Notes de programme

César Franck

Sam. 22 janv. 2022

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Programme détaillé

César Franck (1822-1890)
Prélude, Fugue et Variations op. 18

[11 min]

Johannes Brahms (1833-1897)
Prélude de choral «O Gott du frommer Gott», op. 122/7

[5 min]

César Franck
Choral n° 2, en si mineur

[16 min]

Johannes Brahms
Prélude de choral «Herzlich tut mich verlangen», op. 122/10

[4 min]

Franz Liszt (1811-1886)
Prometheus, poème symphonique pour grand orchestre S. 99

Transcription pour orgue de Jean Guillou

[14 min]

César Franck
Pièce héroïque, extraite des Trois Pièces du Trocadéro

[9 min]

Concert sans entracte.

Distribution

Jean-Baptiste Monnot orgue

Pièces de César Franck

César Franck, du piano à l’orgue

César Franck a eu une carrière publique plutôt tardive. Né à Liège et venu à Paris pour parfaire ses études musicales au Conservatoire, le jeune Franck s’était fait remarquer tout d’abord comme pianiste virtuose aux dons exceptionnels. Ayant été admisdans la classe d’orgue de François Benoist, il y fut moins brillant, n’obtenant qu’un second prix en 1841. Il se fit également connaître comme le compositeur de trois «trios concertants» op. 1 pour piano, violon et violoncelle, remarqués favorablement par Liszt. Son père voulait l’engager d’autorité dans une carrière de pianiste virtuose itinérant, en lui servant d’impresario, et le jeune Franck, interrompant ses études, n’eut pas la possibilité de postuler au concours du prix de Rome. Quelques années plus tard, après une rupture avec son père en 1846, Franck revint s’installer à Paris et mena une vie besogneuse de professeur de piano, de pianiste accompagnateur des séances dominicales de l’Institut musical d’Orléans (de 1845 à 1863) et d’organiste liturgique, tout en continuant à méditer différents projets de composition. Après avoir tenu les orgues de Notre-Dame-de-Lorette (1847) puis de Saint-Jean-Saint-François (1851), il inaugura l’orgue Cavaillé-Coll de la nouvelle basilique Sainte-Clotilde en 1859, et fit rayonner cette tribune jusqu’à sa mort. Sa réputation d’organiste et d’improvisateur croissait rapidement, et bientôt, après quelques publications mineures encore marquées par le goût éclectique du Second Empire, il publia ses premières œuvres importantes pour l’orgue : un recueil de Six Pièces, pure musique non liturgique mais empreinte d’élévation et de spiritualité, dont fait partie le triptyque Prélude, Fugue et Variation

Prélude, Fugue et Variation 

Composition : vers 1860-1862.
Création (intégrale des Six Pièces) : Paris, église Sainte-Clotilde, 17 novembre 1864, par le compositeur.
Dédicace : «À mon ami Monsieur Camille Saint-Saëns».

Cette œuvre, dont il existe également une version de salon pour harmonium et piano, se caractérise par l’inoubliable cantilène du prélude, soutenue de souples arpèges. La mélodie est typique du compositeur et révèle la manière de l’improvisateur : une cellule (ici les quatre premières notes, ré – do ♯ – ré – si) se développe en revenant sur elle-même, en s’amplifiant d’intervalles mélodiques plus larges qui intensifient le lyrisme. Le jeu de hautbois-basson (qui était particulièrement doux et chantant à Sainte-Clotilde) pare cette mélodie d’un timbre pénétrant et mélancolique. Ce caractère vocal est également présent dans la fugue, précédée d’une transition qui établit un soudain caractère de gravité. Quoique rigoureusement construite, elle ne doit rien au «style Bach» et ne dénote aucun académisme. Pour finir, l’unique «variation» reprend la mélodie initiale dans son intégralité, enrichie d’une effusion de volutes décoratives dans son accompagnement. 

Pièce héroïque

Composition : achevée le 13 septembre 1878.
Création : Paris, palais du Trocadéro, 1er octobre 1878, par le compositeur. 

L’étape suivante des grandes compositions pour orgue de César Franck est constituée par les Trois Pièces de 1878, composées pour les concerts d’inauguration du grand orgue Cavaillé-Coll du Trocadéro (celui que vous entendez aujourd’hui, réinstallé à l’Auditorium de Lyon). La réputation de Franck comme interprète et compositeur est désormais bien établie. Il a obtenu en 1872 (en partie grâce à la recommandation de Camille Saint-Saëns) le poste de professeur d’orgue au Conservatoire de Paris, et s’est trouvé bientôt entouré d’un cénacle de disciples qui s’intitulent eux-mêmes «la bande à Franck» et encouragent leur maître bien-aimé à se lancer dans la composition de grandes œuvres vocales ou instrumentales (comme par exemple, le Quintette pour piano et cordes, œuvre d’un romantisme impétueux contemporaine des Trois Pièces pour orgue). 

Contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, la Pièce héroïque, qui est le finale des Trois Pièces, n’est pas une brillante toccata à la virtuosité superficielle, mais une composition de caractère épique d’une grande densité polyphonique, caractéristique de la pensée musicale de Franck. Les mélodies haletantes et chromatiques se combinent en un développement complexe, qui, au terme d’un parcours tourmenté, débouche sur la lumière d’une majestueuse péroraison. 

Choral n° 2, en si mineur

Composition : achevée le 14 septembre 1890.
Dédicace : initialement, à Alexandre Guilmant ; sur la partition éditée, à Auguste Durand.
Création (intégrale des Trois Chorals) : Paris, palais du Trocadéro, 28 avril 1898, par Albert Mahaut.

Les Trois Chorals composés en 1890 sont l’étape ultime des œuvres pour orgue de César Franck. Ils ont pris une valeur de «testament musical», notamment en raison de la confidence que Franck aurait faite, peu de temps auparavant, à son élève Pierre de Bréville : «Avant de mourir, j’écrirai des chorals d’orgue, ainsi qu’a fait Bach, mais sur un autre plan

Franck était alors en pleine activité, et sa carrière avait atteint des sommets, avec des chefs d’œuvre comme la sonate pour violon et piano, la symphonie en ré mineur, le quatuor à cordes... Cependant, il avait subi en juillet 1890 un accident de la circulation parisienne, qui l’avait affaibli et avait atteint ses poumons. La composition des Trois Chorals, répondant également à une sollicitation de son éditeur Auguste Durand, l’occupa pendant l’été, jusqu’à fin septembre 1890, et il assura la rentrée des classes en donnant son dernier cours au Conservatoire le 4 octobre. Il tomba malade, trouva encore la force d’aller faire une séance d’orgue le 20 octobre (on suppose qu’il travailla à la registration de ses chorals) et rendit l’âme le 8 novembre. 

Dans cette dernière œuvre achevée, Franck lègue la synthèse de son art : un langage harmonique richement modulant, une conduite mélodique reconnaissable entre toutes, née de sa science de l’improvisation aux claviers, une construction formelle qui transfigure les thèmes au travers d’un parcours cyclique complexe. Les chorals ne sont pas ici une référence religieuse : il s’agit seulement de motifs musicaux aux contours caractéristiques, que le compositeur combine à d’autres éléments thématiques, dans une magistrale construction sonore d’où émane une haute spiritualité.

Le Deuxième Choral commence comme une passacaille baroque, avec un sobre motif au pédalier, suivi de trois variations rigoureuses. Ensuite le thème du choral apparaît, ses périodes entrecoupées de commentaires libres. La dernière période, aux allures de «prière», est jouée sur le jeu de voix humaine, avec le tremblant.

Un récitatif tumultueux, largamente con fantasia, introduit une fugue sur le premier motif, auquel vient bientôt se superposer le choral. Franck révèle ici, par sa science du contrepoint, le lien secret qui existe entre les deux thèmes, menant le discours jusqu’à un somment d’intensité grandiose. En conclusion reparait la douce et lumineuse «prière» dans une expression apaisée.

Brahms, Préludes de choral

Composition : Bad Ischl (Autriche), mai-juin 1896.

Les onze Préludes de chorals pour orgue composés par Brahms en 1896 sont également une œuvre ultime qui, si on avait respecté les dernières volontés du compositeur, n’auraient pas dû être éditée. Brahms était profondément croyant, de confession luthérienne, et était un grand lecteur de la Bible. Âgé de 63 ans et en pleine possession de ses moyens (pas encore affaibli par le cancer qui l’emportera l’année suivante), il réunit un florilège de chorals luthériens dont la thématique générale est une méditation sur la mort et l’espérance de la vie éternelle. Cette démarche introspective fait suite à la composition de sa dernière grande œuvre publiée, les Quatre Chants sérieux op. 121, qui mettent eux aussi en musique des textes tirés des Écritures sur le thème de la mort. Mais plus que tout, ces chorals répondent secrètement au décès de Clara Schumann (20 mai 1896), à laquelle il était demeuré indéfectiblement attaché.

Reprenant scrupuleusement les mélodies traditionnelles de la Réforme, traitées le plus souvent en cantus firmus (notes longues à l’une des voix, les paroles étant indiquées dans la partition), Brahms compose un «petit livre d’orgue» de caractère intimiste et méditatif, où la densité de l’écriture polyphonique fait émerger l’émotion. Le choix de l’orgue, auquel il n’avait plus eu recours depuis quarante ans (après quelques préludes et fugues de jeunesse composés suite à sa rencontre avec Robert et Clara Schumann) marque une aspiration à l’intériorité spirituelle, grave et sereine, empreinte d’humilité (ces chorals pourraient parfaitement être utilisés de manière liturgique pour préluder le chant des fidèles).

Liszt, Prometheus

Composition : 1850, 1855.
Création : Brunswick, 18 octobre 1855, sous la direction du compositeur.
Transcription pour orgue par Jean Guillou : 1979.

«Ma seule ambition de musicien était et serait de lancer mon javelot dans les espaces indéfinis de l’avenir.»
(Franz Liszt, 1874)

Prometheus est l’autre «pièce héroïque» de ce programme, non seulement par la virtuosité qu’elle met en œuvre dans la transcription de Jean Guillou, mais avant tout par son sujet même. La figure de Prométhée, titan de la mythologie grecque, a fasciné nombre d’artistes à l’origine du mouvement romantique, parmi lesquels Herder, Goethe, Beethoven ou Schubert, avant que Liszt n’en fasse le sujet de l’un de ses poèmes symphoniques. Le compositeur était alors maître de chapelle de la cour de Weimar, et avait été sollicité pour composer la musique de festivités en l’honneur de Herder (1744-1803), à qui on avait dressé un monument. Ainsi furent créés une ouverture symphonique et des chœurs pour une représentation de sa tragédie Der entfesselte Prometheus («Prométhée délivré», 1802).

«Audace, souffrance, endurance, salvation.»

Quelques années plus tard, ayant inventé et théorisé le genre nouveau du poème symphonique, fondé sur un argument extra-musical (ou «programme» littéraire ou pictural), il remania son ouverture pour en faire son cinquième poème symphonique intitulé Prometheus, précédé d’un argument littéraire qui met en exergue, en un raccourci saisissant, le destin du héros : «Audace, souffrance, endurance, salvation.» Dans ce «programme», Liszt dessine également de manière implicite la figure de l’artiste romantique qu’il incarne : «Aspiration hardie vers les plus hautes destinées que l’esprit humain puisse aborder ; activité créatrice, besoin d’expansion… douleurs expiatoires livrant à un rongement incessant nos organes vitaux, sans nous anéantir ; condamnation à un dur enchaînement sur les plus arides plages de notre nature ; cris d’angoisse et larmes de sang… mais inamissible conscience d’une grandeur native, d’une future délivrance […] et enfin l’accomplissement de l’œuvre de miséricorde, le grand jour venu !» La forme de ce poème symphonique n’est donc pas une narration musicale anecdotique, mais la confrontation dramatique de principes abstraits. 

Le motif initial de l’«audace» est musicalement extrêmement… audacieux ! Composé d’intervalles de quarte ascendantes (fa – si – mi – la) et scandé d’un rythme impérieux, il annihile toute inscription dans le langage tonal en escaladant hardiment le monde de la dissonance. Après un épisode orageux (traits de pédale), un récitatif douloureux et interrogatif (qui reviendra lors des principales articulations de la forme) semble exhaler la plainte du héros. 

Tout ceci n’était qu’une introduction saisissante à un allegro molto appasionato où vont s’affronter un motif échevelé en traits chromatiques (la «souffrance») et le motif héroïque de l’«audace». Un bref épisode plus calme laisse entrevoir l’espoir d’une «salvation», qui n’est pas encore accomplie. Avant cela, il faut «endurer» un labeur ardu symbolisé par une fugue à la rythmique d’une régularité implacable, comportant tout un arsenal de procédés savants (strettes, augmentation du sujet…).

Au sommet de cette progression dramatique, les motifs de l’«audace» et de la «souffrance» viennent se greffer à la fugue, et après le rappel du récitatif, forment une sorte de réexposition puissante qui cette fois débouche sur le véritable accomplissement de la «salvation», en magnifiques successions d’accords parfaits majeurs triomphants. L’œuvre culmine par le rappel et la combinaison contrapuntique des thèmes (excepté celui de la «souffrance»), en une fanfare où domine le motif initial de l’«audace». 

– Isabelle Rouard

Pour aller plus loin :

Jean Guillou interprète en concert sa transcription du Prometheus de Liszt, à la cathédrale de Saint-Louis (États-Unis) en 2012 : https://www.youtube.com
 

L’orgue de l’Auditorium

L’ORGUE EN BREF

Les facteurs d’orgue :
Aristide Cavaillé-Coll (1878)
Victor Gonzalez (1939)
Georges Danion/S. A. Gonzalez (1977)
Michel Gaillard/Manufacture Aubertin (2013)

Construit pour l’Exposition universelle de 1878 et la salle du Trocadéro, à Paris, cet instrument monumental (82 jeux et 6500 tuyaux) fut la «vitrine» du plus fameux facteur de son temps, Aristide Cavaillé-Coll. Les plus grands musiciens se sont bousculés à la console de cet orgue prestigieux, qui a révélé au public les Requiem de Maurice Duruflé et Gabriel Fauré, le Concerto pour orgue de Francis Poulenc et des pages maîtresses de César Franck, Charles-Marie Widor, Marcel Dupré, Olivier Messiaen, Jehan Alain, Kaija Saariaho, Édith Canat de Chizy, Thierry Escaich ou Philippe Hersant. Remonté en 1939 dans le nouveau palais de Chaillot par Victor Gonzalez, puis transféré en 1977 à l’Auditorium de Lyon par son successeur Georges Danion, cet orgue a bénéficié en 2013 d’une restauration par Michel Gaillard (manufacture Aubertin) qui lui a rendu sa splendeur. La variété de ses jeux lui permet aujourd’hui d’aborder tous les répertoires, de Bach ou Couperin aux grandes pages romantiques et contemporaines. C’est, hors Paris (Maison de la Radio et Philharmonie), le seul grand orgue de salle de concert en France. En juin 2019, il a accueilli la première édition à l’orgue du Concours international Olivier-Messiaen.

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