Notes de programme

BACH METAMORPHOSIS

Ven. 19 jan. 2024

Retour au concert du ven. 19 jan. 2024

Programme détaillé

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita pour violon n° 3, en do majeur, BWV 1006

– I. Preludio

Yves Rechsteiner (né en 1965)
Improvisation
Johann Sebastian Bach
Sonate pour violon n° 3, en sol majeur, BWV 1005

– I. Adagio

Sonate pour violon n° 1, en ré mineur, BWV 1001

– II. Fuga (Allegro)

Sonate pour violon n° 2, en mi mineur, BWV 1003

– I. Grave
– IV. Allegro

Yves Rechsteiner (né en 1965)
Improvisation
Johann Sebastian Bach
Partita pour violon n° 2, en si mineur, BWV 1004

I. Allemanda
II. Corrente
III. Sarabanda
IV. Giga
V. Ciaccona

Transcriptions pour orgue par Yves Rechsteiner, excepté la «Fuga» BWV 1001 (transcription de J. S. Bach)

Durée : 1 heure sans entracte.

Distribution

Yves Rechsteiner orgue
Lise Pauton chorégraphie et contorsion
Jean-Luc Maurs création lumière et régie générale de tournée

Le projet

Bach Metamorphosis, c’est l’histoire d’une double métamorphose : celle des sonates et partitas pour violon seul de Bach (1720) qui, transposées à l’orgue par Yves Rechsteiner, gagnent une monumentalité, une richesse de couleurs, une densité nouvelles ; et celle du dispositif même du concert, qui devient spectacle sonore et visuel grâce aux contorsions de Lise Pauton. Joué jusqu’alors dans des églises, avec l’organiste perché au-dessus de sa partenaire, ce spectacle prend à l’Auditorium une dimension unique : le jeu de l’orgue étant lui aussi très physique, ce sont deux corps qui se confrontent, l’un faisant surgir la musique, l’autre ajoutant une voix supplémentaire au riche contrepoint de Bach.

Bach Metamorphosis est une production de RaieManta Compagnie. 

Les œuvres musicales

Composition des œuvres originales : 1720.
Publication des œuvres originales : 1802.

Bach Metamorphosis est autant un programme d’œuvres inscrites au sommet de notre patrimoine musical qu’un programme de création originale, dans lequel deux artistes déploient un geste sonore et visuel empreint de nouveauté afin de revisiter le passé. Née de la synergie de plusieurs matières, cette fusion de la musique et du corps en mouvement prend l’aspect d’une saisissante polyphonie. 

De la transcription en général…

La première matière inhérente à ce programme consiste à réinventer une œuvre, en conjuguant une démarche intellectuelle et pratique, connue sous le terme de transcription. Apparues presque concomitamment aux partitions, les transcriptions figurent dans le répertoire de toutes les époques de l’histoire de la musique occidentale. Cette pratique itérative relève avant tout d’un principe de re-création puisqu’il s’agit, pour un artiste, d’élaborer sa pensée à partir de celle d’un prédécesseur. Le transcripteur s’inscrit donc dans une double perspective : se mettre au service d’une œuvre et de son auteur et en proposer une transformation, une dérive.

Cependant, l’art de la transcription connaît de nombreux avatars, donnant à ce principe fondateur de multiples visages. À la Renaissance, on transcrit pour faire circuler les œuvres d’un instrument à un autre, alors que la détermination précise de l’effectif instrumental n’est pas encore devenue un impondérable de l’acte compositionnel. Ainsi, on compose invariablement pour la flûte ou le violon, et les interprètes s’emploient si nécessaire à adapter le matériau proposé à l’instrument qu’ils pratiquent. Au XIXe siècle, la transcription prend des contours fonctionnels, voire mercantiles. Désormais, on transcrit pour piano les ouvrages lyriques et symphoniques entendus au concert afin d’avoir le plaisir de les apporter à l’intérieur des salons. Véritable boîte à musique, le piano bénéficie alors d’un nombre incalculable de transcriptions ou arrangements qui permettent une diffusion et une commercialisation intense des œuvres à succès. Cette démarche a également offert de grands chefs-d’œuvre, authentiques propositions artistiques à partir d’une idée préliminaire, telle la Symphonie fantastique de Berlioz transcrite par Liszt pour le piano.

Au XXe siècle, l’art de transcrire répond également au besoin d’élargir le répertoire d’instruments ne bénéficiant pas de catalogues très fournis. Les musiciens jouant des instruments modernes comme le saxophone, l’accordéon ou les percussions deviennent alors initiateurs de transcriptions, afin de pouvoir jouer un plus grand nombre d’œuvres. 
Au sein de ce corpus musical qui peut s’apparenter à de la traduction, la musique de Bach figure en bonne place et de nombreuses transcriptions de son œuvre ont été réalisées depuis la fin du XVIIIe siècle. Cela s’explique d’abord parce que la puissance de son langage dépasse les contingences spécifiques du temps de sa création et peut s’adresser à chacun et chacune par-delà les frontières temporelles. D’autre part, la figure de Bach, le Kantor de Leipzig, érigé en pater familias de la germanité musicale, a suscité une admiration rarement démentie, incarnée dans les nombreuses réécritures de son œuvre.

… et chez Bach en particulier

Bach lui-même s’était d’ailleurs engagé, à de nombreuses reprises, dans la voie de la transcription. Dès sa jeunesse, il transcrivit les œuvres de ses pairs, contemporains ou l’ayant précédé. Parmi les exemples célèbres, on se souvient de sa transcription pour clavecin du Concerto pour hautbois en ré mineur d’Alessandro Marcello ou encore de la transcription (avec traduction en allemand !) du Stabat Mater de Pergolèse. Pour Bach, cette démarche de transcription constitue avant tout un moyen de comprendre le langage d’autres compositeurs et de s’en imprégner. Dans ce cas de figure, la transcription, plus qu’œuvre en soi, se pare d’une vocation didactique, se faisant outil pour apprendre par la pratique. 

De surcroît, au sein du catalogue des œuvres de Bach, les transcriptions de ses propres œuvres par lui-même sont nombreuses. Ainsi, la Sonate pour violon BWV 1003 existe dans une transcription pour clavecin, réalisée par Bach, sous le numéro BWV 964. Le geste de transcription est parfois plus subtil, comme dans le Triple Concerto pour flûte, violon, clavecin et cordes BWV 1044. Ici, Bach fait entrer ses œuvres en dialogue puisque ce concerto provient à la fois du Prélude et Fugue pour clavecin seul en la mineur BWV 894 et de la Sonate pour orgue en ré mineur BWV 527.

Bach, transcripteur de lui-même, semble satisfaire l’une des caractéristiques de sa dense activité. En effet, comme de nombreux compositeurs de son temps, Bach est poly-instrumentiste. Carl Philipp Emanuel Bach rapporte que son père a joué du violon, avec talent, jusqu’à la fin de sa vie. En déplaçant une œuvre d’un instrument à un autre, Bach agit en polyglotte qui s’essaie à dire la même chose avec un matériau différent.

Bach et l’orgue

Si le violon a sans doute été le premier instrument de Bach, c’est son incroyable habileté à l’orgue qui a construit sa renommée. Nous connaissons aujourd’hui le compositeur par les innombrables œuvres qu’il a laissées, et, en l’absence de traces directes de ses interprétations, nous oublions peut-être qu’il a été reconnu de son vivant essentiellement grâce à son génie d’interprète. Pour percevoir ce que ses contemporains pouvaient ressentir en l’écoutant, on peut lire le témoignage de Johann Adolf Scheibe, compositeur et théoricien du XVIIIe siècle. En 1737, alors qu’il était par ailleurs assez virulent avec Bach, il publiait une critique dans laquelle il affirmait que «[Bach ] est un artiste extraordinaire au clavecin et à l’orgue […]. Sa dextérité étonne, et c’est à peine si l’on peut se comprendre comment ses doigts peuvent se croiser, s’écarter de manière si étrange et si rapide, et faire ainsi les sauts les plus grands sans que s’y mêle jamais une fausse note, ni qu’un mouvement si vif déforme le corps». Bach semble avoir été un organiste de premier ordre, réalisant sur le clavier des prouesses rarement entendues. 
En outre, il était très souvent sollicité pour mener des expertises d’orgues, se déplaçant régulièrement autour de Leipzig pour «ausculter» les instruments et attester de leur qualité.

Ces éléments nous permettent donc d’affirmer que le compositeur a un rapport très intime à l’orgue et que sa pensée semble se fondre instinctivement dans les possibilités coloristiques qu’offre cet instrument.

Cette inclination marquée de Bach envers l’orgue se manifeste par le grand nombre d’œuvres qu’il lui a consacré. Trois recueils ont été édités de son vivant, et c’est environ 250 œuvres offertes aux organistes que le Kantor de Leipzig a laissées en héritage. Pour le transcripteur d’aujourd’hui, c’est une ressource précieuse qui permet de comprendre comment il pense et comment il écrit pour cet instrument si particulier. En tant qu’organiste pratiquant l’œuvre de Bach, Yves Rechsteiner a pu asseoir son travail de transcription sur sa connaissance des procédés d’écriture que le compositeur réservait à son instrument.

Mais, à l’origine du travail de création d’Yves Rechsteiner, figurent des œuvres qui appartiennent au Graal de la littérature du violon. Alors qu’il travaillait au service de Léopold, prince de Köthen (quart nord-est de l’Allemagne), Bach se dévoua entièrement à la musique instrumentale, étant dégagé de toute obligation de musique liturgique. Entre 1717 et 1723, année de son départ pour Leipzig, fleurissent notamment les six Concertos brandebourgeois, les quatre Suites pour orchestre et, pour les claviers, les Suites anglaises, les Suites françaises et le premier livre du Clavier bien tempéré. À cette époque naissent également les trois sonates et les trois partitas pour violon seul. Tout en s’inscrivant dans la continuité des maîtres allemands qui l’ont précédé, tels Heinrich Biber ou Johann Georg Pisendel, auteurs d’une magnifique œuvre pour violon seul, Bach témoigne dans ces six pièces de sa capacité à faire œuvre de synthèse. Ici, l’emploi du terme «sonate» renvoie inévitablement au style italien et à la grande école de violon développée peu avant par Arcangelo Corelli, tandis que le style des «partitas» fait écho à la musique française.

Dans la Deuxième Partita, nous observons en effet une succession de danses, rappelant le genre de la suite de danses mis au point par les maîtres à danser français au milieu du XVIIe siècle. En faisant alterner des danses à la métrique et au caractère variés, ce genre musical a permis de renouveler l’inventivité des compositeurs de l’époque. Ainsi, à la noblesse de l’allemande succède la légèreté de la courante, obligeant le compositeur à renouveler ses effets tout en conservant une certaine unité. La magistrale chaconne finale échappe cependant aux habitudes de la suite de danses. En effet, le principe de cette pièce est d’être construite sur une basse obstinée, c’est-à-dire une cellule rythmico-mélodique qui se répète tout au long de l’œuvre. À partir de cette basse, le compositeur invente une succession de variations, conservant le motif initial comme principe organique. Semblant vouloir explorer toutes les possibilités techniques du violon, la chaconne requiert une grande variété de modes de jeu et mobilise de nombreux procédés d’écriture : aux passages de grande densité contrapuntique succèdent des passages aériens marqués par la richesse de l’ornementation et la légèreté des arpèges. 

Dans les sonates, Bach adopte le modèle italien d’une œuvre en quatre mouvements, où alternent mouvements lents et mouvements rapides. Si les mouvements lents sont le lieu du déploiement mélodique, la complexité de la pensée n’en est pas moindre, en particulier dans les fugues qui parcourent les trois sonates. Le sujet (ou thème) de la fugue de la Première Sonate est d’une grande simplicité : quatre notes répétées auxquelles succède un mouvement de tierce descendante. À partir de cet infime motif, de nature plutôt dansante, Bach déploie une texture très serrée au sein de laquelle quelques épisodes arpégés permettent de reprendre son souffle.

Repoussant les limites techniques des violonistes contemporains de Bach, ces œuvres convoquent autant la virtuosité qu’une forme de recueillement. L’austérité que parfois elles dégagent bénéficie pleinement de la transcription pour orgue. En mobilisant la multitude des timbres de l’instrument, la métamorphose qui s’opère habille l’œuvre de Bach d’une chatoyante robe orchestrale.

– Claire Lapalu

La contorsion

L’orgue est un monument de par sa taille, de par son histoire. Il est le seul instrument qui se joue à la fois avec les mains et les pieds. Il implique le corps de l’organiste dans sa globalité. Son histoire est particulièrement marquée par l’improvisation musicale, les partitions écrites que nous connaissons ne sont qu’un infime témoin de son histoire, il a quelque chose d’impalpable, qui nous échappe et qui crée un mystère.

Perché dans les églises, l’orgue observe et souffle, il est à mes yeux un organe surdimensionné, poumon de l’église, veines de la nef. Il fait vibrer l’espace, l’air et les corps. Il nous donne à palper la matière de l’espace, nous traverse et forme un tout entre espace et vibrations. En tant que contorsionniste, il me plaît de m’y confronter par la partition de mon corps, me laisser aspirer par ses notes résonnantes, les laisser rebondir dans mes méandres corporelles, puis resurgir de part et d’autre de mon épiderme. Je parcours et chemine l’espace intérieur de mon être, incroyablement riche de chemins sensibles. Articuler tisser de précisions infimes ces deux matières vivantes-organiques pour en composer une musique.

En tant que contorsionniste, il me plaît de m’y confronter par la partition de mon corps, me laisser aspirer par ses notes résonnantes, les laisser rebondir dans mes méandres corporelles, puis resurgir de part et d’autre de mon épiderme. Je parcours et chemine l’espace intérieur de mon être, incroyablement riche de chemins sensibles. Articuler tisser de précisions infimes ces deux matières vivantes-organiques pour en composer une musique puissante nourrie de deux langages conjugués.

– Lise Pauton

L’ORGUE DE L’AUDITORIUM

L’ORGUE EN BREF

Les facteurs d’orgue :
Aristide Cavaillé-Coll (1878)
Victor Gonzalez (1939)
Georges Danion/S. A. Gonzalez (1977)
Michel Gaillard/Manufacture Aubertin (2013)

Construit pour l’Exposition universelle de 1878 et la salle du Trocadéro, à Paris, cet instrument monumental (82 jeux et 6500 tuyaux) fut la «vitrine» du plus fameux facteur de son temps, Aristide Cavaillé-Coll. Les plus grands musiciens se sont bousculés à la console de cet orgue prestigieux, qui a révélé au public les Requiem de Maurice Duruflé et Gabriel Fauré, le Concerto pour orgue de Francis Poulenc et des pages maîtresses de César Franck, Charles-Marie Widor, Marcel Dupré, Olivier Messiaen, Jehan Alain, Kaija Saariaho, Édith Canat de Chizy, Thierry Escaich ou Philippe Hersant. Remonté en 1939 dans le nouveau palais de Chaillot par Victor Gonzalez, puis transféré en 1977 à l’Auditorium de Lyon par son successeur Georges Danion, cet orgue a bénéficié en 2013 d’une restauration par Michel Gaillard (manufacture Aubertin) qui lui a rendu sa splendeur. La variété de ses jeux lui permet aujourd’hui d’aborder tous les répertoires, de Bach ou Couperin aux grandes pages romantiques et contemporaines. C’est, hors Paris (Maison de la Radio et Philharmonie), le seul grand orgue de salle de concert en France. En 2019 et 2022, il a accueilli les deux premières éditions à l’orgue du Concours international Olivier-Messiaen.

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