegro de sonate avec ses deux thèmes, son exposition, son développement et sa réexposition) mais profondément romantique dans ses couleurs et ses émotions. Les ondulations des cordes, se heurtant dès le commencement de l’œuvre en mouvements contraires, sont éminemment suggestives. L’orchestre se déploie ensuite avec une générosité débordante, même si la seule véritable mélodie est le second thème, confié aux violoncelles. Avec une élégance et une inventivité constantes, la musique évoque tour à tour le balancement régulier de la houle, les puissantes déferlantes qui frappent la roche, le miroitement des éclats d’embruns, la monumentalité de la grotte et les reflets étranges qui s’y développent.

La manière dont Mendelssohn construit ce vaste édifice à partir d’un premier thème apparemment insignifiant est tout à fait prodigieuse. Cela témoigne d’un esprit novateur que l’on refuse souvent à Mendelssohn, compositeur si élégant et raffiné. Cette ouverture ne se montre pas moins moderne dans l’utilisation qu’elle fait des timbres instrumentaux, notamment des vents : utilisés comme les couleurs d’une palette, ils créent de saisissants effets visuels et spatiaux. 

Cette réussite, qui le place parmi les orchestrateurs les plus fins, aux côtés de son ami et aîné de six ans Berlioz, lui valut ce – rare – compliment de Wagner : «Mendelssohn fut un paysagiste de premier ordre et Les Hébrides constitue son chef-d’œuvre. Une merveilleuse fantaisie et un sentiment délicat s’y déploient avec un art consommé.»

– Claire Delamarche

Beethoven, Concerto n° 4

Composition : 1804-1806.
Première audition privée : Vienne, chez le prince Lobkowitz, en 1807. 
Première audition publique : Vienne, Theater an der Wien, le 22 décembre 1808, avec le compositeur au piano. 
Dédicace : à l’archiduc Rodolphe.

Pianiste virtuose, Beethoven possédait un génie de l’improvisation qui surpassait, aux dires de ceux qui l’ont entendu, celui de la composition. L’un de ses amis viennois, le compositeur Antoine Reicha, se souviendra de l’avoir entendu dire «À présent je veux composer comme j’improvise», expliquant par là les incongruités formelles de ses œuvres de maturité. On ne doit jamais oublier que les formes que nous appelons «classiques» n’ont été codifiées qu’après coup et que ni Mozart ni Haydn ne pouvaient être guidés par le souci de respecter ou de transgresser des principes d’architecture encore virtuels.

Beethoven, après eux, se trouve (comme Weber) dans une situation différente : il a des modèles qu’il imite d’abord en les gauchissant à sa manière. Mais il comprendra vite qu’une composition bien ordonnée peut être complètement vide et qu’il faut retrouver une nécessité au discours musical : stimuler l’attention et la soutenir par une cohérence organique beaucoup plus subtile que le respect d’un programme consensuel. Exactement ce qui se passe dans l’improvisation, où les symétries inutiles sont délaissées au profit des suggestions fructueuses. C’est le modèle de l’improvisation qui permettra à Beethoven de dépasser dans ses deux derniers concertos pour piano la réussite des trois premiers.

Tout se passe, au départ, comme si le soliste proposait l’ébauche d’une idée ; l’orchestre la reprend évasivement avant de lui donner sa forme intrinsèque, de la développer, de s’en éloigner au profit d’un motif aux contours beaucoup plus affirmés puis de susciter le retour du piano pour recentrer le propos. Vient alors, au lieu d’une reprise variée de l’exposition, l’exposition proprement dite, comme l’esquisse précède le tableau. Ce qui suit sera dans le même esprit, accueillant de belles inspirations mélodiques, et le piano brodant librement autour du thème principal tellement réduit à l’essentiel qu’on n’en perçoit que la pulsation motrice.

Le mouvement central emprunte aussi à la vie : c’est une scène d’opéra sans paroles : à la violence inquisitrice du récitatif des cordes, le piano répond avec une telle douceur que le rapport de forces s’inverse. Et, coup de théâtre, une sorte de fanfare orchestrale lance le piano dans un rondo-sonate dont le second thème, polyphonique, semble anticiper sur le finale de la Neuvième Symphonie. Au fil du mouvement, la virtuosité quasi improvisando sert une inépuisable fantaisie d’inspiration.

– Gérard Condé

Brahms, Symphonie n° 2

Composition : de juin à octobre 1877.
Création : Vienne, 30 décembre 1877, par l’Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Hans Richter.

Alors que Brahms, intimidé par l’ombre de Beethoven, avait mis un quart de siècle à achever sa Première Symphonie, la seconde naquit dans la foulée en moins de quatre mois, de juin à octobre 1877, principalement lors de vacances en Carinthie, sur le Wörthersee. Annoncée pour le 11 décembre suivant, la création n’eut lieu finalement que le 30, assurée par l’Orchestre philharmonique de Vienne et le chef hongrois Hans Richter.

Affranchi de son pesant modèle, Brahms livra une œuvre à l’abord souriant, aux nuances pastel, aux accents de ländler* et de valse qui la firent recevoir bien plus favorablement que la précédente. Appréciant que deux mouvements fussent à trois temps, les Viennois la baptisèrent «Symphonie viennoise», tandis que Brahms la surnomma sa «Suite de valses». Les grincheux l’affublèrent d’un sobriquet plus ironique, la «dernière de Schubert», comme s’ils refusaient à Brahms, après avoir comparé sa Première Symphonie à la Neuvième de Beethoven, le droit d’exister par lui-même.

L’opus 73 est pourtant bel et bien brahmsien, par sa complexité rythmique et polyphonique, sa profusion d’idées dans un cadre inébranlable, et le traitement élaboré du matériau : chevauchements, variations, développements, surprises harmoniques. On a souvent reproché à Brahms le manque de spontanéité de ses thèmes, l’opposant sur ce point à Schumann. C’est bien injuste, si l’on considère la profusion et la beauté des mélodies déployées dans cette œuvre. Mais, il est vrai, leur structure et leurs possibilités de métamorphoses s’accordent toujours aux vastes desseins architecturaux de leur auteur. Ainsi le motif de quatre notes exposé dans les premières mesures par les violoncelles et les contrebasses détermine-t-il non seulement tout le premier mouvement, mais aussi les suivants, annonçant un diatonisme prononcé et alimentant le matériau thématique.

L’Allegro ma non troppo initial foisonne de motifs et de couleurs instrumentales. Deux grands thèmes se dégagent de sa forme sonate ; le second, phrase dansante des violoncelles et altos, est absent du développement, assez bref mais très dense.

Avec son humeur changeante et sa facture complexe, l’Adagio, ma non troppo, en si majeur, constitue le centre de gravité de la symphonie. Le long thème initial est exposé par les violoncelles, accompagné d’un contrepoint des bassons. Un épisode plus fiévreux et modulant forme contraste avant la reprise du thème initial, dont le rythme binaire se heurte à des contrechants en triolets hérités de la partie centrale ; les deux rythmes se livrent un combat acharné, dont aucun ne sort vainqueur.

Le hautbois domine l’Allegretto grazioso, doux morceau champêtre dont le rythme à trois temps et l’harmonisation en tierces et en sixtes rappelle certaines des Valses pour piano. Deux trios (Presto, ma non assai) font joyeusement irruption, mais on reconnaît toujours, dans leurs contours et leur accentuation typique sur la finale, la marque de la mélodie de hautbois.

L’Allegro con spirito clôt l’ensemble dans un jaillissement de vie. Il suffit à prouver que les déclarations de Brahms  –  «La nouvelle symphonie est d’une mélancolie insupportable ; il faut publier la partition encadrée d’une bordure de deuil» – ne sont qu’ironie, ou pudeur masquée d’un compositeur qui répugne à parler de ses créations. 

–  C. D.

*La danse rustique à l’origine de la valse.

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